1. À l’origine, les candidats spécialistes étaient exclus du champ d’application des dispositions légales relatives à la durée du travail et aux temps de repos. Ne disposant d’aucune protection légale en la matière, ils étaient souvent amenés à prester un nombre considérable d’heures de garde.
2. Cette absence d’encadrement juridique du temps de travail n’était pas conforme à une directive européenne de 2003 (directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aménagements du temps de travail).
La Belgique a donc été mise en demeure par les autorités européennes d’adapter sa législation, ce qui fut fait, avec retard, par une loi du 12 décembre 2010 fixant la durée du travail des « médecins, dentistes, vétérinaires, des candidats-médecins en formation, des candidats-dentistes en formation et étudiants stagiaires se préparant à ces professions ».
3. Cette loi, qui exploite très largement les possibilités de dérogation admises par la directive européenne, prévoit que la durée hebdomadaire de travail des médecins en cours de spécialisation ne peut normalement pas dépasser 48 heures en moyenne sur une période de référence de 13 semaines et que, dans le cadre de cette moyenne, une limite absolue de 60 heures de travail au cours d’une même semaine ne peut pas être dépassée (article 5, § 1er, alinéas 1er et 2, de la loi du 12 décembre 2010).
Il est de même précisé que la durée de chaque prestation de travail ne peut excéder 24 heures et que chaque prestation « dont la durée est comprise entre 12 heures et 24 heures doit être suivie d’une période de repos minimale de 12 heures consécutives ».
La possibilité de travailler 24 heures d’affilée est ainsi confirmée et le droit à un intervalle de repos de 12 heures entre deux prestations apparaît comme une bien maigre compensation.
4. À ce régime, déjà en lui-même largement dérogatoire à ce qui peut être imposé aux travailleurs « ordinaires », s’ajoute la possibilité de prester 12 heures de garde par semaine en sus de la durée moyenne de 48 heures.
La directive européenne admet ce type de dérogation moyennant le respect de plusieurs conditions (voy. la directive, article 22, § 1er) :
– le dépassement de la moyenne de 48 heures par semaine suppose l’accord individuel écrit du travailleur concerné ;
– le travailleur ne peut subir aucun préjudice du fait qu’il n’est pas disposé à donner un tel accord ;
– l’employeur doit tenir un registre reprenant tous les travailleurs qui acceptent de tels dépassements ;
– ces registres doivent être accessibles aux autorités, qui doivent pouvoir interdire les dépassements lorsque cette interdiction est requise pour des raisons de sécurité ou de santé des travailleurs ;
– l’employeur doit fournir aux autorités compétentes des informations sur les travailleurs ayant accepté de dépasser la moyenne hebdomadaire de 48 heures.
Conformément à la directive européenne, la loi précitée du 12 décembre 2010 confirme l’obligation d’obtenir l’accord écrit du travailleur avant qu’il ne fasse des gardes supplémentaires et précise que le travailleur ne peut subir aucun préjudice du fait qu’il ne serait pas disposé à donner son accord. Elle ajoute que l’accord individuel écrit doit prévoir le versement « d’une rémunération complémentaire à la rémunération de base ».
5. Le respect par la loi belge des conditions prévues par le droit européen n’était pas au cœur du litige porté devant le tribunal du travail de Liège.
Ce litige avait un objet plus limité. Il concernait un candidat spécialiste (en hématologie) qui n’avait pas marqué son accord sur le fait de prester 12 heures de garde par semaine mais qui, dans la pratique, avait néanmoins effectué un nombre considérable d’heures de garde, et ce pendant plusieurs années.
Prenant argument de ce que le candidat spécialiste n’avait pas signé l’avenant, l’hôpital avait refusé de lui payer l’entièreté de la rémunération complémentaire prévue pour les gardes. Le tribunal a considéré qu’aucune disposition légale, ni convention, n’autorisait l’hôpital à agir de la sorte et à conditionner le paiement de la rémunération supplémentaire au fait de signer l’avenant, dont la finalité est de protéger le libre consentement du candidat spécialiste.
L’hôpital a donc été condamné à verser un montant provisionnel de 8.396,49 € d’arriérés de rémunération.
6. Le tribunal a également condamné l’hôpital à payer un dommage moral additionnel de 2.000 €, en évoquant les pressions exercées sur les candidats spécialistes pour qu’ils signent l’avenant relatif aux 12 heures de garde par semaine.
Constatant l’absence de toute mesure structurelle apte à pallier le refus éventuel d’effectuer ces gardes et considérant que « s’opposer à l’autorité hiérarchique n’est jamais facile », le tribunal a conclu à l’absence de véritable liberté de choix dans le chef des candidats spécialistes et a constaté qu’en l’espèce, le principe selon lequel « le travailleur ne peut subir de la part de l’employeur aucun préjudice du fait qu’il n’est pas disposé à effectuer le temps de travail additionnel visé au présent article » (article 7, § 5, de la loi du 12 décembre 2010) n’avait pas été respecté.
7. L’hôpital a fait part de son intention de faire appel.
8. Cette affaire illustre le fait que la question de la durée du travail est souvent au cœur de préoccupations contradictoires.
Les gardes contribuent, certes, à la formation des candidats spécialistes et permettent de pallier l’insuffisance de médecins hospitaliers.
Il n’en reste pas moins que limiter les prestations de travail apparaît indispensable pour préserver non seulement la santé des candidats spécialistes, mais aussi la sécurité des patients : l’accumulation déraisonnable d’heures de travail est en effet susceptible de nuire à la qualité des soins et à la faculté de poser les diagnostics adéquats.
La question n’est donc pas seulement une question de protection des travailleurs. C’est aussi une affaire de santé publique.
Votre point de vue
skoby Le 18 février 2020 à 11:19
Ce qui me scandalise et m’énerve, c’est qu’on parle toujours du droit Européen, qui
n’est pas appliqué en Belgique parce que nous avons une autre opinion ou d’autres habitudes. En tous les cas, si le virus chinois arrive jusqu’à chez nous, ce que certains
spécialistes redoutes, il faudra adapter beaucoup de nouvelles lois !
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