1. En premier lieu, comme le rappelle la Cour, selon une jurisprudence constante depuis un arrêt datant il y a cinquante ans déjà (arrêt Walrave et Koch, 12 décembre 1974, n° 36/74), l’exercice des sports relève du droit de l’Union européenne dans la mesure où il constitue une activité économique, ce qui est incontestablement le cas lorsqu’il est le fait de sportifs professionnels ou semi-professionnels. Le traitement du sport comme activité économique a d’ailleurs trouvé vingt ans plus tard une illustration éclatante avec l’arrêt Bosman du 15 décembre 1995 (C-415/93).
2. La Cour assortit cependant ce principe d’une exception en admettant que certaines « règles spécifiques » doivent être regardées comme étant étrangères à toute activité économique, pour autant qu’elles remplissent deux conditions cumulatives, à savoir : (i) être adoptées « exclusivement pour des motifs d’ordre non économique » et (ii) porter « sur des questions intéressant uniquement le sport en tant que tel ».
Ainsi, contrairement à ce que certains arrêts antérieurs avaient pu laisser penser, la Cour n’abandonne pas totalement le concept de « règles purement sportives », auxquelles le droit de l’Union ne trouverait par principe pas à s’appliquer et ce, alors même que nombre d’observateurs ont relevé que toutes les règles sportives, y compris les règles du jeu, comportent en elles une dimension économique et qu’il est donc impossible de trouver des règles totalement « étrangères à toute activité économique ».
3. S’agissant de la portée de cette « exception sportive », la Cour évoque « en particulier » deux catégories de règles :
a) les règles portant sur l’exclusion des joueurs étrangers de la composition des équipes ou sélections participant aux compétitions, tels les jeux olympiques ou certains championnats du monde ou d’Europe, qui confrontent des équipes ou sélections représentatives de leur pays et qui, à ce titre, ne comprennent que des ressortissants ayant la nationalité de l’État dont relève la fédération qui les a sélectionnés ;
b) les règles relatives à la fixation de critères de classement de nature purement sportive, utilisés pour sélectionner les athlètes participant à titre individuel à des compétitions sportives internationales de haut niveau, dès lors qu’ils découlent « d’une nécessité inhérente à l’organisation d’une telle compétition », qui implique forcément l’adoption de certaines règles ou de certains critères de sélection.
4. La Cour souligne que cette exception doit rester limitée à son objet propre et qu’elle ne peut être invoquée pour exclure toute une activité sportive du champ d’application des dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatives au droit économique de l’Union. Elle a par exemple refusé de l’étendre aux règles régissant la composition des équipes participant à des rencontres officielles entre clubs ou aux règles visant à lutter contre le dopage dans des compétitions sportives de haut niveau.
5. À l’exception de ces règles spécifiques, à partir du moment où une activité sportive est une activité économique et entre, à ce titre, dans le champ d’application du Traité, les conditions de son exercice sont alors soumises à l’ensemble des obligations qui résultent des différentes dispositions de celui-ci, en particulier celles relatives aux libertés de circulation et à la concurrence.
6. En effet, et en premier lieu, dès lors que l’organisation et la commercialisation de compétitions sportives constituent une activité économique pour les entreprises qui s’y livrent ou qui envisagent de s’y livrer, les règles adoptées par les associations sportives pour encadrer la participation des clubs et de leurs joueurs à ces compétitions relèvent du champ d’application des dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatives au droit de la concurrence et peuvent donc constituer une entente au sens de l’article 101 du même Traité ou un abus de position dominante au sens de l’article 102 de ce Traité.
Ensuite, ces règles, même si elles ne régissent pas formellement le travail salarié ou la prestation de services des joueurs concernés, ont une incidence directe sur ce travail ou sur cette prestation de services en influençant nécessairement la possibilité dont disposent les joueurs de participer aux compétitions en cause et elles entrent donc dans le champ des dispositions relatives aux libertés de circulation des joueurs professionnels ou semi-professionnels, qui visent toutes les entraves à ces libertés, qu’elles résultent de règles d’origine étatique ou de réglementations de nature non publique qui visent à régler de façon collective le travail salarié et les prestations de services (arrêts Walrave et Koch et Bosman précités).
7. Dans la foulée, la Cour a identifié plusieurs restrictions tant aux libertés de circulation des joueurs qu’à la libre concurrence entre les clubs sportifs résultant de règles adoptées par des associations sportives. Elle est arrivée, par exemple, arrivée à cette conclusion à propos :
(i) des règles relatives aux transferts entre équipes, qu’il s’agisse des indemnités de transfert (arrêts Bosman et FIFA précités), des périodes fixes de transfert (arrêt Lehtonen et Castor Braine, 13 avril 2000, C-176/96) ou des indemnités de formation (arrêt Olympique Lyonnais, 16 mars 2010, C-325/08) ;
(ii) des règles fixant un nombre maximum de joueurs étrangers (arrêt Bosman précité) ou un nombre minimum de joueurs formés localement (arrêt Royal Antwerp Football Club, précité) ;
(iii) des règles soumettant à une autorisation préalable l’organisation d’une compétition sportive (arrêt International Skating Union et European Superleague Company, précités).
8. Cela ne signifie pas que le sport est une activité économique simplement comparable aux autres. C’est la Cour qui, la première, a évoqué dans l’arrêt Bosman « l’importance sociale importante » que revêt l’activité sportive, formule reprise dans la déclaration n° 29 relative au sport annexée au traité d’Amsterdam.
Le traité de Lisbonne a ensuite introduit une référence explicite au sport, aux côtés de l’éducation, la formation professionnelle et la jeunesse, à l’article 165 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dont le paragraphe 1, alinéa 2, dispose que « [l]’Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative ».
Appelée à préciser la portée de cette disposition, la Cour de justice a jugé que les différents éléments et objectifs énumérés à l’article 165 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne « n’ont pas à être intégrés ou pris en compte de façon contraignante » dans l’application des règles concernant les libertés de circulation ou les règles de concurrence et que, plus largement l’article 165 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne saurait être « regardé comme étant une règle spéciale qui soustrairait le sport à tout ou partie des autres dispositions du droit primaire de l’Union susceptibles d’être appliquées à celui-ci ou qui imposerait de lui réserver un traitement particulier dans le cadre de cette application » (arrêt European Superleague Company, précité, § 101).
Il n’en reste pas moins, ajoute la Cour, que l’activité sportive présente d’indéniables spécificités, désormais consacrées à l’article 165 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui, tout en concernant tout spécialement le sport amateur, peuvent aussi se retrouver dans l’exercice du sport en tant qu’activité économique, et que ces spécificités peuvent donc « éventuellement être prises en compte, entre autres éléments et pour autant qu’elles s’avèrent pertinentes », lors de l’application des règles relatives aux libertés de circulation et des règles de concurrence (arrêt Lassana Diarra, FIFA, C-650/22, § 84).
9. C’est ainsi que la Cour a identifié une série d’objectifs, liés aux spécificités de l’activité sportive, considérés comme des objectifs légitimes de nature à justifier une entrave préalablement identifiée aux libertés de circulation ou à la concurrence.
À titre d’exemple, on peut citer :
a) l’objectif consistant à assurer la régularité des compétitions sportives et à maintenir un équilibre entre les clubs, en préservant une certaine égalité des chances et l’incertitude des résultats, objectif qui, dès lors que la composition des équipes constitue un des paramètres essentiels des compétitions au cours desquelles s’affrontent les clubs, est susceptible de justifier l’adoption, par une association sportive, de règles portant sur les délais pour les transferts de joueurs en cours de compétition, mais également de règles destinées à assurer le maintien d’un certain degré de stabilité dans les effectifs des clubs, qui servent de vivier à la composition des équipes susceptibles d’être alignées par ces clubs lors des compétitions de football interclubs (arrêt FIFA précité) ;
b) l’objectif d’encourager consistant à encourager, au niveau local, le recrutement et la formation des jeunes joueurs de football professionnel, qui peut légitimer, dans leur principe, un système garantissant l’indemnisation du club formateur dans le cas où un jeune joueur signe, à l’issue de sa période de formation, un contrat de joueur professionnel avec un club d’un autre État membre (arrêt Olympique Lyonnais précité) de même qu’une règle imposant d’aligner dans une rencontre un certain nombre de joueurs formés localement (arrêt Royal Antwerp Football Club précité) ; ou encore
c) l’objectif consistant à s’assurer, préalablement à l’organisation de compétitions interclubs, par le biais d’une autorisation, que celles-ci « seront organisées dans le respect des principes, des valeurs et des règles du jeu qui sous-tendent le football professionnel, notamment des valeurs d’ouverture, de mérite et de solidarité », mais aussi qu’elles « s’intégreront, de façon matériellement homogène et temporellement coordonnée, dans le ‘système organisé’ de compétitions nationales, européennes et internationales », caractérisant ce sport, qui peut justifier l’adoption de l’adoption de règles relatives à l’autorisation préalable de telles compétitions et à la participation des clubs de football professionnel ainsi que des joueurs à celles-ci (arrêt Euroleague).
10. Encore faut-il que les mesures en cause respectent le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
S’agissant de la condition relative à l’aptitude de telles mesures, si, dans l’affaire Bosman, la Cour a considéré que l’application des règles en cause relatives aux transferts « ne constitue pas un moyen adéquat pour assurer le maintien de l’équilibre financier et sportif dans le monde du football » car elles « n’empêchent pas les clubs les plus riches de s’assurer les services des meilleurs joueurs ni que les moyens financiers disponibles soient un élément décisif dans la compétition sportive et que l’équilibre entre les clubs en soit considérablement altéré », cette condition n’a en revanche, dans les affaires ultérieures, guère suscité de difficulté.
Il n’en va pas de même s’agissant de la seconde. Dans la totalité des affaires dont elle a été saisie, la Cour est arrivée à la conclusion que les règles qu’elle avait à examiner paraissaient aller, sous plusieurs aspects, au-delà, voire, pour certaines, très au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi, qui pourrait l’être par des atteintes moindres aux libertés fondamentales ou à la concurrence que l’application des règles en cause.
11. Au total, la prise en compte des spécificités de l’activité sportive est bien réelle mais elle ne peut être regardée comme permettant d’échapper par principe à l’application pleine et entière du droit de l’Union européenne et elle doit être utilisée avec précaution et parcimonie pour justifier, au cas par cas, des exemptions aux interdictions que celui-ci édicte.