1. Dans le cadre d’un recours qui lui était adressé à propos d’une ordonnance bruxelloise, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur ce qui constitue la pierre angulaire de tout le régime belge des cultes, à savoir la question de la reconnaissance par l’État.
En effet, en Belgique, tout le régime des cultes, et notamment la question de leur financement public, s’articule entre, d’un côté, les cultes reconnus par le législateur fédéral et, de l’autre côté, les cultes non reconnus.
Aussi, les cultes reconnus bénéficient-ils, entre autres, du financement des traitements et des pensions de leurs ministres sur la base de l’article 181, § 1er, de la Constitution qui dispose que « [l]es traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l’État ; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget », financement dont les cultes non reconnus ne jouissent pas quant à eux.
2. L’ordonnance litigieuse du 23 novembre 2017 prévoyait que, désormais, l’exonération du précompte immobilier, qui est un impôt régional depuis la cinquième réforme de l’État, ne serait plus accordée qu’aux communautés religieuses qui relèvent d’un culte reconnu.
Rappelons qu’actuellement, six cultes sont reconnus : les cultes catholique, protestant, anglican, israélite, musulman et orthodoxe.
Les Congrégations religieuses requérantes étant des Témoins de Jéhovah, elles ne pourraient plus bénéficier de l’exonération de leur précompte immobilier et ont donc introduit un recours en annulation contre l’ordonnance bruxelloise auprès de la Cour constitutionnelle mais celle-ci, dans un arrêt n° 178/2019 du 14 novembre 2019, n’a constaté aucune discrimination et a estimé que le critère de reconnaissance est « objectif » et « pertinent ».
3. Contrairement à la Cour constitutionnelle, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’ordonnance bruxelloise créait une discrimination. Dans la mesure où le critère de distinction pour bénéficier ou non de l’exonération est celui de la reconnaissance – qui demeure une compétence de la collectivité fédérale et dont dépendent de nombreux avantages octroyés aux cultes (financement public des ministres des cultes et des bâtiments affectés aux cultes, cours de religion dans l’enseignement officiel, émissions concédées à la radio et à la télévision, etc.) –, la Cour de Strasbourg a rendu un arrêt dont la portée dépasse la seule ordonnance bruxelloise.
Dans son arrêt Assemblée chrétienne des Témoins de Jéhovah d’Anderlecht et autres c. Belgique du 5 avril 2022, la Cour a constaté que ni les critères de reconnaissance ni la procédure à suivre par un culte en vue d’être reconnu « ne sont prévus par un texte satisfaisant aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité, lesquelles sont inhérentes à la notion de prééminence du droit qui gouverne l’ensemble des articles de la Convention » (§ 51). Elle a estimé que, « dès lors que l’exonération fiscale litigieuse est subordonnée à une reconnaissance préalable dont le régime n’offre pas de garanties suffisantes contre des traitements discriminatoires, la différence de traitement dont les requérantes font l’objet manque de justification objective et raisonnable » (§ 55). La Cour a dès lors conclu à la violation de l’article 14 de la Cour européenne des droits de l’homme (principe de non-discrimination), combiné avec l’article 9 de la même Convention (liberté de religion) et avec l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention (protection de la propriété).
4. Cet arrêt, rendu à l’unanimité par la troisième section de la Cour européenne des droits de l’homme, oblige à tout le moins le législateur bruxellois à corriger la discrimination créée par l’ordonnance litigieuse en rétablissant l’exonération du précompte immobilier pour l’ensemble des communautés religieuses, qu’elles relèvent ou non d’un culte reconnu. Pour le reste, il devrait, nous semble-t-il, donner l’impulsion au Parlement, lorsqu’il aura le pouvoir de modifier la Constitution sur ce point (ce que les juristes appellent le « Constituant dérivé ») et au législateur fédéral pour repenser le régime de reconnaissance des cultes dans sa globalité afin de le doter d’une réglementation claire et accessible et, ce faisant, de le rendre plus transparent, plus objectif et moins discriminatoire.