La Cour européenne des droits de l’homme permet à tout citoyen qui a échoué à faire valoir une éventuelle violation de la Convention européenne des droits de l’homme devant ses juges nationaux à porter cette question devant elle en vue d’obtenir la condamnation de l’État fautif.
Ce système particulièrement audacieux – on a tendance à l’oublier – a ainsi été accepté par les États du Conseil de l’Europe qui permet à une instance supranationale de les juger, faisant ainsi sortir les droits de l’homme du domaine réservé des États.
Les droits de l’homme ne sont plus seulement proclamés : leur respect est aussi contrôlé de l’extérieur.
Mais il y a parfois eu loin de la coupe aux lèvres quant aux délais dans lesquels la Cour a rendu ses arrêts.
Active depuis le milieu du siècle dernier, cette Cour européenne, d’abord assez peu sollicitée, reçoit en effet depuis de nombreuses années un nombre sans cesse croissant d’affaires, qu’elle a longtemps eu bien du mal à traiter dans des délais raisonnables : d’année en année, le nombre d’affaires en souffrance augmentait.
Depuis quelque temps, la tendance se renverse.
Ainsi, après que le nombre d’affaires en traitement ait monté, en septembre 2011, jusqu’à 161.000, ce chiffre, à la fin 2013, est tombé à 99.900 et, à la fin 2014, à un peu moins de 70.000.
Dean Spielmann, président de la Cour, vient de faire connaître ces bonnes nouvelles. Selon lui, les méthodes de travail adoptées depuis les réformes apportées par des adaptations à la Convention ont porté leurs fruits, notamment la possibilité pour un juge statuant seul (un « juge unique ») de déclarer les affaires irrecevables et la mise en place de la section chargée du filtrage, ce qui permet d’écarter des formations normales de jugement les affaires elles aussi irrecevables ou pouvant être jugées sur la base d’une jurisprudence bien établie de la Cour.
A l’occasion de la conférence de presse, la Cour a également rendu publics son rapport annuel d’activité et ses statistiques pour 2014. Le tableau annuel des violations par pays montre que les États à l’égard desquels a été rendu le plus grand nombre d’arrêts constatant au moins une violation de la Convention étaient la Russie (122 arrêts), la Turquie (94), la Roumanie (74), la Grèce (50) et la Hongrie (49). Par ailleurs, au 31 décembre 2014, la majorité des affaires pendantes étaient dirigées contre l’Ukraine (19,5 %), l’Italie (14,4 %), la Russie (14,3 %) et la Turquie (13,6 %). La moitié des affaires prioritaires provient de la Russie et de la Roumanie.
En 2014, dix-neuf arrêts ont concerné la Belgique, dont seize concluant à la violation d’une ou plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme
Le président a réitéré sa préoccupation quant au volume d’affaires répétitives, qui représente plus de la moitié des affaires pendantes, même si leur nombre a considérablement diminué en 2014.
Il a insisté sur la nécessité pour chaque pays membre de faire en sorte que les problèmes endémiques soient résolus au niveau national plutôt que d’être portés devant la Cour.
Quant au contenu des arrêts, c’est une autre affaire. Justice-en-ligne y fait d’ailleurs souvent écho.
Votre point de vue
Gisèle Tordoir Le 4 avril 2015 à 16:55
La Cour européenne des Droits de l’Homme fonctionne-t-elle réellement mieux que la "justice" nationale ? Si oui, mais j’ai un énorme questionnement, c’est bon à savoir et c’est plutôt rassurant...Mais c’est tout de même un comble, c’est tout de même inquiétant et difficilement assimilable que l’on puisse se trouver dans la situation de devoir attaquer son pays du fait de n’avoir pas eu droit à une "justice" équitable !!!Mais quelle garantie a-t-on que le juge unique n’aie pas comme consignes de désigner irrecevables des affaires pour le moins gênantes comme le déni de "justice" (que connaissent malheureusement des citoyens, dont j’estime faire partie) ? Quid du filtrage ? Je me pose parfois la question suivante : si l’on programmait, c’est-à-dire installait sur l’ordinateur, les logiciels reprenant tous les cours de droit, tous les règlements, toutes les lois, toutes les pénalités en vigueur ; n’aurait-on pas davantage de chances qu’une décision juste, équitable, sans état d’âme (dont l’inimitié parfois ressentie et vécue), tenant uniquement compte des prescriptions en tous genres existantes, soit prise ? Il n’y aurait, dès lors, plus place pour l’erreur humaine commise en toute intime conviction par le magistrat (juge, procureur, président du tribunal...Je suis persuadée que la machine se tromperait moins que l’humain. Cela vaudrait la peine de tenter l’expérience...Une piste pour régler l’arriéré judiciaire ? Pour réduire les dépenses, les frais, les finances, les besoins tant mis en exergue par la profession...
Martin Le 12 avril 2015 à 14:25
Lorsqu’un juge est amené à trancher un conflit, il y a nécessairement un "gagnant" et un "perdant". La tentation (facile) pour la partie succombante est évidemment de critiquer son juge, de voir dans sa décision une mauvaise application ou une mauvaise interprétation des règles de droit (car bien évidemment le "perdant" est sûr de son droit) ou comble de l’horreur de clamer haut et fort que tout était jouer d’avance parce que "les loups ne se mangent pas entre eux" et puis "le juge et l’avocat de la partie adverse doivent être copains comme cochons". Enfin si par malheur le juge d’appel devait confirmer la décision du premier juge d’aucuns y verront sans doute une association de malfaiteurs.
Et si, en fin de compte, il ne s’agissait pas d’une erreur ? impensable, le "perdant" se voit toujours au mieux comme un "gagnant incompris" ou au pire comme "victime d’une horrible machination"
Gisèle Tordoir Le 14 avril 2015 à 15:41
Tout ce que vous écrivez n’engage, bien évidemment, que vous...On croirait presque à du vécu !!! Si ce n’était pas dommageable, cela prêterait à sourire, voire à faire dans l’humour, un peu comme vous, quoi...Mais ce qui est extrêmement grave et dramatique c’est l’incapacité du monde judiciaire (tous satellites compris) à reconnaître les erreurs et encore moins à accepter la critique, la dénonciation des dysfonctionnements...La vérité est fondamentale, pour moi. Sans vérité, il n’est que chaos...Je ne m’estime pas perdante mais plutôt injustement condamnée du fait de collusion, d’iniquité, de partialité, d’esprit corporatif voire d’incompétence. Les termes "perdant/gagnant" me font davantage penser au domaine du jeu qu’à celui de la justice...Quoi que, finalement, dans la réalité, une vraie justice équitable, proche du citoyen tient en effet de la loterie, donc du jeu. C’est peut-être pour cela que vous utilisez ces termes. Moi, je m’estime victime d’une injustice pas d’un jeu où la chance m’aurait manqué...A force de lire, d’entendre et/ou de connaître des cas d’erreurs dans les décisions de justice, je maintiens, en effet, que trop souvent les dés sont pipés. Je suis certaine que je suis loin d’être la seule à penser cela. Ce qui m’interpelle énormément est que, malgré les études poussées de droit et l’expérience due à l’ancienneté, les magistrats se trompent tant et si souvent. Des cas d’erreurs judiciaires, il y en a à la pelle...C’est cela l’horrible machination faisant tant de victimes...Alors, permettez-moi d’exprimer toute ma défiance et cela sans rire du tout...Pour résumer, j’ai plus qu’un doute tant quant à l’efficacité de la CEDH que de la justice nationale...
Georges-Pierre Tonnelier Le 18 avril 2015 à 10:07
C’est également pour éviter ce sentiment de "gagnant/perdant" que l’on a tendance, de plus en plus, à favoriser la médiation, où chacun a, contrairement à une décision de justice, l’impression de sortir gagnant.
Georges-Pierre Tonnelier, Juriste
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Le 7 avril 2015 à 10:24
Pas d’accord du tout avec la condamnation de la Belgique dans l’affaire Trabelsi, pour son extradition aux USA... Voilà un homme qui planifie des attentats meurtriers contre une base américaine et belge sur le sol belge... et il serait interdit de l’extrader dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ??? A quoi on joue ? Et tout cela motivé car les USA peuvent condamner dans des faits graves à des peines à perpétuité incompressibles... Mais heureusement que des pays ont le courage de prévoir des peines incompressibles dans des délits graves comme le terrorisme !
C’est une question de simple bons sens... Ras le bol du juridisme...
De plus, Trabelsi n’a jamais émis aucun regrets, bien au contraire, et n’a pas du tout collaboré à l’enquête. Après ses 10 ans (s’il n’est pas libéré "avant" comme Michèle Martin), il était libre de recommencer... Voyons également Pierre Carette chez nous, condamné "à perpétuité", n’ayant jamais émis le moindre regret et rejetant la faute sur les services de police, qui dans les jours qui ont suivi sa libération conditionnelle après 17 ans (pour avoir "déchiqueté" deux pompiers avec ses explosifs, rappelons-le), a repris contact avec ses comparses alors que cela lui était interdit explicitement dans les conditions de libération.... Qu’a fait le tribunal d’application des peines : il a fermé les yeux..... Un gifle de plus aux deux familles des pompiers massacrés. Je suis triste quand le droit s’éloigne du souhait de justice des "braves gens", de la majorité silencieuse. Ce n’est plus du droit, c’est de la casuistique jésuitique éloignée de la réalité, de l’horreur de certains crimes, de l’absence totale de regrets...
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skoby Le 6 avril 2015 à 12:09
J’aime assez le message de Madame Gisèle Tordoir.
Et surtout sa conclusion au niveau du "moins d’erreurs", l’arriéré judiciaire,les frais etc..
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Georges-Pierre Tonnelier Le 5 avril 2015 à 14:07
Il ne saurait être question, bien entendu, de remettre en question les avancées démocratiques que nous devons à la Cour européenne des droits de l’homme. Je pense notamment, mais sans exclusivité, à la présence d’un avocat dès les premiers interrogatoires d’un suspect par la police.
Cependant, la précédent réflexion ne pourra dispenser tout véritable démocrate du questionnement suivant. On peut se demander, toujours d’un point de vue démocratique, s’il est légitime que les décisions prises par les juges de Strasbourg l’emportent sur les choix, posés par les urnes, des peuples européens, ce qui est le cas lorsque ce sont les législations nationales qui doivent s’adapter au contenu juridique des arrêts rendus par la CEDH et non l’inverse.
Car, finalement, qui, des représentants élus démocratiquement des peuples européens ou des magistrats de la CEDH, décident véritablement des normes qui doivent s’appliquer en Europe ?
C’est peut-être un mieux pour les droits de l’homme que ce soient les décisions de la CEDH qui obligent les législateurs nationaux à revoir leur copie plutôt que l’inverse, mais alors, ne devrait-on pas se rendre à l’évidence : plus qu’un gouvernement élu, c’est un gouvernement des juges qui dirige nos pays européens.
Georges-Pierre Tonnelier, Juriste
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