« Lanceurs d’alerte : oui, mais à vos risques et périls ! ». Telle est la leçon de la jurisprudence actuelle de la Cour européenne des droits de l’homme

par Valérie Junod - 2 juin 2021

Les « lanceurs d’alerte » sont des personnes liées à une entreprise ou à une administration qui divulguent, pour les dénoncer dans l’intérêt général, des pratiques qu’elles estiment condamnables au sein de leur organisation.

Cette pratique est-elle couverte par la liberté d’expression ?

La Cour européenne des droits de l’homme vient, par un arrêt Halet c. Luxembourg du 11 mai 2021, d’indiquer les limites de l’exercice.

Valérie Junod, professeure à l’Université de Genève, qui a déjà offert en 2018 un article sur ce thème aux lecteurs de Justice-en-ligne (« Whistleblowing : une mission impossible ? Lumières sur la saga judiciaire Luxleaks ») , nous en dit plus.

1. Vous vous sentez l’âme d’un redresseur de tort. Vous avez à cœur de dénoncer les travers que vous observez ? L’injustice vous choque ?

Bref, vous vous imaginez lanceur d’alerte.

Avant de prendre la voie du whistleblower (le mot anglais pour « lanceur d’alerte »), songez un moment aux embuches qui pavent cette route.

2. En 2008, la Cour européenne des droits de l’homme dessinait le chemin à emprunter (arrêt de Grande Chambre Guja c. Moldova ).

Elle posait six critères à remplir pour arriver au but, à savoir une dénonciation protégée des représailles (civiles ou pénales) par la liberté d’expression (article 10 de la Cour européenne des droits de l’homme).

Pour rappel, ceux-ci étaient et restent :
(1) la bonne foi du lanceur d’alerte,
(2) l’authenticité des faits divulgués,
(3) l’existence d’alternatives en interne,
(4) la sévérité de la sanction subie,
(5) la contribution à un débat d’intérêt public,
et (6) le préjudice subi par le « dénoncé ».

3. Par un arrêt du 11 mai 2021, Halet c. Luxembourg, la Cour européenne des droits de l’homme vient d’élever considérablement la barre pour les potentiels lanceurs d’alerte.

Même si son arrêt ni n’ajoute ni ne retranche rien parmi les six critères originaux, l’interprétation qu’il en fait revient à décourager très nettement ceux qui se verraient redresseurs de tort. En effet, dans la pesée des intérêts opposés – ceux du lanceur d’alerte et du public contre ceux de l’employeur – l’arrêt fait preuve d’une sévérité à décourager les plus audacieux.

4. À cinq juges contre deux, la Cour retient que l’intérêt de l’employeur doit l’emporter, même si les pertes économiques et d’image subies par ce dernier (ici la multinationale PWC) ont été passagères (moins d’un an), voire peu élevées. A ce stade, on s’attendrait, comme le relève l’opinion minoritaire, que le requérant, Monsieur Raphaël Halet (dont il est question dans le précédent article consacré sur Justice-en-ligne aux lanceurs d’alerte, renseigné plus haut), l’emporte. En effet, si le préjudice subi par son employeur est très éphémère, l’intérêt à mener un débat d’intérêt public devrait l’emporter.

Et pourtant, non ! La surprise vient de la contribution au débat d’intérêt public.

Se ralliant aux tribunaux luxembourgeois, la Cour accepte qu’on puisse jauger cette contribution en fonction du caractère nouveau et essentiel des informations apportées par le whistleblower. Pour la Cour, M. Halet a divulgué les déclarations fiscales de multinationales réputées à une époque où la pratique des transcrits fiscaux avaient déjà fait l’objet de révélations et avaient déjà donné naissance à un scandale médiatique et politique. Les documents mis à disposition du journaliste ont certes permis de raviver le débat public en apportant une nouvelle illustration de pratiques déjà connues, du moins dans leur principe.

Cependant, pour la Cour, ceci n’atteint pas le seuil exigé dès lors que le public avait déjà à sa disposition les faits nécessaires pour pouvoir débattre du problème. Que le journaliste ait profité des documents fournis par M. Halet pour relancer la discussion est peut-être utile, mais pas essentiel.

5. Les juges minoritaires, à raison, relèvent que le défi est désormais très dur à relever pour les lanceurs d’alerte.

Ils doivent déterminer ce que le public sait déjà et sur quelle base factuelle ou documentaire. Ils doivent ensuite décider si les informations qu’ils sont susceptibles de divulguer sont déjà connues du public. Si elles ne le sont pas, ils doivent s’interroger sur ce qu’elles apportent qualitativement soit pour lancer un débat inédit, soit pour modifier essentiellement le débat en cours. Ce n’est que s’ils concluent par anticipation que leurs futures révélations contribueront de manière significative au débat public qu’ils peuvent s’y risquer.

6. Comme le regrettent les juges minoritaires, on fait peser sur des individus le poids d’une appréciation complexe, car de nature quasi-judiciaire.
Malheureusement, le message que fait passer la Cour est : « ne lancez pas l’alerte sans y réfléchir à deux fois », de préférence avec l’aide de spécialistes. Un avocat ne serait pas de trop.

Peut-être que PWC peut vous conseiller. L’entreprise offre des services spécialisés sur ce sujet. Il en faut !

Votre point de vue

  • Alain
    Alain Le 26 juin 2021 à 08:25

    Je ne comprends pas l’intérêt du point 6 ( d un point de vue de la justice ). A savoir le prejudice subi par le dénoncé. A mon sens ( je ne suis pas juriste ) , c est justement la taille de l enjeu ( et donc du préjudice ) qui fait que certaines entreprises peuvent déraper. Quelqu un peut m expliquer ?

    Répondre à ce message

  • ALLEWAERT Bernard
    ALLEWAERT Bernard Le 2 juin 2021 à 23:27

    D’accord avec Sony !

    Répondre à ce message

  • ALLEWAERT Bernard
    ALLEWAERT Bernard Le 2 juin 2021 à 23:26

    D’accord avec skoby !

    Répondre à ce message

  • Skoby
    Skoby Le 2 juin 2021 à 17:01

    Je comprends parfaitement qu’un lanceur d’alerte doit être certain des faits dénoncés
    et ferait bien de consulter un avocat avant de se lancer dans une délation qui
    pourrait se retourner contre lui.

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