Le 6 avril 2009, un jeune Camerounais étudiant en polytechnique à l’ULB était arrêté à la frontière et placé en détention. Il était pourtant autorisé à séjourner en Belgique, le temps d’y faire ses études. Inscrit en dernière année, il ne lui restait que trois examens à passer à l’ULB pour obtenir son diplôme d’ingénieur.
Nonobstant un titre de séjour toujours valable, cet étudiant s’est vu refuser l’accès au territoire. Il a été placé en détention en attendant un rapatriement, au motif que la photo figurant sur son passeport était peu ressemblante. D’autres motifs ont été invoqués ultérieurement pour justifier cette détention. L’accusation de fraude/faux passeport a cependant été démentie par l’ambassade du Cameroun, qui a authentifié le passeport de l’étudiant. Le parquet de Bruxelles a également considéré que cette accusation n’était pas établie et a classé l’affaire sans suite.
Après une dizaine de procédures et une détention de plus d’un mois, le jeune homme a finalement été libéré ce 7 mai 2009 : un arrêt de la chambre des mises en accusation a confirmé une première décision judiciaire du 15 avril dernier que l’autorité compétente avait refusé d’exécuter (voir plus bas).
Outre le caractère kafkaïen de l’attitude des autorités (refuser l’accès au territoire à une personne qu’elles ont autorisée à séjourner en Belgique pour y faire des études), le « cas » Rudy Nzimo pose une série de questions, la première étant celle du respect par l’Etat des décisions judicaires et de ses engagements internationaux relatifs aux droits fondamentaux des personnes.
Alors que l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que la privation de liberté ne peut être qu’une mesure exceptionnelle, l’on assiste à une généralisation et à une banalisation de la détention des étrangers en situation irrégulière. On ne leur accorde même pas les droits reconnus aux détenus inculpés pour des infractions pénales.
Cette affaire illustre une pratique de l’Office des Etrangers aussi répandue que préoccupante : prendre de nouvelles décisions pour contrer l’illégalité des précédentes, empêchant ainsi que cette illégalité soit sanctionnée/la sanction de cette illégalité par les instances judiciaires et privant de tout effet utile le recours introduit par un étranger à cette fin..
Est de la sorte violé l’article 5, § 4, de la Convention précitée, texte impliquant que tout détenu bénéficie d’un contrôle effectif de la légalité d’une mesure qui le prive de liberté.
La Belgique a déjà été condamnée par la Cour européenne pour violation d’une telle mesure : par son arrêt du 12 octobre 2006, la Cour a constaté qu’un rapatriement avait pu être organisé et effectué avant que l’ordonnance de la chambre du conseil soit rendue et, par conséquent, sans tenir compte de celle-ci.
Dans le cas présent, bien que le Conseil du Contentieux des Etrangers, compétent pour vérifier la régularité de la décision refusant à Rudy Nzimo l’accès au territoire, n’a pas annulé cette décision, la chambre du conseil de Bruxelles, compétente pour examiner la légalité de la détention, constatant que cette détention n’était pas légale, a, le 15 avril, ordonné la libération de l’étudiant.
Le tribunal de première instance de Bruxelles avait en effet interdit aux autorités de rapatrier l’étudiant. Or, la détention administrative d’un étranger n’est permise qu’en vue d’exécuter son rapatriement.
L’Office des Etrangers n’a pas fait appel de l’ordonnance de libération mais ne l’a pas exécutée pour autant. Au contraire, malgré les décisions judicaires qui lui interdisaient de rapatrier le jeune homme et ordonnaient sa libération, l’Office des Etrangers a pris une nouvelle décision de maintien en détention de l’étudiant et a tenté, en vain, de le rapatrier.
Au terme d’une nouvelle série de procédures, les instances judiciaires ont confirmé leurs décisions précédentes. L’Office des Etrangers a finalement accepté de s’y plier, en partie du moins. L’étudiant, toujours en possession d’un titre de séjour valable, s’est en effet vu délivrer un ordre de quitter le territoire lors de sa libération et risque dès lors à tout moment, à l’occasion d’un simple contrôle d’identité, d’être à nouveau arrêté, placé en détention et rapatrié.
Outre la question du respect par l’Etat des décisions judiciaires et de ses engagements internationaux, l’affaire « Rudi Nzimo » pose également d’autres questions : celles de l’accès à la justice et du coût, humain et financier, de la politique actuelle de l’Etat en matière d’immigration. Notons seulement que, dans cette affaire, le jeune homme a été détenu pendant plus d’un mois dans des conditions particulièrement difficiles alors que sa dernière session d’examen débute le 25 mai. Pas moins d’une dizaine de procédures ont dû être introduites…
La Belgique vient pourtant d’être condamnée par un arrêt du 24 janvier 2008 de la Cour européenne des droits de l’homme pour le non-respect par l’Office des étrangers des décisions judiciaires. La Cour a par ailleurs rappelé à maintes reprises que le droit des Etats de contrôler l’accès au territoire et le séjour des étrangers doit s’effectuer dans le respect de leurs engagements internationaux.
Nous sommes tous concernés. Les fondements même de notre Etat de droit sont menacés.
Votre point de vue
nicolas oldenhove Le 12 juin 2012 à 18:09
Quel dommage, ces enfermements d’étudiants brillants, qui ont choisi de venir étudier chez nous. Il y a en effet un caractère Kafkaïen et surtout inhumain à ce genre de situations. Aïscha, jeune rwandaise qui vient de fêter ses 16 ans, a déjà fini son cycle secondaire. Elle ne demande qu’à étudier et à être avec des copains et copines de son âge... Mais cela fait cinq mois qu’elle est enfermée en centre fermé (où les mineurs non accompagnés, comme elle, ne sont en principe plus admis) mais on préfère fermer les yeux sur son âge réel, ne pas croire à son certificat de naissance entretemps parvenu et ne pas vouloir lui faire le test physique de l’âge. On fait semblant qu’elle est adulte, pour pouvoir la renvoyer plus facilement en l’enfermant dans son mensonge puisque pour arriver ici (fuyant un mariage forcé) elle avait volé un passeport d’adulte...
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andré schonwald Le 17 mai 2009 à 22:25
Je lis ceci par hasard,travaillant comme traducteur,je me trouvais sur ce site pour essayer de comprendre ce qu’est "procès judiciaire". Pas clair encore, si sur ma traduction je dois mettre procès, processus, procédure, procédé...
En fin de compte sous toutes ces prétendues "rationalisations" faites avec des mots, qui prétendent être des règles de comportement pour tous les membres d’une société, d’un pays, ce qu’il existe de réel ce sont des sentiments non explicables peut-être en mots.
Pour preuve, ce qui est décrit dans cet article : la lamentable réalité des sentiments, qui se cachent sous une série de formulations "juridiques" pour empêcher ce jeune homme de rester en Belgique terminer ces études, empèchement réalisé en le mettant en prison, et pas une prison bien agréable...
Pourquoi ? Il me semble que la question véritable est celle de savoir ce qui se passe, qu’est-ce qui a poussé les personnes qui l’on fait à agir comme elles l’on fait ? pourquoi ces sentiments dans le pays de Tintin ?
Le système d’embrouille légale pour diluer ou éviter toute responsabilité est utilisé un peu partout dans le monde par toutes sortes de fonctionnaires abusifs, qui profitent de leurs postes pour faire du mal, qui sont en fait des criminels. Peut-être la rédaction des lois et des codes serait meilleure si elle était soumise à la révision de psychologues et de psychiatres...pour en éliminer toute hypocrisie.
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