« Ce n’est pas ce que vous ne savez pas qui vous pose problème.
C’est ce que vous savez avec certitude et qui n’est pas vrai »
(Mark Twain)
1. L’acquittement de Bernard Wesphael par la Cour d’assises du Hainaut, le 6 octobre dernier, a suscité bien des réactions, des questions et surtout des émotions.
Il ne pouvait de toute manière pas en être autrement en raison de l’engouement médiatique qui n’a eu de cesse d’en faire les grands titres et les unes au point que le relais de son procès y a bien souvent pris le pas sur l’évolution du conflit en Syrie, le sort des réfugiés errant à travers le monde pour le fuir, l’imminence de l’élection du prochain président du des États-Unis ou que sais-je encore ?
Pourtant, des procès d’assises comme celui que les protagonistes de l’affaire dite « Wesphael » ont connu, s’ils ne sont, fort heureusement d’ailleurs, pas monnaie courante, ils n’en sont néanmoins pas exceptionnels et, de manière générale, fort peu s’en émeuvent.
2. Pourquoi dès lors un tel emballement à propos du verdict rendu en cette affaire ?
Certes, la personnalité de l’accusé, ou plus précisément sa notoriété en raison de ses fonctions publiques, en a été un facteur déterminant. Certes aussi, la constante attention des médias depuis son arrestation jusqu’au dernier jour de la session de la Cour d’assises et encore après, expliquent en grande partie le retentissement réservé à ce procès que certains n’ont pas hésité à affubler du titre de « procès de l’année ».
Un peu comme certains restaurants « fast food » élisent mensuellement l’employé le plus méritant pour lui décerner la médaille de « l’employé du mois ».
3. La Cour d’assises a ses détracteurs et ses partisans, on le sait.
Comme toute institution judiciaire, elle a ses qualités et ses défauts.
En cela, elle ne se distingue en rien de toutes les institutions humaines.
Mais, au-delà de ces quelques constats dont on peut débattre à l’infini, comme on le fait d’ailleurs depuis des décennies, ce qui frappe fondamentalement l’observateur quelque peu averti des questions judiciaires est, à l’évidence, la véritable marée de commentaires qui a déferlée presque au moment même où le président de la Cour achevait la lecture de l’arrêt rendu par elle et qui énonçait, selon ce que j’ai pu en lire, de manière détaillée, les motifs qui l’avaient amenée à répondre par la négative à la question portant sur la culpabilité de l’accusé.
Ces vagues de remarques, de questions, d’indignations souvent, avaient toutes le même thème : acquitté, oui mais « seulement » au bénéfice du doute.
Le pas est rapidement franchi : s’il y a doute, c’est donc qu’il pourrait être coupable.
4. Sur un plan de logique formelle, le raisonnement est inattaquable.
Il est en tous sens similaire à celui qui déduit de l’incertitude de l’inexistence d’un Dieu, la possibilité de son existence ou de l’absence de preuve absolue d’une vie après la mort, celle de sa potentialité.
De là à déduire de ces possibilités, leur certitude, il n’y a qu’un espace que certaines religions notamment n’hésitent pas à franchir. L’analyse critique est alors écartée au profit du dogme.
Ce que l’on croit devient alors certain, n’est pas discutable et les non-croyants sont au mieux des ignorants, au pire des ennemis de la « Vérité » dont l’opinion n’a pas droit de cité.
Tant que l’on s’en tient à des discours d’ordre religieux ou de croyances qui n’engagent que leurs adeptes et que ceux-ci ne les imposent pas aux autres, leur liberté ne peut que leur être garantie. Elle le doit d’ailleurs puisqu’il s’agit de la même que celle qui permet à d’autres de penser différemment.
5. Mais il s’agit là de questionnements d’ordre idéologique voire philosophique avec lesquels une justice qui se veut digne de ce nom ne peut s’accommoder.
Lorsqu’un homme, quel qu’il soit, est accusé par la société d’avoir commis un crime, la question n’est nullement de savoir si l’on est certain de son innocence.
Aussi paradoxal que celui que cela puisse paraitre, cette question devient même en ce cas presque accessoire.
Dans tout système judiciaire respectueux des droits et libertés fondamentaux des hommes et femmes qui y sont soumis, il ne pourrait se concevoir qu’il appartienne à celui qui est accusé de prouver son innocence.
La raison en est simple : il est, dans la toute grande majorité des cas, totalement impossible de rapporter cette preuve, s’agissant d’une preuve négative.
En revanche, apporter la preuve d’une accusation, c’est apporter une preuve positive.
Affirmer un fait ne suffit pas à l’établir. Si tel était le cas, la vie en communauté serait tout bonnement inconcevable.
Et établir un fait n’est pas impossible : il s’agit d’en rapporter la preuve.
6. Les moyens pour ce faire ne manquent pas et il est donc parfaitement normal et conforme à un État qui se dit de droit qu’il impose à l’accusateur la charge de la preuve de ses accusations.
Il est tout aussi normal que, s’il ne satisfait pas à cette obligation, ses accusations ne soient pas retenues.
Enfin, les juges, qu’ils soient jurés dans un procès d’assises ou professionnels siégeant dans une juridiction ordinaire, ne se distinguent en rien de ce point de vue : ils n’ont qu’une seule mission, celle d’apprécier les preuves qu’on leur soumet pour établir l’accusation dont ils ont à connaitre.
7. Voilà qui nous ramène à l’acquittement de Bernard W.
En effet – c’est sans doute ici le point nodal des réactions, relevant bien plus souvent de l’émotionnel que du rationnel –, voici ce que l’on a trop souvent entendu ensuite de cet acquittement :
« Au bénéfice du doute, dites-vous ? D’accord. Mais chacun sait que la vérité judiciaire est une chose tandis que la vraie vérité peut en être une autre. Et moi, je demeure convaincu que, puisqu’il a été acquitté au bénéfice du doute, cette ‘vraie vérité’ est qu’il n’en reste pas moins coupable du meurtre de son épouse ».
Je l’ai dit, et je le répète, c’est en raison des principes fondamentaux qui président aux sociétés modernes qui se veulent ancrées sur des valeurs de Lumière, que je laisse les partisans de cette conviction libres de penser de cette manière.
Cette même liberté de pensée est aussi la mienne et elle me permet de leur répondre qu’à mon estime, ils font erreur non pas nécessairement dans leur conviction mais dans le raisonnement qui les y amène.
Revenons un instant en arrière : la mission de juge est de dire, au vu des preuves qui lui sont présentées, si l’accusé qui comparait devant lui est coupable du crime dont on l’accuse.
Elle n’est nullement de dire s’il est coupable ou innocent.
Ce qu’on attend de lui, c’est qu’il statue sur la culpabilité, non pas sur l’innocence de l’accusé.
S’il estime les preuves de cette culpabilité insuffisantes, il acquittera l’accusé.
Même dans les cas exceptionnels où l’innocence de l’accusé serait établie, il ne la déclarera pas comme telle mais, comme dans l’hypothèse d’un manque de preuves, il l’acquittera purement et simplement en répondant par la négative à la question de sa culpabilité.
8. Lorsque deux thèses diamétralement opposées s’affrontent, mais qu’aucune d’elles ne peut prévaloir sur l’autre, il en résulte un doute.
Ce doute amènera en effet à l’acquittement de l’accusé.
Mais à y regarder de plus près, ce n’est pas ce doute en lui-même qui justifie cet acquittement.
En effet, dès lors qu’il y a un doute, un constat s’impose : il n’y a pas suffisamment de preuves de culpabilité pour décider celle-ci établie.
Voilà pourquoi, dans cette hypothèse, les juridictions pénales, qu’il s’agisse d’une Cour d’assises ou d’une juridiction « ordinaire », recourent très régulièrement à la notion de doute pour motiver leurs décisions d’acquittement.
Si ce système n’existait pas, on en arriverait aisément à permettre de « condamner au bénéfice du doute ».
9. Certains régimes politiques n’hésitent pas à recourir à cette méthode. Dans ceux-ci, la justice n’a plus de justice que le nom. Ses principes fondamentaux sont alors l’arbitraire et la négation des droits fondamentaux communément admis comme reflétant des valeurs universelles.
C’est pour ces motifs, et ces seuls motifs, qu’en droit strict, dans notre ordre juridique, un acquittement au bénéfice du doute n’a pas de définition autonome qui serait différente de celle d’un acquittement « pur et dur ».
Ce que je retiens donc de l’acquittement de Bernard W., c’est, et uniquement cela, son acquittement par la Cour d’assises du Hainaut le 6 octobre dernier.
Peu m’importe que la Cour ait précisé qu’il résultait de son analyse du dossier « un doute » quant à sa culpabilité.
10. Je ne prétends pas pour autant que la justice ne commet jamais d’erreurs.
S’agissant d’une activité essentiellement humaine – même si le recours à des méthodes scientifiques de plus en plus sophistiquées s’est considérablement développé au cours de ces dernières décennies, précisément pour aider à la recherche de preuves – comment pourrait-il en être autrement ?
Les couloirs de la mort dans les prisons américaines retenant à l’évidence des détenus dont l’innocence sera établie après leur exécution est l’illustration la plus terrible de ce que la justice peut évidemment se tromper.
Mais, comme le dit l’adage attribué à l’avocat anglais William Blackstone, qui l’aurait énoncé dans le courant des années 1760, « Ne vaut-il pas mieux un coupable en liberté, qu’un innocent en prison » ?
En ce qui me concerne, quant à la réponse à cette question, je n’ai pas le moindre doute.
Votre point de vue
skoby Le 8 novembre 2016 à 18:26
Très bel article et je partage totalement son avis. MAIS on a néanmoins l’impression
d’une part que l’enquête a été mal faites et d’autre part que l’accusé à bénéficié
d’un avocat hors pair. Et s’il est clair que tout accusé a le droit et doit être défendu,
je me pose la question de savoir jusqu’où peut aller un avocat s’il sait que cet
accusé est coupable. De plus, nous avons eu droit à des expertises qui se
contredisaient complètement. Avons nous eu l’avis de vrais experts ?
Je ne peux m’empêcher de croire qu’on n’a pas eu un "bon" procès, car il m’a
semblé baclé.
Laurent MINGUET Le 4 avril 2017 à 20:29
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