Le jugement rendu ce 22 février 2010 par le tribunal correctionnel de Tournai pour juger des responsabilités pénales et civiles dans l’explosion de Ghislengien suscite la controverse. Olivier Klees, avocat, vous propose, dès le lendemain de ce jugement, un premier regard sur cette décision.

Je n’ai pas encore eu l’occasion de prendre connaissance du jugement prononcé dans l’affaire dite de Ghislenghien, rendu hier par le tribunal correctionnel de Tournai.

La longueur de son prononcé semble être inversement proportionnelle à l’immédiateté des réactions qu’il suscitait, alors même que sa lecture n’était pas encore achevée.

A en croire les premiers échos relayés par les médias, il serait décevant.

D’abord pour les parties civiles qui, comme les compères qui attendaient Godot ne l’ont jamais vu arriver, comptaient bien que Justice leur soit rendue.

A en croire certains médias, il n’en fut rien. Seules quelques condamnations ou déclarations de culpabilité, je n’en sais même rien, ont été prononcées. Mais, sauf ces exceptions, c’est l’acquittement des accusés qui a fait la une.

A un point tel qu’alors que j’écoutais distraitement je ne sais plus quelles « nouvelles » radiophoniques, mon oreille a été réveillée, j’imagine inconsciemment, par les propos du procureur du Roi annonçant que la décision d’en interjeter appel avait été prise. Et ce même magistrat de poursuivre quelques mots plus tard, mais quand même plus tard, que la motivation du tribunal méritait assurément d’être examinée et que, si elle s’avérait justifiée, il serait encore temps de renoncer à cet appel à l’égard des uns ou des autres.

Ainsi donc, il n’y aurait de Justice sans coupables.

Le tribunal avait à juger les suites d’une catastrophe due à l’activité humaine et qui a décimé des êtres dont l’innocence crevait les yeux et ruiné la vie de familles entières. Par les temps qui courent, il est devenu presque inconvenant d’admettre que pareil drame puisse aboutir, au terme d’un long et pénible processus judiciaire, au constat que les accusés s’en trouvent finalement blanchis.

Que l’on ne se méprenne pas. Je n’ose m’imaginer être l’une de ces victimes.

Comme chacune d’elles, je n’aurais qu’une seule idée en tête : extirper de mon être la douleur, la tristesse, le chagrin, le manque et toutes ses émotions, ô combien légitimes, qui m’empêcheraient à jamais d’encore profiter de la vie tout simplement.

Il n’y a évidemment nulle provocation dans mon propos.

Bien plus humblement, il n’a pour objet que de rappeler que la véritable force d’une société qui se revendique de droit et démocratique se mesure à son aptitude à respecter les règles qu’elle s’est données en les fondant sur des valeurs considérées comme fondamentales, voire universelles.

Parmi celles-ci, il y a les règles de droit, qu’elles soient de fond ou de forme.

Le rôle d’un juge est de les appliquer, oserais-je aller jusqu’à dire « sans état d’âme ».

Je ne peux concevoir que dans l’affaire de Ghislenghien, le tribunal ait fait autre chose. Il m’est revenu que l’un des reproches qui lui est adressé serait qu’il ait fait preuve d’un « excès de légalisme ». Serait-ce à dire qu’il aurait du « oublier » les règles de droit et s’en remettre à son émotion ou à je ne sais quel autre critère ?

Assurément la tâche eût été plus facile pour les magistrats. Techniquement parlant d’abord et médiatiquement ensuite.

Mais la Justice aurait-elle alors été au rendez-vous ?

On semble aussi s’émouvoir de la différence d’approche des juges du siège (le tribunal) et du ministère public (le procureur du Roi).

Mais n’est-ce précisément pas là la marque d’indépendance et d’impartialité dont chaque justiciable, qu’il soit victime ou accusé, revendique, à juste titre, le respect scrupuleux ?

La décision d’interjeter appel du jugement a été prise. Fort bien. Il s’agit là d’une voie de recours prévue par la loi et il fait partie des règles que ceux qui en disposent puissent l’exercer.

Il n’en demeure pas moins que je n’arrive pas à faire disparaître le bourdonnement qui m’a envahi les tympans depuis que j’ai cru comprendre que cette décision avait été prise avant même que les arguments du tribunal aient été, non pas relus, mais seulement lus et examinés à tête reposée.

Si, en matière de Justice, la lenteur est encore bien trop souvent de mise, il ne faudrait pas verser dans l’excès inverse.

L’art de juger est en effet un art comme celui de guérir. Ses praticiens ne sont assurément pas tous parfaits et des erreurs sont commises. Le contester reviendrait à nier l’existence du soleil.

Avant toutefois de crier au scandale, le recul, la réflexion, la remise en question et l’analyse critique restent de bons ingrédients pour ne pas en commettre d’autres et donner à la Justice une autre mission que celle qui est la sienne : appliquer, dans le respect des procédures, la loi de la même manière à l’égard de tous, qu’ils soient victimes ou accusés.

Peut-être aussi et surtout, arrêter de penser qu’elle est le remède à tous les maux de la société.

Et finalement à en arriver à la qualifier elle-même de malade lorsqu’elle acquitte, alors que l’on voudrait tant qu’elle condamne afin de pouvoir dire, mais sans le discernement qui pourtant devrait s’imposer, « Justice est enfin rendue ».

Votre point de vue

  • mélusine
    mélusine Le 26 février 2010 à 19:30

    Après la catastrophe de Ghislengien, Fluxis a considérablement changé ses règlements de sécurité sur les chantiers. Il y avait donc bien un problème à ce niveau. Après le jugement, Fluxis aurait pu avoir la décence de ne pas se réjouir et faire un geste important envers les victimes (peut-être fut-il fait ?!!!).

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