Les victimes de l’agression mortelle d’un proche, superviseur de la STIB, et certains médias s’insurgent contre la libération provisoire de la personne qui avait été inculpée par un juge d’instruction en raison des violences exercées à l’encontre de ce superviseur. Rappelons que le même juge l’avait inculpée de « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort mais sans intention de la donner » et que cette libération provisoire, prévue par la loi, a été consentie sous des conditions très strictes.
Faut-il rappeler que la détention préventive n’est pas une peine et n’est en aucun cas une mesure ayant pour raison d’être de sanctionner un comportement culpeux quel qu’il soit ? Elle est et doit rester une mesure exceptionnelle, prise « en cas d’absolue nécessité », dit la loi, lorsque le fait de laisser un suspect inculpé en liberté présente un grave danger pour la sécurité publique.
En décidant de libérer provisoirement un suspect inculpé, même s’il est en aveu des faits qui lui sont reprochés ou que ceux-ci sont indiscutables, le juge d’instruction ne se prononce pas sur la peine à lui infliger. S’il décidait de le laisser en prison, parce qu’il considérerait que la gravité des faits mérite une sanction d’emprisonnement de longue durée, il violerait la loi qui édicte textuellement que « cette mesure ne peut être prise dans le but d’exercer une répression immédiate ».
La décision prise par le juge est bien une « libération provisoire » c’est-à-dire dans l’attente de la décision définitive du tribunal correctionnel ou de la cour d’appel. Ceux-ci peuvent très bien, lorsqu’ils jugeront cette affaire, une fois l’instruction terminée, prononcer une peine d’emprisonnement qui obligera le suspect, définitivement condamné, à retourner en prison. A moins qu’ils ne décident, au vu du dossier, de ses antécédents et de sa personnalité, de préférer une peine de travail ou une peine d’emprisonnement avec un sursis éventuellement probatoire moyennant des conditions.
Si le juge d’instruction ne peut anticiper la peine qui sera prononcée définitivement par le tribunal ou la cour d’appel, les victimes parties civiles peuvent encore moins le faire.
Notre système judiciaire prévoit, deux débats dans le procès pénal après celui sur la culpabilité : le débat sur la peine et celui sur le dédommagement des victimes. Il revient à l’avocat des victimes parties civiles, comme au procureur, de prouver la culpabilité du prévenu ou de l’accusé. Mais les parties civiles ne peuvent en aucun cas intervenir sur la question de la peine à infliger. C’est flagrant lors des débats devant la Cour d’assises. Dans le premier débat sur la culpabilité, l’avocat de la partie civile tentera de la démontrer dans sa plaidoirie et sera suivi par le réquisitoire de l’avocat général représentant le ministère public, tandis que la défense de l’accusé plaidera l’innocence de son client en réclamant son acquittement ou, s’il est en aveu, expliquera les circonstances du crime et plaidera éventuellement les causes de justification ou d’excuse. Ce n’est qu’après un éventuel verdict de culpabilité, rendu par le jury, que s’instaurera le débat sur la peine, dans lequel l’avocat des parties civiles n’aura même pas la parole. Une fois la peine prononcée, un troisième et dernier débat, en dehors de la présence des jurés et porté uniquement devant les magistrats professionnels, abordera alors la question des intérêts civils, c’est-à-dire de l’indemnisation des préjudices matériels et moraux de la victime.
C’est dire que notre procédure pénale n’autorise pas la victime à intervenir sur la question de la peine à infliger au condamné. Dans le cadre de la détention préventive, la victime n’est pas informée de la délivrance d’un mandat d’arrêt ou de la décision d’une libération provisoire. De même, au niveau de l’exécution des peines, si la victime, partie civile au procès pénal, est invitée à s’exprimer devant le tribunal de l’application de peines, lors du débat sur la libération conditionnelle demandée par le condamné en détention, c’est uniquement pour signaler les conditions qu’elle souhaite voir imposer au libéré conditionnel, conditions portant essentiellement sur le lieu de sa résidence, les communes à ne pas fréquenter, pour éviter tout risque de rencontre, et l’interdiction de tout contact.
C’est donc à tort et en violation de la loi que certaines victimes et leurs avocats veulent intervenir sur l’opportunité d’accorder ou non une libération provisoire au suspect inculpé et en détention préventive, ou de donner une libération conditionnelle à un condamné.
Les victimes n’ont donc pas à s’exprimer sur la délivrance éventuelle d’un mandat d’arrêt, sur la libération provisoire d’un inculpé, sur la peine à infliger au prévenu ou à l’accusé, ni sur l’opportunité ou non d’accorder une libération conditionnelle à un condamné.
Et pourtant ! On entend de plus en plus souvent l’opinion publique, dans certains médias, revendiquer le droit des victimes de réclamer une peine à la mesure de leur souffrance.
La loi du talion revient sur le devant de la scène, notamment dans les débats politiques ou les programmes de quelques partis populistes. Si le condamné a fait souffrir, qu’il souffre lui-même ! Seule sa souffrance pourra apaiser celle de sa victime.
En témoigne, avec une cruauté sans pareil, la mise en scène de l’exécution des condamnés à mort aux Etats-Unis, où les victimes sont invitées à assister au spectacle d’une mise à mort légale, théâtralisée comme un rituel barbare. Chez nous, les conditions exécrables et inhumaines de détention des condamnés, dans des prisons surpeuplées, non seulement n’intéressent personne mais sont considérées par beaucoup comme encore bien trop confortables.
Aux yeux d’une grande partie de l’opinion publique, la prison devrait être un lieu de souffrance et celle-ci aurait notamment pour raison d’être d’offrir une compensation à celle des victimes. Telle est la triste réalité d’aujourd’hui. Les peines prononcées par les cours et tribunaux sont supposées devoir soulager les victimes et leur offrir une réparation symbolique, à côté de la réparation matérielle que constitue l’indemnisation pécuniaire de leurs dommages. Il s’agit bien là, quoi qu’on en dise, d’une volonté de vengeance et d’un retour déguisé de la loi du talion.
Pourtant, les avocats, qui ont régulièrement défendu des victimes devant les cours et tribunaux, savent à quel point une peine, quelle qu’elle soit, ne satisfait jamais les parties civiles. Serait-elle même la plus lourde, elle sera toujours trop légère au regard de leurs souffrances. Ne demandons pas aux victimes de participer à l’œuvre de justice ! La mission de juger ne peut être remplie que par ceux dont c’est la fonction, qui ont le recul nécessaire, les compétences requises, l’expérience voulue et l’objectivité indispensable. Une maxime célèbre et judicieuse du droit romain édictait déjà : « aliquis non debet esse judex in propria causa, quia non potest esse judex et pars » : « personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu’on ne peut être juge et partie ».
Votre point de vue
Le 27 juin 2012 à 09:22
Du moment que la loi est respectée je pense qu’il ne faut pas faire de polémique et laisser la justice faire son travail.
mode personne forte
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Gisèle Tordoir Le 23 juin 2012 à 14:46
Si comme il est dit plus haut, la loi du talion a tendance à refaire surface c’est bien la faute aux trop npmbreuses erreurs de décisions prises par les juges, procureurs et autres magistrats. Il est à déplorer le nombre de fois où l’on entend "une fois de plus, la justice n’a pas bien fait son travail" (sic) Si la magistrature avait au moins conscience qu’il est temps de prendre en considération le droit des victimes plutôt que d’octroyer trop souvent plus de droits aux personnes fautives, cela pourrait avoir comme effet de rassurer et de réconcilier (s’il se peut encore ?) le citoyen avec la justice. On parle des conditions inhumaines de détention : c’est malheureusement vrai sans doute mais bon sang trop de délits qui ne l’exigent pas finissent par une condamnation à la prison alors que d’autres faits bien plus graves ont pour conclusion une décision laxiste. Dans quelle dérive part la justice ? Quelle prétention à lire "La mission de juger ne peut être remplie que par ceux dont c’est la fonction, qui ont le recul nécessaire, les compétences requises, l’expérience voulue et l’objectivité indispensable."(sic)...Mais pour quel(s) dieu(x) se prend cette corporation élitiste ? Revenez sur terre et apprenez à faire votre mea culpa...La justice est bien trop éloignée de l’intérêt du justiciable...La voix de la sâgesse vient très souvent de "monsieur, madame tout le monde". Il est temps que les choses changent et que la justice soit rendue sur base de la mixité dans les "décideurs".
Martin Le 25 juin 2012 à 18:58
Il ne suffit pas d’être en désaccord avec une décision de Justice pour considérer que cette décision est une erreur. Ce n’est pas parce que l’opinion publique considère que la Justice n’a pas bien fait son travail que c’est effectivement le cas. La Justice se rend d’une part dans les prétoires et non sur les trottoirs et d’autre part selon le droit et non en fonction de l’opinion publique. En ce qui concerne les droits accordés aux victimes, la Belgique est le pays européen en offrant le plus depuis la loi franchimont (suites réservées au dossier, accès au dossier, demande d’acte d’instruction complémentaire,...). Enfin vous évoquiez également sans le citer le jury populaire. Peut-on objectivement admettre que 12 personnes sans aucune connaissance juridique (et très souvent aucune connaissance de l’organisation judiciaire) décident (seuls) de la culpabilité ou de l’innocence d’une autre et ce dans les cas les plus graves ? La fonction de juger est une fonction extrêmement complexe qui ne peut être réservée qu’aux seules personnes spécialement formées à cet effet. Tout comme on ne s’improvise pas chirurgien, plombier ou ingénieur, on ne s’improvise pas juge.
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H Le 25 juin 2012 à 00:57
La Justice en Belgique est beaucoup trop laxiste et la vision de celle-ci mise en évidence dans cet article ne va certainement pas rétablir l’ordre !
Le but dans notre société est pourtant avant tout de prévenir les abus. Comment prévenir les abus quand les criminels savent que les conséquences de leurs actes seront minimes ?
On ne s’étonnera pas que cette attitude incite les criminels à recommencer ou d’autres à se déresponsabiliser complètement de leurs actes...
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skoby Le 23 juin 2012 à 17:04
Ce pladoyer est pour moi, tout-à-fait à côté de la plaque.
Cet homme a commis un meurtre (avec ou sans intention) avec grande
violence. Il doit donc être mis en prison dans l’attente de son jugement.
Ce qui est inadmissible en Belgique, c’est que ces procès se déroulent la plupart du temps des mois, voire des années plus tard.
Ne pas l’enfermer, revient à dire, que la Justice s’en fout, qu’il puisse recommencer ses violences vis-à-vis de quelqu’un d’autre, donc faire une nouvelle victime.
Donc, j’oublie les parties civiles, les prisons incorfortables et surpeuplées.
C’est la Justice qui est en faute :
1° Il faut sanctionner immédiatement.
2° Il faut un jugement rapide.
3° Il faut construire des prisons et réhabiliter les trop vétustes.
4° Il faut, en prison, que les prisonniers puissent apprendre un métier afin de pouvoir être réinsérés ensuite, avec plus chance de non-récidive.
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michel schaar Le 23 juin 2012 à 12:22
les victimes ,dans notre Justice n’ont meme pas le Droit à l’Oubli,qui est pourtant accordé au condamné ,à l’issue de sa peine.Les victimes n’ont rien à attendre en Belgique de la Justice qui les ignore superbement (cfr affaire Lhermitte )
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