Le Collège des Cours et Tribunaux – Interview de sa présidente, Fabienne Bayard

par Thérèse Jeunejean - 30 mai 2024

Qu’est-ce que le Collège des cours et tribunaux ? Quelle est son histoire, sa raison d’être ? Que réalise-t-il ? Qui en fait partie ? Pour le découvrir, nous avons rencontré Fabienne Bayard, actuelle présidente du Collège des cours et tribunaux.
Pas vraiment besoin de lui poser des questions, elle déroule avec fluidité son travail et celui du Collège.

Au départ…

1. « Le Collège a été créé par la loi du 18 février 2014, une loi à deux volets principaux : d’une part la refonte du paysage judiciaire et, d’autre part, l’instauration de l’autonomie de gestion de l’ordre judiciaire.
Aujourd’hui, celui-ci dépend pour son fonctionnement de l’administration du SPF Justice. La nouvelle loi, pas encore en vigueur de manière effective, prévoit que l’ordre judiciaire va se gérer lui-même, gérer ses ressources humaines, ses moyens de fonctionnement, peut-être un jour ses bâtiments… Et cela, dans le but de responsabiliser davantage les magistrats.
Le principe était donc inscrit dans la loi ; il fallait créer une structure pour mettre en place cette gestion autonome et accompagner les différentes juridictions dans l’apprentissage de la gestion parce que les magistrats sont d’abord des juristes et non nécessairement des managers.
D’un autre côté, les magistrats sont sans doute les mieux placés pour savoir ce qui est bon pour eux, identifier leurs besoins, fixer leurs priorités dans leur gestion. Comme magistrats, nous avons tous des exemples en tête de décisions de l’administration estimant que nous avons besoin de telle ou telle chose alors que ce n’est vraiment pas le cas ! Le jour où la gestion sera autonome, l’Ordre judiciaire pourra par exemple dire : ‘Nous avons vraiment besoin de recruter tel personnel spécialisé et nous affectons tel budget pour ce recrutement’.
C’est ce volet autonomie de gestion et responsabilisation de l’Ordre judiciaire qui relève de la compétence du Collège des Cours et Tribunaux »

Le collège, c’est-à-dire…

2. « En 2014, plus de 300 cours et tribunaux existants, à l’exception des justices de paix bruxelloises, ont été groupés en 49 entités judiciaires avec maintien des implantations locales. La direction de chaque entité judiciaire a été confiée à un comité de direction. Chaque comité de direction est présidé par un magistrat-chef de corps.
Le Collège des Cours et Tribunaux assure le bon fonctionnement général de tous les cours et tribunaux de Belgique.
Il se compose, de façon linguistiquement paritaire, de dix magistrats-chefs de corps, qui représentent l’ensemble des comités de direction des cours et tribunaux de Belgique : trois premiers présidents des cours d’appel, un premier président des cours du travail, trois présidents des tribunaux de première instance, trois présidents de respectivement les tribunaux de l’entreprise, les tribunaux du travail et l’ensemble des justices de paix et des tribunaux de police. Les mandats sont de cinq ans.
Depuis une modification de la loi en 2023, deux greffiers en chef sont également présents lors des réunions du Collège. Les greffiers ont une voix consultative mais j’espère qu’à l’avenir, ils disposeront d’un droit de vote.
Le Collège est présidé par un président élu par les dix chefs de corps et qui, depuis 2023, exerce son mandat de président du Collège à temps plein. Les autres membres du Collège exercent leur mandat en combinaison avec leur mandat de chef de corps de leur juridiction.
Le Collège des cours et tribunaux est soutenu dans ses missions par le service d’appui. Ce service d’appui est constitué de plusieurs cellules, comme la cellule statistiques, la cellule ICT, la cellule Supply Chaine, la cellule Communication, etc. Le personnel – septante-trois personnes aujourd’hui – soutient les comités de direction et prépare les dossiers pour le Collège ».

Vers l’autonomie…

3. « Nous avons collaboré, aux côtés du Ministère public, de l’entité Cassation, du SPF Justice et du Cabinet du Ministre, à l’élaboration d’un avant-projet de loi pour la mise en œuvre de la loi de 2014 sur la gestion autonome. Mais cet avant-projet de loi ne sera malheureusement pas voté sous cette législature car il fait l’objet d’un blocage politique Ce projet est prêt, de sorte que nous espérons que, dès l’entame de la prochaine législature, il pourra être voté !
Le premier volet que nous avions décidé de transférer de l’administration à l’ordre judiciaire, c’est la gestion des ressources humaines. Pour cela, il sera nécessaire de transférer aussi le personnel qui s’occupe de la gestion actuelle du personnel des cours et tribunaux et qui est attaché au SPF Justice. Nous avons imaginé la création d’une structure, commune au siège, au Ministère public et à la Cour de cassation, pour gérer ce personnel, une structure commune, sous la responsabilité de l’ordre judiciaire et non plus de l’administration, de manière à disposer d’une autonomie effective et d’une responsabilité effective par rapport aux choix que nous posons.
À côté de ce projet, le Collège des cours et tribunaux a objectivé nos besoins via une mesure de la charge de travail. Elle démontre de façon très claire un manque criant de ressources, ce que tout le monde dit depuis des années.
Identifier ses besoins, c’est avoir une base solide pour revendiquer des budgets – supplémentaires – pour bien fonctionner et rendre un service de qualité aux citoyens. Jusqu’ici, nos ressources nous sont attribuées par la loi, par le cadre légal : c’est le Code judiciaire, qui dit qu’il doit y avoir autant de magistrats et de greffiers dans telle juridiction. Ce cadre est une garantie démocratique fondamentale. Or aujourd’hui, les ressources sont insuffisantes et ce cadre est un facteur bloquant l’augmentation des ressources. Un exemple : la Cour d’appel de Bruxelles a mis en avant son arriéré colossal. Avec des procès de très grande envergure, il faut des ressources supplémentaires. Pour pouvoir l’obtenir, il a fallu une loi mais le processus législatif est extrêmement lent en Belgique. Et donc le fait de donner des ressources supplémentaires nécessaires prend trop de temps par rapport à la rapidité avec laquelle une organisation moderne et efficace doit pouvoir fonctionner. Je n’aime pas trop la comparaison avec le secteur marchand mais, tout de même, quand une entreprise reçoit une commande colossale, elle embauche pour y faire face.
Autre exemple : quand le législateur décide lui-même de transférer des compétences spécifiques d’un type de juridiction à un autre, sans se soucier de l’impact en charge de travail. En 2014 par exemple, les tribunaux d’entreprise sont devenus compétents pour toutes les matières liées de près ou de loin à l’entreprise et cela, quel que soit le montant du litige. Avant, les petits litiges étaient gérés par les justices de paix. Du jour au lendemain, 35 % de contentieux supplémentaires sont arrivés dans les tribunaux d’entreprise sans ressource supplémentaire. Voilà un exemple de situation que nous souhaitons pouvoir gérer nous-mêmes. On veut maintenir un cadre légal national global, que le législateur fixe tous les trois ans par exemple, en fonction de la charge de travail mesurée qui sera réalisée également tous les trois ans. Le Collège répartira ensuite selon les besoins spécifiques de chaque entité ».

Autres transferts…

4. « D’autres transferts sont prévus, comme celui des frais de fonctionnement liés au personnel. Quand vous engagez une personne, vous devez veiller à ce qu’elle dispose de tout ce qui est nécessaire pour exercer son travail. Nous voulons pouvoir gérer ce budget ainsi que celui des frais d’investissement, c’est-à-dire l’achat de tout ce qui a une durée de vie plus longue qu’un consommable. On veut gérer tout ça pour mieux répondre aux besoins de notre organisation. Cela aura aussi pour effet de responsabiliser les chefs de corps et les greffiers en chef à une bonne utilisation des moyens ».

L’autonomie de gestion, c’est…

5. « Attention, l’autonomie de gestion, ce n’est pas pouvoir faire tout ce que l’on veut, comme on veut, quand on veut. C’est aussi responsabiliser et obliger l’ordre judiciaire à rendre des comptes. Selon la loi, chaque comité de gestion doit élaborer, tous les ans, un plan de gestion et cela, de manière à ce que chacun puisse dire : compte tenu de mon environnement, du contexte, du contentieux qui se développe (comme par exemple l’apparition d’un nouveau phénomène criminel – la problématique de la drogue aujourd’hui à Anvers), voilà ce que je fixe comme objectif, pour ma juridiction, sachant que le principal objectif est d’arriver à traiter tous les dossiers qui rentrent dans les meilleurs délais. Une fois que l’on a défini les besoins nécessaires pour réaliser le traitement des dossiers, d’autres objectifs peuvent être fixés pour organiser un accueil digne de ce nom, etc.
Chaque comité des 49 directions rédige ce plan et le rôle du Collège, c’est de consolider ces objectifs. Consolider, parce que le Collège est l’organisation chargée par la loi de négocier avec le Ministre de la Justice l’obtention des budgets nécessaires sur base de la mesure de la charge de travail et des objectifs des comités de direction.
Après trois années, le comité de direction devra rendre un rapport de fonctionnement pour expliquer si et dans quelle mesure les objectifs ont pu être atteints.
En réalité, nous avons déjà demandé à tous les comités de direction d’élaborer un plan de gestion parce que nous espérions signer un contrat avec le Ministre, ce qui ne sera pas le cas cette législature ».

Et finalement ?

6. « Nous n’allons sûrement pas jeter tout cela à la poubelle parce que le projet de loi n’est pas passé. Nous ne signerons pas maintenant un contrat de gestion mais les plans de gestion sont la base de la rédaction d’un mémorandum de revendications pour le prochain gouvernement. Nous le finalisons actuellement et espérons pouvoir le présenter très vite à tous les partis politiques. Leur dire : voilà ce qu’il faut insérer dans l’accord de gouvernement, cette gestion autonome, prévue dans l’accord précédent et qui n’est pas passée.
Il n’y avait jamais eu de revendication commune mais aujourd’hui on s’unit pour faire bloc face au politique, qui doit prendre ses responsabilités. Un premier financement reçu, en 2021, a à peine compensé les restrictions de 2016. Nous disons maintenant qu’il faut 43 % de plus que le cadre légal. Mais nous allons revendiquer dans un premier temps 26 % de ressources supplémentaires en magistrats et une proportion équivalente de greffiers. Il existe en effet un grave problème de pénurie de candidats pour la magistrature et le personnel judiciaire, de sorte que revendiquer plus serait irréaliste ».

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