1. La séance d’installation du Parlement wallon, quelques semaines après les élections du 25 mai 2014, l’aura démontré mieux que jamais : la règle qui habilite les membres d’une assemblée législative à trancher les réclamations électorales relatives à leur propre élection ne convient guère à un État démocratique contemporain.
2. En droit belge, le contentieux postélectoral relève de deux procédures différentes selon le niveau de pouvoir qui est concerné. Les recours contre les élections communales (et provinciales en Flandre) relèvent en dernière instance du Conseil d’État et peuvent aboutir à l’annulation du scrutin, comme ce fut le cas à Brugelette après les élections d’octobre 2012.
En revanche, les réclamations contre les autres élections (européennes, fédérales, communautaires, régionales et, en Wallonie, provinciales) échappent au contrôle des juges, qui ne sont pas habilités à connaître de ces litiges, ainsi que l’a rappelé le tribunal de première instance de Bruxelles dans une ordonnance du 10 juin dernier. En effet, selon les règles de droit en vigueur, les assemblées élues se prononcent elles-mêmes sur la validité des opérations électorales de leurs membres. En d’autres mots, ce sont par exemple les membres nouvellement élus du Parlement wallon qui tranchent les recours contre les élections régionales et qui statuent sur la composition dudit Parlement.
Ceci fait abstraction du contentieux relatif aux dépenses électorales, qui relève de règles particulières.
3. La vérification des pouvoirs des élus par les élus est un mécanisme classique des régimes parlementaires.
Il vise à l’origine à assurer effectivement la séparation des pouvoirs : dans les démocraties balbutiantes, il paraissait nécessaire de confier au parlement lui-même la prérogative de trancher les litiges relatifs à sa composition et d’éviter ainsi l’immixtion au sein du pouvoir législatif du monarque, de son administration ou des juges qui pouvaient en dépendre.
À l’heure où les couronnes ont perdu l’essentiel de leur pouvoir et où les juridictions offrent des garanties d’indépendance, l’argument qui justifiait autrefois la règle n’est plus soutenable.
Au contraire, le principe de séparation des pouvoirs incite désormais à confier le contentieux électoral à une autorité indépendante dont les décisions sont moins sujettes à caution. C’est d’ailleurs ce qui a été décidé dans de nombreux États, tels le Royaume-Uni, la France ou l’Espagne.
4. Une réforme du droit belge apparaît plus pressante encore depuis que la Cour européenne des droits de l’homme, par son arrêt Grosaru du 2 mars 2010, a condamné un système semblable appliqué en Roumanie, au motif que ce dernier n’était « pas de nature à fournir un gage suffisant d’impartialité ».
Certes, la décision de la Cour ne vise pas directement notre pays et elle manifeste même une certaine tolérance envers quelques États d’Europe occidentale, dont la Belgique, en ce qu’ils « jouissent d’une longue tradition démocratique qui tend à dissiper les doutes éventuels quant à la légitimité d’une telle pratique ». Cette nuance jurisprudentielle ne signifie cependant pas que la Cour validerait le système belge si elle venait à être saisie d’un recours dirigé contre celui-ci : les juges de Strasbourg ont présumé que l’impartialité était de rigueur dans une démocratie stable comme la Belgique, mais il conviendrait encore de transformer cette supposition en conviction sur la base d’un examen concret.
Or, sans mettre en cause la vertu et la probité des parlementaires belges, on peut douter que le contexte dans lequel ils sont amenés à se prononcer sur des réclamations électorales soit propice à assurer l’objectivité et l’impartialité requises. Les membres, généralement tirés au sort, des commissions de vérification des pouvoirs au sein de chaque assemblée sont en effet invités à trancher des recours dont ils ont à peine le temps de prendre connaissance et dont l’issue est susceptible d’avoir une répercussion, sinon sur l’attribution de leur propre siège, au moins sur celle du siège de membres de leur parti. La commission adresse ensuite un rapport à l’assemblée plénière du parlement, qui se prononce définitivement afin de permettre aux parlementaires, dont les pouvoirs viennent d’être validés, de prêter serment dans la foulée.
Les parlementaires sont donc juges et parties à un procès qui, pour permettre aux assemblées de fonctionner à partir du jour légalement prévu pour leur installation, s’avère par ailleurs expéditif.
5. Afin d’offrir aux requérants – mais aussi à l’ensemble des citoyens – de meilleures garanties d’objectivité et d’impartialité, il conviendrait de prévoir à tout le moins la possibilité d’exercer un recours contre les décisions de validation des pouvoirs prises par les assemblées législatives.
Le droit allemand, qui habilite la Cour constitutionnelle fédérale à contrôler les décisions du Bundestag sur les contestations électorales, pourrait à cet égard constituer une base de réflexion inspirante.
6. Mais ceci nécessiterait, pour les assemblées fédérales, une modification de la Constitution elle-même puisque c’est cette dernière qui confie à chacune d’entre elles la compétence de valider le pouvoir des élus qui les composent ; pour les parlements communautaires et régionaux, il faudrait modifier les lois organiques, pour la plupart adoptées à la majorité spéciale, qui consacrent le même système.
Votre point de vue
Thierry DE GROOTE Le 21 mai 2019 à 16:48
Bonjour n’étant pas juriste, ni candidat, ni même affilié à quelque parti que ce soit. Je m’interroge sur le caractère à mon avis illégal de la distribution de tracts en turc ou en arabe. Je comprendrais qu’il y ait une traduction dans les langues allochtones en parallèle à un texte rédigé dans les langues nationales. Mais il semblerait que certains textes sont une véritable incitation à la haine. Ce genre de comportement me semble devoir être réprimandé en référé avant même les élections ! Est-ce possible ? Qui peut en prendre l’initiative ?
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Lecoq Le 25 juin 2014 à 17:58
La cour constitutionnelle pourrait être en effet chargée de tels recours.
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Gisèle Tordoir Le 24 juin 2014 à 21:08
Pour ma part, je ne fais guère davantage confiance en la "justice" qu’en nos politicards...Si elle fonctionnait correctement, cela se saurait...Et puis, comme elle le fait savoir à tout bout de champ, spécialement quand cela l’arrange, la "justice" est débordée, n’a pas le temps ni surtout les moyens ni financiers, ni humains...Alors, qu’elle se limite à faire ce pour quoi elle est indispensable...Je suis, par contre, d’avis que lors du dépouillement, soient présents des citoyens volontaires, réellement intéressés par la chose politique, capables d’impartialité, de probité, d’équité, d’intégrité, de neutralité, d’objectivité, de correction, de civisme, de toutes tendances et sensibilités, compétents quoi...Quelle honte et quelle déception de devoir admettre que notre pays ne fonctionne pas autrement que les "républiques bananières" que nos dirigeants, via la presse subsidiée, s’autorisent à critiquer...Qui sont-ils ces incapables ? Quand retrouverons-nous un système vraiment démocratique, à la hauteur de nos attentes, de nos ambitions, de nos besoins, de nos rêves ???Donner le dernier mot au niveau de la validation des résultats électoraux au monde judiciaire serait une aberration de plus dans le dysfonctionnement actuel de nos institutions dont la "justice" est un des piliers essentiels. Pauvre "justice" et pauvres justiciables...
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skoby Le 20 juin 2014 à 11:59
Il est clair que le système actuel est boîteux ! D’autre part il me paraît
inadmissible qu’on ait utilisé pour les votes électroniques en Wallonie, du
matériel trop vieux et inadéquat.
La Justice devrait pouvoir décider si un recomptage est nécessaire au vu
des informations récoltées.
Mais d’autre part notre Justice étant tellement débordée et d’une lenteur
inadmissible, il me paraît, au stade actuel, assez utopique de croire que
donner à la Justice, le dernier mot au niveau de la validation des résultats
soit le bon système.
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