Statue du pape et laïcité dans l’espace public en France

par Clément Benelbaz - 9 avril 2018

Un récent arrêt du Conseil d’État de France a fait grand bruit outre-Quiévrain pour avoir annulé la décision de placer une haute statue du pape Jean-Paul II sur une place publique, statue ornée d’une grande croix. C’est plus précisément cette croix qui a posé problème et qui a motivé l’arrêt du Conseil d’État.

Ceci méritait un commentaire, portant non seulement sur l’affaire elle-même mais surtout sur le contexte de laïcité dans son acception française. En Belgique, ce sera plutôt le concept de neutralité des bâtiments et emblèmes publics qui serait mis en avant, dans un contexte constitutionnel certes différent.

Ce commentaire nous est offert par Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public à l’Université Savoie Mont Blanc.

1. Après les crèches de Noël sur certaines places publiques et dans des mairies, qui ont provoqué un certain remous en France, c’est un village de Bretagne qui a semblé résisté encore et toujours à la laïcité.
La commune de Ploërmel a suscité la controverse en décidant, en 2006, d’ériger sur une place publique une statue de 7,5 mètres de haut du pape Jean-Paul II, qui était surmontée d’une croix monumentale.

L’affaire fit grand bruit, et la décision municipale fut contestée devant le juge administratif. La question se posait en effet de savoir si l’ensemble (croix et statue) pouvait être considéré comme un signe ou emblème religieux. Si tel était le cas, alors il était interdit, ainsi que le prévoit la loi française de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, considérée comme étant la clé de voûte de la laïcité française.

2. Le Conseil d’Etat, dans une décision du 25 octobre 2017, a estimé que si l’arche surplombant la statue ne pouvait, en elle-même, être regardée comme un signe ou un emblème religieux, il en allait différemment de la croix, « eu égard à ses caractéristiques ». En clair, le juge demanda à la commune de retirer la croix, en revanche, la statue du pape seul pouvait
être maintenue.

3. Pour comprendre la décision et les enjeux, il convient de préciser les règles en matière de laïcité en France dans l’espace public. L’obligation de neutralité des services publics passe par leur apparence, et l’image qu’ils donnent aux usagers ou aux citoyens. Vus de l’extérieur ou de l’intérieur, les services ne doivent donner l’impression ni de favoriser, ni de défavoriser aucun culte, aucune croyance.

Aussi, les emblèmes religieux apposés sur les bâtiments publics sont interdits. De façon plus générale, l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 « interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».

La loi souhaitait respecter le passé, et l’interdiction ne pouvait valoir que pour l’avenir. Aussi, les emblèmes existants furent laissés, les fêtes religieuses sont restées des fêtes publiques, et les calvaires aux carrefours n’ont pas été détruits.

4. En revanche, après 1905, il convient de protéger les citoyens contre toute forme de manifestation religieuse de la part des personnes publiques, par le biais de signes ou de symboles. Chacun peut, s’il le souhaite, porter ce qu’il veut, une tenue ou un signe religieux, en mettre chez lui ou sur la façade de sa maison. L’espace public (les places ou les rues) appartient à tout le monde, et est avant tout un espace de liberté.

Dès lors, l’obligation de neutralité dans ces emplacements publics ne s’impose qu’aux seules personnes publiques (c’est-à-dire l’État, les collectivités) et en aucun cas aux particuliers, aux citoyens. C’est une des raisons d’ailleurs pour laquelle la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public ne peut en aucun cas, et contrairement à ce qui est souvent soutenu, trouver son fondement dans la laïcité, en tout cas pas dans celle issue de 1905. On le voit également, les « affaires » du burkini pendant l’été 2016, si on s’en tient au texte et à l’esprit de la loi de 1905, n’avaient aucun lieu d’être.

5. Une fois ces règles précisées, et qu’on les applique à la statue du pape ornée d’une croix, la signification religieuse ne faisait aucun doute, en tout cas pour la croix.
Par conséquent, elle ne pouvait être élevée sur une place publique.
En réalité, la statue seule pouvait l’être car rien n’empêche, dans la loi, de commémorer un homme ou une femme pour ses œuvres politiques, sociales, culturelles ou locales, quand bien même il aurait été un religieux.
Même si cela est délicat, il semble alors nécessaire de dissocier les différentes actions d’un même personnage, sans pour autant nier ce qu’il a été dans l’ensemble de sa vie. La question s’était par exemple déjà posée en 1988, et une commune avait pu placer dans un lieu public un buste représentant un cardinal archevêque de la ville, au motif qu’il avait été une personnalité locale.

6. On le voit, même si cela ne semble pas toujours être le cas, les règles en matière de laïcité sont souvent claires et précises, et surtout ont pour but premier de protéger les différentes croyances, qu’elles soient religieuses ou non, mais aussi de séparer le religieux du politique.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 10 avril 2018 à 15:48

    L’Etat, c’est nous, les citoyens donc les particuliers...L’espace public c’est donc chez nous. Nous pouvons donc faire ce que nous voulons chez nous...Nous sommes de culture et tradition judéo-chrétiennes. Pourquoi devrions-nous protéger d’autres croyances ? Que l’on commence par faire respecter notre croyance ou notre athéisme. Le mot "laïcité" est un véritable fourre-tout, dès que l’on n’a pas ou plus d’argumentaire crédible. Les personnes d’autres cultures n’ont qu’à s’adapter à la nôtre. Si elle ne leur convient pas, elles n’ont qu’à s’en retourner à leurs origines. On ne les retient surtout pas. Le "politiquement correct", le discours "aménagé" génèrent la perte de repères. Il est temps de redevenir fiers (fières) de qui nous sommes. Nul besoin d’autres sensibilités ni, d’ailleurs, d’autres susceptibilités.

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