Nous avons lu : Anne Bouillon, Affaires de femmes, une vie à plaider pour elles, Éditions L’Iconoclaste, 2024

La face cachée de la justice : un parcours du combattant

par Nadine Kalamian - 18 août 2025

Voilà des années qu’Anne Bouillon, avocate au barreau de Nantes, se lève tous les jours et plaide la cause des femmes. « Il me faut aujourd’hui l’écrire… pour que cela s’arrête », nous dit-elle.
C’est ce qu’elle nous livre dans « Affaires de femmes, une vie à plaider pour elles ».

Célèbre pénaliste engagée, elle consacre sa carrière à la défense des victimes, au féminin, de violences au quotidien.
Derrière chaque cliente qui pousse la porte de son cabinet, il y a une histoire de relation qui a basculé, d’union brisée, de prison de domination, de dépendance devenue piège, une peur qui s’installe entre le sexe et l’argent, une vie d’angoisse, de doutes et de détresse en silence.
À travers ce récit, Anne Bouillon met en lumière les réalités de la justice française face aux violences sexistes et sexuelles.
Son livre est le fruit d’une conversation à trois voix, menée durant des années avant et après #metoo# : celle de toutes ces femmes victimes, celle de leur avocate déterminée et, enfin, celle de la justice et du droit, souvent défaillante, parfois maltraitante.

Lorsque ces femmes décident de parler – ce qui est relativement rare – c’est un autre combat qui commence : celui de la face cachée de la justice, un véritable parcours du combattant.
Anne Bouillon le sait mieux que personne, elle représente celles que l’on n’a pas écoutées, celles dont la parole a été remise en cause, celles qui sont les premières soupçonnées et qui se heurtent à un système encore trop souvent aveugle face aux violences structurelles qu’elles subissent.
Derrière les chiffres et les grands discours, ce sont des vies brisées qu’elle accompagne, de femmes de tous horizons, confrontées aux mêmes injustices. Parce qu’il ne suffit pas de parler de justice pour qu’elle advienne, Anne Bouillon rappelle une chose essentielle : les droits des femmes ne doivent plus être négociables.

Tel est le prix de l’honneur de la société.

S’appuyant sur des notions aujourd’hui au cœur du débat public, tels que le « consentement », le « féminicide », « l’emprise », elle analyse la façon dont le droit s’est saisi de ces questions et les obstacles qui persistent.
Elle se penche aussi sur le champ des possibles pour réinventer ensemble une justice à la hauteur de la cause des femmes.

Tout d’abord, faire changer la honte de camp.

Dans les prétoires, la honte est encore trop souvent du côté des victimes. Anne Bouillon veut renverser cette logique et cesser de cacher ces affaires derrière des audiences à huis clos et choisir dans certains cas la publicité des débats.
Une démarche sans doute difficile à vivre pour celles qui osent parler et s’exposer, mais qui a l’avantage de la valeur pédagogique. En mettant en lumière l’indicible, l’inimaginable, souvent relégué dans l’ombre, et en convoquant la conscience collective, on peut espérer que la honte change de camp.
Ainsi, la justice ne se contente plus de trancher un cas individuel, elle interroge la société tout entière. Rendre visible ce qui dérange est une piste parmi d’autres.
Trop souvent la loi a tardé à évoluer parce qu’elle est le reflet des structures sociales marquées par une discrimination ancestrale.
Comme ce livre le rappelle, la domination masculine s’est historiquement exercée à travers la possession et la disponibilité du corps des femmes.
Si, devant un tribunal on ne fait que du droit, ce qui y est défendu comporte en cette matière une dimension « politique ».

Anne Bouillon met l’accent sur la nécessité de faire évoluer les mentalités, l’outil d’une pédagogie adaptée et égalitaire qui doit prendre le pas et se distiller dès les premiers pas et les premiers mots…
Ce livre explore les replis du crime ordinaire de viol. Cette violence par contrainte, menace ou surprise, si loin des réalités du terrain.
Ce livre évoque la notion du « consentement » et les 50 nuances du non, qui pourtant ne dit pas oui !

Anne Bouillon aborde aussi le thème du viol conjugal, agression propre au mariage et nous explique que dire « oui » à la mairie n’emporte pas un consentement acquis et présumé, à chaque acte sexuel.
Passer de la présomption de consentement à la notion d’indisponibilité du corps des femmes est un des enjeux féministes majeurs actuels de notre société.
Comme en Belgique, la justice française se heurte aux coupes budgétaires qui entravent le déploiement d’une justice digne de ce nom dans un état de droit. Qu’il s’agisse de l’accueil des victimes, de l’écoute qui leur est due, de l’accompagnement qu’elles attendent ou de l’instruction qui s’en suit, le parcours qui se dessine est toujours le même : une lutte épuisante et qui ne laisse pas intact.
Dans son livre, Anne Bouillon ne se contente pas d’une analyse du droit français. En le comparant à la Suède, la Belgique ou encore l’Espagne, elle met en évidence les différentes approches adoptées et les leçons à en tirer. À titre d’exemple, là où certains pays ont fait de la notion de consentement un pilier central de leur législation sur le viol, d’autres peinent encore à se détacher d’une vision archaïque des rapports entre hommes et femmes.

Éduquer au respect, déconstruire les schémas de domination, apprendre dès le plus jeune âge que l’égalité ne se décrète pas, mais se construit, tel est l’enjeu essentiel. La justice a un rôle à jouer, sans toutefois être le seul levier du changement.
Avec Affaires de femmes, Anne Bouillon signe un ouvrage précieux à la croisée du témoignage et de l’analyse juridique et sociologique : une invitation à une nécessaire mutation.

Anne Bouillon, Affaires de femmes, une vie à plaider pour elles, Éditions L’Iconoclaste, 2024

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