Nous avons lu : Pascale Robert-Diard, La Petite Menteuse

par Jean-Pol Masson - 27 janvier 2025

Née en 1961, chroniqueuse judiciaire au Monde depuis 2002, lauréate de plusieurs prix, Pascale Robert-Diard est l’autrice d’essais et de romans dont l’action se situe dans… le monde des juridictions pénales.
C’est le cas de La Petite Menteuse, que nous présente Jean-Pol Masson, professeur honoraire à l’Université libre de Bruxelles, directeur honoraire à la Cour des comptes et auteur d’une synthèse sur Le droit dans la littérature française.

1. Le récit débute au moment où une avocate chevronnée (« la cinquantaine, dont la moitié passée à courir les tribunaux et les cours d’assises »), Alice, est consultée par une jeune femme (vingt ans), Lisa, qui, cinq ans auparavant, s’est dite victime d’un viol (plus précisément de fellations et de tentatives de sodomie – l’examen médical confirmera que sa virginité est intacte).
Ses parents ont porté plainte et l’homme visé par celle-ci, un ouvrier plâtrier qui avait travaillé chez ses parents, a été arrêté et, en dépit de sa constante dénégation des faits, condamné à dix ans de prison par la cour d’assises d’une ville française dont on ne nous donne pas le nom. Il a interjeté appel et la cause doit être jugée dans quatre mois. La jeune victime, quoique n’ayant rien à reprocher à son défenseur (un brillant avocat parisien, spécialiste de ce genre d’affaires), a souhaité être défendue en appel par une femme.
Alice et Lisa ont plusieurs entretiens, tout se passe bien, puis, un jour, Lisa déclare à Alice qu’elle a menti depuis le début : « J’ai menti pour me sortir de toute la merde dans laquelle j’étais… ». Elle s’explique. Au collège, elle a été remarquée par ses condisciples masculins parce qu’elle a eu une poitrine (généreuse) avant les autres filles. Plusieurs lui ont fait la cour, elle en a été flattée, elle s’est laissé faire jusqu’à un certain point : « Je leur faisais ce qu’ils voulaient, mais je les laissais toucher que le haut, jamais le bas ». De plus, les ébats étaient filmés – à son insu – par un des garçons.
Une amie, qui était dans le même collège, le lui a appris et elle lui a alors raconté – pure imagination – qu’elle avait été violée, demandant à son amie de n’en rien dire. L’amie a prévenu néanmoins un de leurs professeurs, qui a averti un collègue. Ils ont convoqué Lisa. Celle-ci a compris que son amie avait parlé et elle s’est sentie coincée, empêchée de revenir en arrière. Dès lors, tout s’est enchainé, elle a confirmé l’histoire du viol devant ses parents, la gendarmerie, la juge d’instruction – qui n’a toutefois pas procédé à une confrontation avec l’inculpé, ne voulant pas imposer cette épreuve à Lisa, hospitalisée pour anorexie –, enfin, la cour d’assises.
Arrive le procès en appel. Lisa a écrit à la présidente de la cour pour avouer qu’elle avait menti et elle maintient cet aveu à l’audience. Alice commence alors une plaidoirie destinée à expliquer comment sa cliente en est arrivée à imaginer un viol. Pour Alice, « dans cette affaire, il n’y a pas de coupable, il n’y a que de bonnes intentions ». Cette dernière formule évoque ce qui, pour Alice, constitue le problème majeur, à savoir « pourquoi tant de gens ont eu envie de la [Lisa] croire ». Le livre se clôt là-dessus.

2. Que retenir de cet ouvrage ?
On peut évidemment hésiter quant à la vraisemblance du comportement de Lisa. Qu’elle veuille se sortir d’une situation insupportable, on le comprend. Mais qu’elle ne trouve comme moyen qu’accuser un innocent, bien étranger aux faits dont elle souffre au collège, on a peine à le croire.
Qu’elle n’ait pas pensé aux conséquences gravissimes qu’une accusation de viol allait avoir pour celui contre qui elle la lançait, est tout aussi peu vraisemblable, tout comme le fait qu’elle ne se rétracte que cinq ans plus tard.
Et elle n’est pas idiote, tant s’en faut. Certes, on sait, depuis Boileau, que le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable, mais tout de même. Il y a aussi, évidemment, les droits du romancier. Mais là aussi, il faut se garder d’aller trop loin, particulièrement lorsque l’on veut démontrer quelque chose.

3. Au fait, que veut démontrer l’autrice ?
Qu’il y a des erreurs judiciaires ? On le savait, naturellement – ce qui n’empêche pas que ce type d’erreur ne doit pas être banalisé.
Il est plus intéressant de se pencher sur les deux réflexions de l’avocate (dont je pense pouvoir dire qu’elle est la porte-parole de l’autrice) citées ci-dessus.

4. La première consiste à dire qu’il n’y a pas eu en l’espèce de coupable mais seulement des gens pleins de bonnes intentions.
Oui et non. Lisa est bien coupable d’un mensonge gravissime et qu’elle ne rétracte que cinq ans plus tard, alors qu’elle est majeure depuis deux ans. On n’aperçoit pas où sont, de ce côté-là, les bonnes intentions. En revanche, de telles intentions sont bien présentes chez son amie, ses parents, ses professeurs, les gendarmes, la juge d’instruction. Tous ont voulu la protéger et rien ne permet de soutenir qu’ils connaissaient la vérité.

5. La deuxième réflexion porte sur la question de savoir pourquoi tant de gens ont eu envie de croire Lisa.
Disons tout d’abord qu’en ces termes, la question est mal posée : il y a des personnes qui ont cru Lisa, écrire qu’elles avaient envie de la croire est leur faire un procès d’intention.
Or, rien ne permet d’aller dans cette voie, hormis peut-être pour les parents de la jeune fille, qui ont pu constater que l’ouvrier était un ivrogne.
Et il existe aussi – mais je suis convaincu qu’il ne s’agit que d’exceptions – des magistrats et des policiers d’un tempérament maladivement sévère qui fait qu’ils ont envie de croire tout ce qu’on leur raconte sur les suspects. Dans le roman ici présenté, il ne parait pas que le suspect ait eu affaire à des magistrats ou des policiers de ce genre. Il est vrai que la juge d’instruction semble en pincer un peu pour l’avocat parisien de la plaignante, mais de là à mettre son intégrité professionnelle en doute…

6. Rectifions donc le tir et demandons-nous pourquoi tant de gens ont cru Lisa.
Elle était effondrée et, peu après le dépôt de la plainte, elle a été hospitalisée. Avant la plainte, elle allait déjà mal. Rien dans sa personnalité ne permettait de croire qu’elle allait inventer une telle fable. De l’autre côté, on trouve un gars peu sympathique, ayant déjà eu des ennuis avec la justice, buvant force vodka pendant qu’il travaille, reconnaissant qu’il lui arrive de tenir à des femmes des propos déplacés et d’avoir avec elles des gestes qui le sont tout autant.

7. Et puis, il faut bien le dire, il y a des modes.
Après le début de l’affaire Dutroux, il était classique (nous ne disposons évidemment pas de statistiques, mais enfin c’était fréquent) qu’une mère s’oppose au droit de visite du père en prétendant qu’il se livrait à des attouchements sur les enfants du couple.
De nos jours, depuis le succès du mouvement Me Too, d’innombrables accusations de viol ou d’autres violences sexuelles sont lancées contre des personnalités en vue, le citoyen moyen ayant tendance à les croire, se réjouissant que la parole des victimes se soit enfin libérée et pensant qu’on n’aperçoit pas pourquoi les plaignantes auraient inventé tout cela. La présomption d’innocence en prend souvent un coup, même si les journalistes qui évoquent ce genre de plaintes ne manquent pas de souligner que la personne visée est présumée innocente.

8. Le livre recensé va donc à contrecourant, ce qui nécessite un courage que l’on doit saluer.
Il met en exergue cette présomption d’innocence qui doit être respectée absolument.
On conviendra volontiers qu’il est dangereux de laisser un violeur en liberté et impuni. Mais encore faut-il être sûr qu’il s’agit d’un violeur. En cas de doute (et dans de très nombreux cas, comme en l’espèce, il ne reste que la parole de la victime, faute de témoins et en l’absence de preuves matérielles, comme des traces de coups ou du sperme ou de l’ADN), la règle veut que le doute profite à la personne poursuivie. Et c’est normal : en droit, et pas seulement en matière pénale, c’est à celui qui agit en justice à prouver ce qu’il avance.
Si ces principes triomphent finalement dans l’ouvrage de Pascale Robert-Diard, il reste – mais cela n’engage que moi – qu’il est dommage que la démonstration s’appuie sur un comportement aussi peu plausible.

Pascale Robert-Diard, La Petite Menteuse, Paris, L’Iconoclaste, 2022, 227 pp.

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