1. Les faits en cause. Le 21 octobre 2010, dans le cadre de manifestations qui se tiennent à Lyon, plusieurs manifestants se regroupent en fin de matinée sur la place Bellecour d’où un cortège doit prendre son départ. Suite à de précédentes altercations et craignant que des débordements se reproduisent, la police décide de mettre en place un dispositif d’encerclement (ou « nasse ») afin d’empêcher les éléments perturbateurs de se mêler à la manifestation. Concrètement, les personnes présentes sont dans l’impossibilité de quitter la place Bellecour et de rejoindre la manifestation, qui a pourtant été prévue et autorisée.
Cette situation dure plusieurs heures et, même si la police permet à plusieurs personnes de quitter les lieux, ce n’est qu’en fin de journée que le dispositif est totalement levé.
2. Les griefs invoqués. À la suite de ces évènements, des manifestants présents sur la place Bellecour ce jour-là ont introduit une plainte du chef d’atteinte arbitraire à la liberté individuelle par un dépositaire de l’autorité publique.
Cette plainte n’ayant pas abouti devant les juridictions françaises, les parties décident de porter cette affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, devant laquelle elles contestent la légalité de la technique de l’encerclement.
3. La décision de la Cour. Dans son arrêt du 8 février 2024, Auray c. France, la Cour rappelle que, s’il revient aux États d’assurer le maintien de la paix et de l’ordre publics (§ 87), l’intervention des forces de l’ordre nécessite une base légale (§ 90).
Or, elle note qu’à la date des faits litigieux, aucun texte légal ne prévoyait expressément le recours à la technique de l’encerclement utilisé par les forces de l’ordre sur la place Bellecour (§ 91).
La Cour considère qu’un cadre juridique général relatif au maintien de l’ordre ne suffit pas à garantir des atteintes arbitraires aux libertés de circulations des personnes, d’expression et de réunion (§§ 93 et 106). Par conséquent, l’ingérence dans l’exercice de ces libertés n’était pas, à la date des faits, « prévu par la loi » et viole donc la Convention européenne des droits de l’homme (§§ 94 et 107).
Ce faisant, la Cour assoit sa vision protectrice en matière de protection des rassemblements publics (voir par exemple les arrêts suivants de la Cour européenne des droits de l’homme : Laurijsen et autres c. Pays-Bas, 21 novembre 2023 ; Shmorgunov et autres c. Ukraine, 21 janvier 2021).
4. Qu’en est-il en Belgique ? En Belgique, le maintien de l’ordre en matière de manifestation obéit majoritairement à la philosophie de la gestion négociée de l’espace public : mise en pratique depuis les années 1990 et formalisée par des circulaires en 2011 et 2014, la « gestion négociée de l’espace public » promeut la coopération et une plus grande tolérance policière, qui donne la priorité à une présence discrète des policiers et au dialogue.
Toutefois, les forces de l’ordre belge recourent aussi à la technique de l’encerclement (Vincent De Lannoy, « Ça passe ou ça nasse », Médor, 2 juin 2023) bien qu’aucune disposition légale ne définisse ou délimite cette technique. Tout au plus est-il prévu par l’article 37 de la loi du 5 août 1992 ‘sur la fonction de police’ que « tout recours à la force doit être raisonnable et proportionné à l’objectif poursuivi ».
Or, d’après les enseignements de l’arrêt Auray c. France, le dispositif législatif belge semble insuffisant : selon la Cour, il est essentiel que soient définies de manière précise les circonstances et les conditions de sa mise en œuvre, les modalités de son déroulement et les limites dans le temps de son utilisation.
Au regard de ces éléments, le cadre juridique général relatif au maintien de l’ordre applicable en Belgique ne peut suffire à encadrer la technique de l’encerclement.