1. Pour rappel, le contentieux des élections communales est confié, en première instance, à des juridictions administratives qui diffèrent de Région à Région : le Collège provincial en Région wallonne, le Collège juridictionnel de la Région de Bruxelles-Capitale à Bruxelles et, en Région flamande, un « Collège provincial des contestations électorales », composé de trois membres nommés par le gouvernement régional (voir à ce sujet, notre chronique précédente publiée le 4 novembre 2012 sur Justice-en-ligne, « Clochemerle au Conseil d’Etat : le contentieux des élections communales »).
C’est donc ce Collège provincial, plus particulièrement pour la province du Brabant flamand, qui est amené à se prononcer, en première instance, sur les réclamations introduites à l’encontre des élections communales dans les communes périphériques, notamment à Linkebeek, Kraainem et Wezembeek-Oppem, où l’on sait que le contentieux communautaire est le plus aiguisé.
La décision de la juridiction doit être prononcée au plus tard dans les 30 jours de l’élection, à défaut de quoi le résultat proclamé par le bureau principal le soir de l’élection devient « définitif », selon les termes de la loi (art. 75, § 1er, alinéa 4, de la loi électorale communale ; art. 85quinquies, § 1er, alinéa 2 du décret flamand du 10 février 2006). Comme l’énonce le professeur Michel Leroy, « cette approbation implicite d’un acte déféré à une juridiction est aberrante : elle érige le déni de justice en mode de règlement des litiges. L’approbation implicite ne peut, faute de débat, de motivation et, plus simplement d’instrumentum [c’est-à-dire d’acte formalisé, ndlr], être considérée comme une décision juridictionnelle » (M. Leroy, Contentieux administratif, éd. Anthemis, 2011, p. 910).
C’est contre cette décision qu’un recours est ensuite ouvert devant le Conseil d’Etat, statuant au contentieux de pleine juridiction, dans le cadre d’une procédure spéciale, imposant au requérant un délai de huit jours pour introduire son recours et au Conseil d’Etat un délai de soixante jours pour prononcer son arrêt à dater de l’introduction du recours (délai dit « d’ordre » en langage juridique, c’est-à-dire sans incidence sur la régularité de l’arrêt). « Contentieux de pleine juridiction » signifie qu’au contraire de la plupart des affaires soumises au Conseil d’État, qui ne peuvent conduire qu’à une suspension ou à une annulation de l’acte attaqué, la juridiction a ici le pouvoir de réformer celui-ci, ce qui implique que l’arrêt du Conseil d’État se substitue à celui du Collège provincial.
Il faut encore rappeler ici que les irrégularités susceptibles d’entraîner l’annulation des élections sont limitées à celles qui ont été de nature à en fausser le résultat. Ceci explique que les arrêts d’annulation sont extrêmement rares en ce domaine, la plupart des irrégularités, à les supposer établies, n’étant en règle générale pas d’une importance telle qu’elles entraînent un déplacement de siège de conseiller communal.
2. En l’espèce, la décision rendue par le Collège des contestations électorales de la province du Brabant flamand, le 11 décembre 2012, concernant les élections de la commune de Wezembeek-Oppem, est sans grande surprise quant à son dispositif, puisqu’il s’agit d’une décision de rejet des deux plaintes introduites, l’une, par un témoin de liste (irrecevable, un tel recours ne pouvant être valablement intenté que par un candidat aux élections), et l’autre par un candidat, motivée, de manière classique, par le fait que les irrégularités constatées par le Collège dans l’organisation et le déroulement des élections n’étaient pas de nature à avoir pu influencer la répartition des sièges au sein du conseil communal.
La particularité de cette décision tient bien davantage dans ses considérants en réponse aux griefs invoqués par les réclamants, qui portaient notamment sur l’irrégularité de l’envoi des convocations électorales. Les citoyens de la commune de Wezembeek-Oppem avaient en effet reçu pas moins de trois convocations électorales, émanant l’une du gouverneur de la province du Brabant flamand et les autres du collège des bourgmestre et échevins, lequel avait considéré qu’au vu de la contradiction existant entre la législation fédérale et les circulaires de l’autorité régionale, il s’imposait d’adresser cette convocation aux électeurs dans chacune des deux langues nationales.
La décision du Collège provincial énonce, à juste titre, qu’un tel envoi de plusieurs convocations électorales au même électeur constitue une irrégularité, susceptible d’entraîner des fraudes, puisque l’électeur pourrait en profiter pour émettre plusieurs votes. De manière nettement plus contestable, le Collège reporte cette irrégularité sur l’autorité communale, en suivant purement et simplement les prescriptions de la circulaire « Peeters », selon laquelle la convocation électorale doit être envoyée dans les communes flamandes à facilités exclusivement en néerlandais à tous les citoyens, quelle que soit la préférence linguistique qu’ils aient manifestée auparavant.
Sur ce point, la leçon du Collège est aussi inutile que malvenue : inutile pour la solution du litige, puisqu’il lui suffisait de constater que, quelles que soient les responsabilités de ces convocations multiples, elles n’ont pu empêcher personne de voter régulièrement seule la carte d’identité étant nécessaire à cet égard et qu’en tout état de cause, elles n’ont pas pu avoir d’effet sur l’attribution des sièges du conseil communal ; malvenue, au vu des multiples controverses de tous bords sur la régularité de cette circulaire depuis plusieurs années.
Au demeurant, le Collège provincial était sans doute mal placé pour apprécier la régularité de l’envoi des convocations électorales par le gouverneur provincial. Sa décision ne dit rien sur l’illégalité manifeste de cet envoi, dès lors que cette prérogative relève de la compétence exclusive du collège des bourgmestre et échevins suivant l’article 21 de la loi électorale communale.
La décision du Collège provincial se réfère aux arrêts de la XIe chambre (flamande) du Conseil d’Etat (n° 138.863 du 23 décembre 2004 et n° 184.353 du 19 juin 2008, en cause précisément la commune de Wezembeek-Oppem), qui auraient validé, selon lui, la circulaire litigieuse, mais ignore d’autres décisions rendues par les cours et tribunaux dans un sens opposé (voir, en particulier, l’arrêt que la Cour d’appel de Mons a eu l’occasion de rendre sur le même sujet le 21 juin 2011, selon lequel l’article 129, § 2 de la Constitution s’oppose à ce que l’autorité flamande prenne des mesures en matière d’emploi des langues dans les communes à facilités, de telle manière qu’une circulaire qui interprète la législation sur l’emploi des langues, au point d’en modifier la portée, est clairement illégale : Cour d’appel de Mons, 21 juin 2011, J.T., 2011, p. 319, obs. Fr. Gosselin, « Dernier état de la jurisprudence quant à la légalité de la circulaire Peeters et consorts » ; voir également le jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du 16 janvier 2002, écartant la circulaire sur base de l’article 159 de la Constitution, c’est-à-dire en raison de son illégalité).
3. Ceci confirme également que, dans ce domaine particulier de la législation linguistique dans les communes à facilités, les deux communautés, flamande et française, n’appliquent plus le droit de la même manière. La réforme initiée par la loi du 19 juillet 2012 ‘modifiant les lois sur le Conseil d’Etat en ce qui concerne l’examen des litiges par l’assemblée générale de la section du contentieux administratif, à la demande de personnes établies dans les communes périphériques’est d’autant plus bienvenue : suivant l’article 93 nouveau des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, « les demandes, difficultés, recours en annulation ou recours en cassation […] qui sont portés par une personne qui est établie dans une des communes visées à l’article 7 des lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l’emploi des langues en matière administrative [à savoir les six communes à facilités de la périphérie bruxelloise, ndlr], sont traités à la demande de cette personne par l’assemblée générale de la section du contentieux administratif », composée, pour rappel, d’un nombre égal de conseillers francophones et flamands. La saisine de l’assemblée générale est soumise aux trois conditions cumulatives suivantes : « 1. l’objet de la demande est localisé ou localisable dans ces communes ; 2. la personne doit demander expressément que son affaire soit traitée par l’assemblée générale ; 3. cet écrit doit contenir une référence formelle aux garanties, régimes juridiques et droits linguistiques qui sont d’application dans ces communes ».
Dans une telle hypothèse, l’article 95 nouveau dispose que l’assemblée générale « est présidée alternativement par le Premier président et par le Président en fonction de l’inscription au rôle », sachant que, suivant l’article 97 des mêmes lois coordonnées, « en cas de parité de voix, la voix de celui qui préside l’assemblée générale est prépondérante ».
Ainsi, si le gouvernement flamand devait, comme lors de la législature précédente, refuser la nomination du « bourgmestre désigné » par le conseil communal dans les trois communes « rebelles » de Kraainem, Linkebeek et Wezembeek-Oppem, le recours de l’intéressé devrait être dorénavant jugé par l’assemblée générale, et non plus seulement par une chambre flamande qui ne présente plus, à tort ou à raison, l’apparence d’impartialité nécessaire aux yeux des mandataires francophones de la périphérie. A court terme, le dernier mot de cette controverse qui anime juristes et politiques depuis une dizaine d’années, reviendra donc à l’assemblée générale de la section du contentieux administratif du Conseil d’État.
Votre point de vue
ami Le 7 mars 2013 à 15:07
Dans l’hypothèse, que l’assemblée générale est présidée alternativement par le Premier président et par le Président et que en cas de parité de voix, la voix de celui qui préside l’assemblée générale est prépondérante, est il possible qu"un bourgmestre soit nommé et l’autre pas selon que l’assemblée générale est présidée
par un président francophone ou néerlandophone ?
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