Mieux saisir le sens de la permission de sortie conduit à faire un petit détour par la case prison en s’interrogeant sur les effets de cette sanction particulière qu’est l’incarcération : une sanction qui consiste à priver des individus de la liberté d’aller et de venir et à les soustraire de la vie commune ; une sanction qui a aussi pour effet de les plonger dans un autre univers relationnel, un autre espace, une autre temporalité.
Mais, si l’incarcération suspend le temps vécu par le condamné et le réduit au surplace, il n’en est pas de même pour le monde libre, qui, lui, continue évidemment d’évoluer et de progresser. Comment, dès lors, concilier cette idée avec celle que la plupart des condamnés seront amenés à réintégrer un jour la société et qu’il apparaît souhaitable, à bien des égards, qu’ils ne soient pas totalement déconnectés de celle-ci ?
La permission de sortie
En réponse à cette question, la loi reconnait que durant la détention, (1) il y a de temps à autre « des situations ou des impératifs qui requièrent exceptionnellement la présence du détenu à l’extérieur de la prison » (M.-A. Beernaert, Manuel de droit pénitentiaire, 2e éd., Limal, Anthemis, 2012, p. 227) et (2) qu’il est nécessaire de se soucier de la réinsertion du condamné lorsqu’il devra se replonger dans le monde duquel il a été absent plus ou moins longtemps.
Dans le premier cas de figure, la permission de sortie est ponctuelle et divers événements, appréciés au cas par cas, peuvent la motiver. Susceptibles d’intervenir à tout moment dans la détention, ces événements sont parfois difficilement prévisibles sur un terme long : décès d’un proche, maladie nécessitant un traitement spécifique, changement d’état civil (mariage, divorce), etc. La permission est donc accordée au moment où la question se pose et se limite souvent à une sortie.
Dans le second cas, la permission de sortie intervient à un moment précis de la peine (plus particulièrement lorsque l’on commence à envisager une libération conditionnelle, cela, dans des délais strictement fixés par la loi) et peut être accordée à plusieurs reprises. Elle constitue alors l’une des premières étapes d’un parcours de réinsertion qui sera ensuite jalonné d’autres mesures, tel le congé pénitentiaire dont nous parlerons plus loin qui lui-même prépare la libération conditionnelle.
En effet, dans la perspective qui vient d’être évoquée, il apparaît relativement logique que le retour à la liberté soit un tant soit peu préparé et envisagé de manière progressive, et cela, en particulier dans le cas de personnes qui purgent de longues peines et ont été exclues de la vie sociale pendant une période importante. Car, s’il l’on parle souvent du « choc carcéral » que constitue l’entrée en prison, l’on passe trop souvent sous silence l’existence du choc que peut représenter le retour à une vie sociale dont on ne comprend plus du tout le fonctionnement ou la confrontation à un monde auquel on est devenu complètement étranger.
On l’aura compris, même si la personne est libre de ses mouvements durant sa sortie, il ne s’agit pas qu’elle quitte la prison pour un motif futile ou récréatif. Chaque décision est dotée d’une rationalité forte et poursuit un but particulier, et ce, même si le motif de la sortie est simplement relationnel (par exemple, rendre visite à un parent mourant à l’hôpital).
Les éventuelles contre-indications sont également prises en compte : pas question de faire sortir de prison, même pour quelques heures, une personne qui risque de se soustraire à la justice, de commettre de nouveaux faits répréhensibles ou encore d’importuner ou de menacer ses victimes.
Par ailleurs, des conditions particulières, prévues par des circulaires ministérielles, peuvent être posées à ces sorties. Ces conditions peuvent être variables et sont à leur tour envisagées au cas par cas : être accompagné d’une personne de confiance, ne pas se rendre dans certains lieux précis ou, au contraire, devoir rejoindre un endroit particulier etc. Il appartient en effet à l’instance qui octroie cette permission, qu’il s’agisse de la « Direction Gestion de la Détention » (un service de l’administration pénitentiaire qui intervient ici au départ d’un avis motivé du directeur de la prison) ou, dans des cas exceptionnels, du tribunal de l’application des peines, de préciser la manière selon laquelle elle souhaite que se déroule cette sortie. Le condamné doit d’ailleurs fournir les éléments à l’appui de sa demande et marquer son accord sur les modalités particulières qui ont été fixées.
Enfin, on notera que la durée de la sortie ne peut excéder seize heures et qu’elle peut faire l’objet d’adaptations après avoir été octroyée si cela s’avère nécessaire au regard de l’évolution de la situation qui l’a motivée.
La plupart du temps, ce type de permission représente, pour le détenu qui a effectué une partie de sa peine, la première occasion de se confronter à nouveau à un milieu ouvert après un certain temps de détention. Ce moment n’est donc pas anodin dans la trajectoire d’un condamné. La permission de sortie constitue aussi un moment important de son parcours pénal car elle permet aux professionnels de la justice de se rendre compte de la façon dont il se comporte en liberté, tout en mettant à l’épreuve sa fiabilité et sa capacité d’autonomie.
Le congé pénitentiaire
Dans le cadre de la préparation à la réinsertion, plusieurs expériences de sorties qui se sont bien déroulées peuvent être suivies d’un congé pénitentiaire (elles n’en sont cependant pas la condition nécessaire).
Préparant à son tour la fin de la peine, le congé est une mesure qui s’apparente à la permission de sortie (examen des contre-indications, imposition de conditions, instances décisionnelles etc.) et est également accordé à la suite d’une demande de la part du détenu. Celle-ci peut cependant être introduite au plus tôt un an avant son admissibilité à la libération conditionnelle.
Le congé poursuit globalement les mêmes objectifs que la permission de sortie : maintien du lien avec la société et préparation à la réinsertion. Mais il s’en distingue principalement par sa durée plus longue (trois fois 36 heures par trimestre) et par son caractère plus systématique. Il est en effet accordé pour un trimestre et, si tout se passe bien, il est renouvelé de plein droit le trimestre suivant (et ainsi de suite).
Le congé pénitentiaire prend place dans ce que l’on appelle le « plan d’insertion sociale », c’est-à-dire dans le projet individuel que devrait idéalement avoir chaque détenu pour préparer sa sortie définitive. Ce qui signifie que cette mesure a pour but de faciliter les démarches qui visent à la réintégration de la personne dans la société : elle favorise les contacts familiaux, la recherche d’emploi, la formation professionnelle, la recherche d’un logement etc.
Conclusion
En définitive, le maître mot qui permet de comprendre la logique de ces deux mesures est celui de la progressivité : sachant que la plupart des détenus seront amenés à sortir un jour de la prison où ils séjournent, la permission de sortie et le congé contribuent à préparer cette étape en envisageant la détention de façon jalonnée et le retour à la vie libre sur un mode graduel.
Dès lors, se focaliser sur la « faveur » que représenterait telle ou telle mesure de sortie ponctuelle et s’en indigner revient à se tromper de débat.
L’enjeu ici est de préparer l’après-peine et de favoriser la réinsertion du condamné en réduisant, autant pour lui-même que pour la société tout entière, les effets dommageables de son isolement carcéral. Et dans la plupart des cas, il s’agira d’une réinsertion difficile, compliquée, semée d’embûches, la communauté se montrant souvent hostile à l’accueil des ex-détenus. D’ailleurs, à l’heure où nous écrivons ces lignes, M. Lelièvre s’est vu retirer deux des permissions qui lui avaient été accordée. L’ASBL susceptible de l’accueillir en formation de menuiserie n’a simplement pas pu faire face à la pression médiatique et au tollé qui a accompagné la décision de le préparer à ce qui, pourtant, constituera un jour sa sortie définitive.
Votre point de vue
Gisèle Tordoir Le 2 septembre 2013 à 15:31
Pour les personnes comme Dutroux, Martin et consorts, soit des criminels, des assassins d’enfants, je suis totalement opposée au droit de sortie, au droit de revoir la peine, à leur réinsertion. Dans ma logique, ces personnes représentent toujours un réel danger pour la société. En effet, ce qu’elles ont fait, elles ne l’ont pas fait accidentellement, c’était organisé, elles savaient qu’elles faisaient mal. Aucune excuse, aucune explication à mes yeux. Il n’y a dès lors aucune raison de donner une "seconde" chance à ces malfaisants personnages. Leur peine devrait être incompressible et donc incompressée...Ces assassins doivent pourrir en prison mais finir usés d’avoir travaillé pour la collectivité, pour les familles des victimes...Que la prison soit le lieu où finissent des assassins me paraît logique mais il faut que ce soit dans des conditions où l’humain garde sa dignité. Punir oui mais pas humilier, pas avilir encore...Mais en aucun cas laisser sortir, en aucun cas imaginer une réinsertion. Si l’on revenait à des mesures strictes, cela servirait d’exemples. La fermeté dans la dignité et non la clémence par manque de courage voici mon exigence de justice.
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skoby Le 31 août 2013 à 10:36
Voilà une mesure bien compréhensible et utile, voire nécessaire pour la réinsertion de ces individus dans la société.
Mais la question est et reste : Avons-nous les experts nécessaires pour faire ce suivi et la préparation à la liberté conditionnelle. Ont-ils été suffisament formés pour avoir une chance de trouver un travail ? Ont-ils reçu une formation spécifique pour pouvoir réussir à se réinsérer dans la société ?
En Belgique la Justice est aussi délabrée que les prisons !
Les principes sont bons, mais on est incapable de les mettre en oeuvre par manque de personnel et de moyens. Cela fait des décennies que la Justice est l’enfant pauvre de nos politiciens véreux et incapables
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