La « décentralisation » ou la « régionalisation » de la police inquiète le milieu judiciaire et certains élus

par Jean-Claude Matgen - 1er juin 2015

Le ministre de l’Intérieur et le gouvernement Michel envisagent un renforcement de la capacité opérationnelle de la police fédérale au profit des arrondissements. Cette « décentralisation » est combattue par les juges d’instruction et certains députés, qui craignent une perte d’efficacité des organes centraux de lutte contre la délinquance, financière notamment.

Jean-Claude Matgen, journaliste, nous en dit davantage.

1. Sous l’ancienne législature déjà, il avait été envisagé de réformer (d’« optimiser » selon le jargon politico-policier) la police fédérale. Parmi les scenarios discutés, figurait le renforcement de la police judiciaire fédérale à l’échelle des arrondissements.

L’option ne fut finalement pas retenue.

2. Elle est revenue en force avec le nouveau gouvernement, qui prépare un plan de réforme de la police, dont les tâches prioritaires seront définies avant l’été. Ce plan devrait faire la part belle à une réorientation de la capacité judiciaire au profit des arrondissements.

Il y a quelques semaines, le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) annonçait des effectifs et du matériel supplémentaires pour les Unités spéciales mais aussi des moyens nouveaux pour les unités antiterroristes.

Cent cinquante agents seront engagés et répartis dans l’ensemble des cellules antiterroristes qui seront mises en place dans les grandes villes. L’organisation ne sera donc plus limitée à une seule cellule, centralisée à Bruxelles.

3. Cette « décentralisation » ne s’opère pas uniquement par un renforcement de la police fédérale au niveau des arrondissements. Elle se fait aussi par un glissement des effectifs de certains départements fonctionnant jusqu’à présent au plan national vers les entités locales.

C’est notamment le cas de la Federal Computer Crime Unit (FCCU) et de l’Office central de la lutte contre la délinquance économique et financière organisée (OCDEFO). Un arrêté royal prévoit une réorganisation de ces deux organes. Les officiers et les agents du fisc qui composaient l’OCDEFO vont être détachés vers des unités de recherches créées au sein des directions judiciaires déconcentrées d’Anvers, Bruxelles, Charleroi, Mons, Flandre orientale et Liège. Idem pour les membres de la FCCU.

4. Selon plusieurs observateurs, ils risquent de perdre leur capacité d’enquête autonome au profit de ces antennes régionales. Leur « démantèlement » pourrait même, selon d’aucuns, décapiter la lutte contre la délinquance financière. Il est vrai que l’OCDEFO, qui est notamment chargé de traquer la fraude à la TVA, a ramené les pertes annuelles enregistrées par l’Etat de 1,1 milliard d’euros en 2001 à moins de 20 millions d’euros en 2012.

Son affaiblissement pourrait rendre la lutte contre la fraude nettement moins efficace.

Dans le journal L’Echo, le juge d’instruction bruxellois Michel Claise n’y est pas allé de main morte : « Cette décentralisation est une plaisanterie indigne de la situation à laquelle nous allons être confrontés », a-t-il scandé. Pour lui, il s’agit d’« une catastrophe sociétale ».

D’autres parlent d’un retour en force des ex-gendarmes à la tête de la police fédérale. Ex-gendarmes qui n’ont jamais vraiment accepté la fusion des services de police, qui leur a fait perdre une partie de leurs pouvoirs. D’autres encore soupçonnent le ministre de l’Intérieur d’encourager une régionalisation de la police fédérale pour des motifs d’ordre communautaire.

5. À La Libre Belgique, la députée CDH Vanessa Matz confiait ses inquiétudes : « L’arrêté royal concocté par le ministre de l’Intérieur aurait pour conséquence d’ôter tout capacité opérationnelle centrale à l’OCDEFO et à la FCCU. Pourtant, les matières que ces instances traitent dépassent largement le cadre du territoire belge et exigent donc une approche à l’échelle nationale », déclarait-elle.

« Le renforcement des moyens des arrondissements ne doit pas se faire au détriment des services appelés quotidiennement à travailler avec des organes internationaux comme Europol ou Interpol », ajoutait-elle.

Mme Matz ou M. Claise estiment que l’OCDEFO et la FCCU sont composés de policiers spécialisés qui travaillent en grande indépendance et ont une vision globale des matières qu’ils traitent. Les envoyer dans les arrondissements constituerait, à leurs yeux, une grande perte d’efficacité. « Certains choisiront de rejoindre d’autres départements de la police fédérale, d’autres devront abandonner une part de leur autonomie. Quant aux interlocuteurs étrangers, ils ne sauront plus à qui s’adresser », confiait encore Mme Matz à La Libre.

Votre point de vue

  • Amandine
    Amandine Le 5 juin 2015 à 21:38

    Sur ce sujet, on peut retrouver l’interview de Michel Claise, mentionné dans cet article, juge d’instruction à Bruxelles, interview passée à la RTBF il y a quelques jours

    http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_michel-claise-on-tente-de-detruire-le-pouvoir-judiciaire?id=8997827

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  • skoby
    skoby Le 3 juin 2015 à 16:19

    Cette fois-ci, pas d’accord avec Madame Tordoir. Il faut une police efficace au niveau
    local mais il ne faut certainement pas affaiblir une police centralisée qui doit
    coordonner les renseignements au niveau national aussi bien qu’international,
    sans pour autant se faire concurrence, comme cela a été le cas dans la sinistre
    affaire Dutroux.

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 3 juin 2015 à 13:59

    Je ne maîtrise pas vraiment le sujet de fond et d’importance qu’est la décentralisation ou la régionalisation mais, réfléchissant sur le débat, je me demande si ce n’est effectivement pas une bonne idée...Cela permettrait à chaque région, chaque arrondissement voire chaque commune de gérer au mieux sa police. Le transfert de compétences du national vers le local pourrait s’avérer efficient renforçant le pouvoir administratif du bourgmestre, chef de la police. Une telle réforme responsabiliserait davantage les autorités locales en ce qui concerne les budgets dont dépenses, missions et personnel y liés et cela en fonction des spécificités locales et communautaires. En France, cela semble fonctionner...Pourquoi pas en Belgique ? Quant à la crainte "par rapport aux interlocuteurs étrangers qui ne sauraient plus à qui s’adresser" (sic), comment font-ils avec la France ? Je ne saisis pas clairement la raison pour laquelle des juges d’instruction combattent la décentralisation. Rien n’empêche la police décentralisée d’être efficace dans tous les domaines...Si le sujet est si sensible, pourquoi ne pas organiser un referendum populaire sur la question ?

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