Les modes alternatifs de règlement des conflits, kesako ?

par Bénédicte Inghels - 11 avril 2024

Depuis 2011, Justice-en-Ligne vous propose régulièrement des articles sur « les modes alternatifs de règlement des conflits », et il en a fait un dossier thématique important.
À l’occasion d’une importante refonte de la conciliation judiciaire, il nous a paru essentiel de revenir sur cette notion et de restructurer ce dossier car en treize ans les modes se sont multipliés, l’engouement pour faire la Justice autrement ne s’est pas démenti et le régime légal a parfois évolué de manière significative.
En guise d’introduction, Bénédicte Inghels, avocat général à la Cour de cassation et collaboratrice scientifique à l’Université catholique de Louvain, nous brosse une présentation générale de ces différents modes alternatifs et les grandes lignes du dossier de Justice-en-ligne sur ce thème.

1. Si, en 2011, Pierre-Paul Renson pouvait écrire que les modes alternatifs de règlement des conflits demeurent, dans notre pays, l’exception par rapport aux procédures judiciaires (« Arbitrage, conciliation, médiation et droit collaboratif : comment régler un conflit efficacement et durablement, sans recourir à une procédure judiciaire ou administrative ? »), tel n’est plus le cas aujourd’hui. Nécessité de refondre le dossier thématique aussi car, entre la médiation, les médiations, l’ombudsman, la conciliation, le règlement amiable, l’arbitrage, le « Med-Arb » (articulation entre la médiation et l’arbitrage), etc., on s’y perd parfois un peu.
Bref, les modes alternatifs de règlement des litiges, kesako ?

2. La manière dont on tranche un différend devant un juge, cela peut sembler assez clair (quoique : nous nous efforçons de vous expliquer les rouages de la Justice, parce que tout n’est pas toujours si clair !) : en cas de conflit, il y a des parties, qui ont porté leur différend devant un juge, qui va trancher, c’est-à-dire qui va dire qui a raison, en tout ou partie, et qui a tort, en tout ou partie.
Le juge y est une figure d’autorité, il est compétent selon les règles déterminées par la loi, qu’il doit appliquer. Les principes du procès équitable s’appliquent : l’impartialité du juge, les audiences publiques, le débat contradictoire et les droits de la défense. La procédure est bien réglée et doit être respectée par tous, les parties comme le juge. Au terme du procès, une décision est rendue par le juge, et ce jugement peut être exécuté, au besoin par la force publique. C’est ainsi que l’on arrive à la paix judiciaire, c’est-à-dire que, en principe, la décision judiciaire met un terme au différend.

3. En principe, car il arrive que les décisions de justice soient mal comprises ou ne soient pas exécutées (par exemple, celui qui a perdu tombe en faillite), ou encore ne répondent pas à la totalité du problème (le juge ne doit répondre qu’à ce qui lui a été demandé), etc.
Bref, il arrive que la Justice n’apporte pas cette paix.
C’est pourquoi, inspiré par des pratiques existantes aux USA et au Canada depuis très longtemps, de nombreux professionnels du droit ont promu de nouvelles façons de régler les différends.
Les modes alternatifs de règlement des conflits, ce sont, comme leur nom l’indique, tous les modes existants qui permettent de régler un litige « autrement », c’est-à-dire d’apporter une autre solution au conflit.

4. Ils présentent tous, peu ou prou, certaines caractéristiques communes mais ont aussi de grandes différences.
La caractéristique générale c’est que ces modes tendant à trouver une solution relativement négociée, c’est-à-dire qu’elle reçoit l’accord des parties, qui est donc plus durable parce que les parties exécutent mieux ce à quoi elles ont adhéré. Mais ce n’est pas toujours le cas : par exemple, dans l’arbitrage, la solution est donnée par un arbitre, qui applique les règles convenues. C’est une sorte de juge privé.
L’autre caractéristique commune est que le recours aux modes alternatifs reste encore volontaire. Depuis une loi de 2018, ce caractère volontaire est cependant un peu atténué parce qu’un juge pourrait l’ordonner d’office, mais pas contre l’avis de toutes les parties.

5. Pour le reste, les formes et les matières sont variables, et c’est ce dont nous essayerons de rendre compte dans notre nouvelle subdivision.
Mais pour bien comprendre les modes alternatifs de règlement des conflit, il faut bien comprendre leurs différences.
Il y a d’abord la distinction classique en le droit civil et le droit pénal.
Comme vous le savez en consultant nos sites, la justice civile tend à résoudre un conflit entre des droits subjectifs (c’est-à-dire entre des droits que chacun entend tirer de la loi), entre plusieurs personnes. Un mode alternatif de règlement des conflits tendra dès lors à aider ces personnes à trouver elles-mêmes leur solution au litige, par exemple en rétablissant une communication, en faisant intervenir un tiers ou en les amenant à dégager leur propre solution.
La justice pénale tend quant à elle à mettre un terme à un comportement infractionnel et à le sanctionner par une peine, même si parfois il faut aussi réparer le dommage subi par une victime. Il n’y a donc pas les mêmes enjeux (la défense de la société est au centre des débats) ni les mêmes acteurs (le ministère public intervient pour représenter la société) que dans la justice civile, et donc une solution négociée est moins aisée à mettre en place avec « la société ». Mais il existe des pistes, nous le verrons, et il peut être important que victime et auteurs puissent faire un travail ensemble pour une justice plus constructive.

6. Une autre dichotomie peut être que le mode alternatif de règlement des conflits se situe tantôt dans le cours d’une procédure, tantôt en dehors.
Une loi de 2018 a placé les modes alternatifs de règlement des conflits dans le cœur du procès civil : on songe à la conciliation judiciaire, à la médiation, même à l’arbitrage.
Mais il existe d’autres formes qui se nouent en dehors d’une procédure : la médiation volontaire, le droit collaboratif, le recours à un ombudsman, la justice restaurative, etc.

7. Une dernière distinction peut résider selon que le mode alternatif de règlement des litiges laisse les parties négocier seules (le droit collaboratif, la transaction) ou qu’il suppose l’intervention d’un tiers (le conciliateur, le médiateur, l’arbitre, l’expert, etc.).

8. Bref, le mode alternatif de règlement des conflits, c’est une autre façon d’aborder un différend et de construire une solution.
Mais, au sein des modes alternatifs de règlement des litiges, il y a de très nombreuses variations que nous vous présenterons dans ce dossier thématique en espérant que sa subdivision vous permette d’y voir plus clair. Plutôt que de grouper tous nos articles sur ce sujet, comme nous l’avons fait jusqu’à maintenant, dans un seul dossier, chacun des modes alternatifs fera l’objet d’un sous-dossier.
Chaque mode sera présenté d’une manière générale, et des questions seront abordées selon les thématiques. De même, autant que possible, nous tenterons d’interroger des acteurs du terrain avec toujours cette question : comment se traite un différend avec tel mode alternatif ?
Nous espérons que la lecture et l’évolution de ce dossier vous permettra, à côté de la Justice ordinaire, de découvrir et mieux comprendre toutes les facettes de la Justice douce.

Votre point de vue

  • Jacques Fierens
    Jacques Fierens Le 12 avril à 11:03

    Tout ce que dit l’autrice est très vrai et très bien expliqué, mais je me permets deux remarques.
    1) S’il est vrai que l’engouement pour les MARC nous vient sans doute des USA et du Canada, on oublie que tout un continent les pratique avec beaucoup de finesse depuis la nuit des temps : l’Afrique, dont nous aurions beaucoup à apprendre. L’Amérique du Nord privilégie une approche très individualiste du conflit, personne ne s’en étonnera, l’Afrique intègre davantage les dimensions communautaires.
    2) Les MARC ne doivent pas être sacralisés. Ils comportent des effets pervers importants dont les plus évidents sont la privatisation de la justice (c’est en lien avec l’individualisme), alors que l’administration de celle-ci est une affaire publique, et l’immense risque que, dans une solution négociée, ce soit finalement la partie la plus forte économiquement, ou la plus manipulatrice, ou la plus audacieuse, ou la plus instruite, ou la mieux placée socialement, qui l’emporte.

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