1. C’est enfin arrivé ! Six mois de prison ferme (c’est ce qu’a duré la détention préventive de l’internaute condamné), plus cinq mois d’assignation à résidence avec bracelet électronique et enfin un mois avec sursis, c’est la peine infligée par la cour d’assises de Liège pour un délit de presse sur les réseaux sociaux.
2. Certes, ces messages, d’une rare violence, exprimaient la haine de l’internaute poursuivi envers les femmes et plus particulièrement les féministes, tenues pour responsables de sa propre misère sexuelle (il se décrit comme un « célibataire involontaire »), et annonçaient la possibilité d’un meurtre de masse dirigé contre des féministes.
Le procès a toutefois permis de mieux cerner la personnalité du coupable, qui n’est pas apparu en définitive aussi violent et dangereux que ses propos et menaces diffusés sur internet, crassement misogynes, pouvaient le laisser entendre. Ce qui n’a pas empêché le parquet général à requérir sans nuance trois ans de prison !
3. Le caractère réellement nouveau et exceptionnel de l’affaire soumise à la cour d’assises de Liège, provient de ce que pour la toute première fois depuis que la Cour de cassation a étendu en 2012 la notion de « délit de presse » aux écrits numériques, ce sont des écrits diffusés sur les réseaux sociaux qui ont été poursuivis devant une cour d’assises et qui ont conduit à la condamnation de leur auteur, par un jury, à de la prison ferme.
4. Il a souvent été soutenu que l’expression délictueuse bénéficiait d’une impunité pénale de fait dès lors qu’elle ne pouvait pas être jugée devant un tribunal correctionnel et que le parquet ne sollicitait plus, depuis très longtemps, la convocation d’une cour d’assises pour la juger.
Pour beaucoup d’auteurs, seule une réforme de l’article 150 de la Constitution, qui attribue au jury d’assises la compétence pour juger des délits de presse, serait de nature à permettre la poursuite effective de ces excès devant un tribunal correctionnel.
5. Même si une proposition de révision de l’article 150 de la Constitution est actuellement en cours de discussion à la Chambre des représentants, les travaux ne semblent plus progresser depuis plusieurs mois et l’annonce faite par le ministre de la Justice V. Van Quickenborne, en mars 2021, d’un « vote avant la fin de l’année », n’est manifestement plus d’actualité.
Il est vrai que l’article 150 de la Constitution a déjà été déclaré ouvert à révision à douze reprises et que, depuis 1995, cet article a été ouvert à révision sans interruption. Cela a permis, en 1999, de correctionnaliser les délits de presse « inspirés par le racisme et la xénophobie ». Mais aucune autre tentative de réforme n’a à ce jour abouti.
6. Face à l’incapacité des responsables politiques à trouver une majorité suffisante pour modifier l’article 150 (il faut une majorité des deux-tiers à la Chambre et au Sénat pour voter une modification de la Constitution) et face à la prolifération des messages de haine et des appels à la violence sur les réseaux sociaux, le pouvoir judiciaire a manifestement décidé de réagir.
7. Déjà en 2019, la Cour d’appel de Liège avait aggravé la peine infligée à un autre internaute pour des messages agressifs et calomnieux à l’égard d’une femme politique locale en lui infligeant dix mois de prisons ferme, au lieu de la peine de travail accordée en première instance.
L’arrêt de la Cour d’appel fut cassé par la Cour de cassation dès lors que l’affaire aurait dû être jugée devant une cour d’assises.
8. Le 15 novembre 2019, un autre internaute a été condamné par le Tribunal correctionnel de Bruxelles à 4.000 euros d’amende pour avoir posté, sur Facebook, à la suite de l’attaque d’un policier à Liège : « Un bon flic est un flic mort ».
Un autre jugement, également du Tribunal correctionnel de Bruxelles, du 4 juin 2020 a condamné (par défaut) un internaute à deux ans de prisons ferme pour avoir diffusé des messages menaçant de mort et insultant diverses personnes.
La question de la compétence de la cour d’assises n’a pas été soulevée dans ces deux affaires.
Le 13 avril 2021, toujours le même Tribunal a encore condamné un internaute à une peine de six mois de prison, dont quinze jours fermes, plus 1.600 euros d’amende, pour avoir proféré des propos racistes et abjects à l’égard de l’ex-présentatrice de la météo à la RTBF, Cécile Djunga.
Enfin, on annonce déjà une éventuelle nouvelle session d’assises, dans les prochains mois, pour un délit de presse.
9. La multiplication de ces séquences judiciaires illustre une tendance, réelle, à vouloir sanctionner pénalement et assez sévèrement, c’est-à-dire souvent avec des peines de prison ferme, les excès de l’expression sur les réseaux sociaux.
Les citoyens doivent en être conscients : on ne s’exprime plus impunément sur les réseaux sociaux.
10. Faut-il s’en réjouir ?
Les expressions visées par les procédures précitées relèvent souvent plus de la bêtise que de la haine (à l’exception notoire de l’affaire Djunga).
Or, il est douteux que la répression pénale de la bêtise réponde à un besoin social impérieux dans une société démocratique, outre que quelques minutes passées sur les réseaux sociaux permettent de constater que la tâche consistant à réprimer toutes ces expressions excessives serait incommensurable.
Sans doute ces procès peuvent-ils avoir un effet dissuasif en faisant comprendre à ceux qui s’expriment outrancièrement sur les réseaux sociaux qu’ils risquent de se retrouver à devoir répondre de ces expressions devant une cour d’assises. Ce n’est pas rien. Outre que l’indulgence du jury – qui lui a parfois été reprochée en matière de délit de presse – n’est manifestement plus au rendez-vous.
11. Mais l’effet dissuasif de ces procédures risque aussi de déborder sur d’autres expressions, qui peut-être heurtent, choquent ou inquiètent, mais qui ne constituent pas nécessairement des délits. C’est pourquoi, une autre voie peut être suggérée, plus radicale mais plus conforme à la protection de la libre expression des opinions, qui consisterait à dépénaliser purement et simplement toutes les expressions sous la seule réserve, quel que soit le mobil poursuivi, des appels à la haine ou à la violence, qui seraient des délits de droit commun, relevant de la compétence du tribunal correctionnel.