Un débat autour de « Casus belli » : compte-rendu

par Siham Najmi - 27 octobre 2014

Casus belli, le dernier film d’Anne Lévy-Morelle, est projeté pour le moment à Flagey, et ce jusqu’au 16 novembre 2014 (cliquez ici).

Le 28 septembre dernier, la projection a été suivie d’un débat en présence de la réalisatrice, de l’anthropologue Barbara Truffin et de Florence van de Putte, avocate et médiatrice.
En voici le compte rendu.

Ce 28 septembre donc, Anne Lévy-Morelle, la réalisatrice de Casus belli, était entourée de Barbara Truffin, docteur en anthropologie à l’Université libre de Bruxelles et chargée de cours à la faculté de droit de cette université, qui a notamment développé des recherches ethnographiques sur les justices de paix en Belgique, et de Florence van de Putte, avocate et médiatrice, présidente de l’a.s.b.l. « Trialogues », centre de médiations, de formations et d’aide à la gestion des conflits, pour échanger leurs vues à partir des thématiques du film.

Salle comble pour l’occasion. Nombreux refoulés sur le perron. Le public se partage entre gens de médiation et gens de justice, rameutés par les participants du film.

Les deux médiateurs de la mission locale d(Ixelles, Eléonore Stevens et Jean De Lathouwer, ainsi que le juge de paix de Saint-Gilles, Guy Rommel, acteurs de vérité de ce documentaire salé, voient enfin l’aboutissement d’un travail entamé il y a cinq ans.

Cinq ans durant lesquels il a fallu observer, se faire accepter, se faire oublier, obtenir les autorisations de filmer, poser la caméra jour après jour et laisser la nature humaine s’y briser. Pas besoin d’intervenir pour insuffler de la fiction. La justice de paix et le bureau local de médiation « sont deux endroits où les gens ont une auto-mise en scène d’eux-mêmes, une dramaturgie naturelle », analyse Anne Lévy-Morelle, qui se dit fascinée par son observation de l’humanité au-dessus de l’épaule du juge, façon « position archaïque de mouche invisible », comme dirait Bruno Latour. Façon aussi Raymond Depardon dans sa Dixième Chambre. « Ce qui importait, c’est ce qui se passait à l’audience », relate la réalisatrice, restée perchée côté siège du tribunal le temps du tournage, avec « une discrétion admirable », reconnaît le juge Rommel, sans jamais chercher à savoir ce que contenaient les jugements.

« Dans un monde où on a une opinion très vite, je trouvais intéressant de montrer des lieux où on est obligé de suspendre cette opinion. », explique la réalisatrice, qui, de fait, prend le temps de laisser les événements lentement se mouvoir, se chercher une solution qui leur est propre, qui leur ressemble à Ixelles, et de voir se précipiter le traitement minuté des affaires devant un juge qui impose la voie la plus juste ou tente en tout cas d’amener les parties sur le terrain du compromis à Saint-Gilles. Cette dernière mission de conciliation, durant laquelle le magistrat gomme ses aspérités d’autorité, conserve encore le poids de son interventionnisme. Au point qu’une spectatrice dans la salle se dise étonné par le caractère expéditif de la chose, surtout comparée aux chambres de conciliation mises en place au Tribunal de la famille, dont la pluralité des membres donne un autre goût à cette technique de règlement de conflit. A ce propos, Barbara Truffin rappelle que la formation des juges reste un débat de société criant, notamment du point de vue de leurs moyens.

Finalement, ce sont les mêmes histoires qui sont traitées en justice de paix et en médiation. La seule différence, c’est que certaines personnes ont besoin qu’on tranche pour elles et certaines refusent que la solution vienne de l’extérieur, remarque Florence Van de Putte. La médiatrice pointe aussi le fait que la médiation séduit surtout les personnes venant d’une certaine culture, par le caractère volontaire de sa démarche.

Devant la justice de paix où tout le monde peut être convoqué, les affaires sont d’une grande variété et balayent un public très large, observe, quant à elle, Barbara Truffin qui a mené une étude sur la question, dont elle retire comme conclusions un nombre impressionnant de jugements par défaut, l’abondance des cas de divorces liés au rôle de proximité du juge de paix (mais sans doute amenuisé dans les années à venir avec le nouveau Tribunal de la famille), surtout dans les milieux multiculturels où les femmes demandent l’intervention étatique, ce qui donne lieu à un discours paternaliste comme on en voit dans le film. Et puis, il y a environ 30 % des cas où le demandeur est assisté d’un avocat alors que le défendeur ne l’est pas, ce qui pose question quant à l’égalité des armes. La tâche du juge est alors aussi celle de rééquilibriste.

Tour à tour équilibriste, autoritariste, bienveillant, paternaliste, Guy Rommel offre à Anne Lévy-Morelle un personnage haut en couleurs qui se prête à merveille au difficile exercice de portrait.

Portrait juste d’une société qui essaie de l’être, de ses petites misères, de ses règlements de conflits, mais aussi de ses individus, Casus Belli constitue un miroir dans lequel il est urgent de se contempler tant les questions que le film pose, sans avoir l’air d’y toucher, nous concernent tous.

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