1. La condamnation encourue par Eternit n’était pourtant pas évidente compte tenu de l’immunité dont cette entreprise bénéficie depuis que le Fonds Amiante a été mis sur pied par la loi-programme (I) du 27 décembre 2006.
2. Celle-ci prévoit que les employeurs alimentent le Fonds Amiante au prorata de leur masse salariale. En contrepartie, l’article 125, § 1er, de la loi-programme interdit aux victimes indemnisées par le Fonds de rechercher la responsabilité de ces employeurs pour obtenir un complément d’indemnité dans l’hypothèse où l’intervention du Fonds n’assurerait pas une réparation intégrale.
Or, la victime avait perçu du Fonds Amiante un montant de 11 951 €. Bien que cette indemnité soit complétée d’une rente forfaitaire mensuelle de 2 185,20 €, elle n’indemnisait pas entièrement la victime de son dommage.
3. Cette dernière a donc engagé une procédure à l’encontre d’Eternit pour obtenir des dommages et intérêts complémentaires.
Elle s’est basée sur l’article 125, § 2, de la loi-programme, qui précise que « l’action en responsabilité civile reste ouverte au profit de la victime ou de ses ayants droit contre le tiers responsable lorsque ce dernier a provoqué intentionnellement la maladie ». Elle estimait en effet qu’Eternit avait commis une faute intentionnelle et ne pouvait donc prétendre au bénéfice de l’immunité consacrée par l’article 125, § 1er, de la loi-programme.
Le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a ainsi été invité à préciser la portée de l’exception à l’immunité inscrite à l’article 125, § 2, de la loi-programme à travers la définition de l’intention prêtée au tiers responsable.
Selon le Tribunal, celle-ci doit s’entendre dans le sens où le tiers responsable accepte le résultat que son comportement peut avoir, compte tenu des conséquences prévisibles ; le tiers responsable ne doit pas avoir voulu les conséquences concrètes.
Le Tribunal a, par conséquent, considéré qu’Eternit avait commis une faute intentionnelle au sens de l’article 125, § 2, de la loi-programme en continuant d’exploiter son usine de Kapelle-op-den-Bos sans prendre aucune mesure pour protéger ses employés, les membres de leur famille et leurs voisins contre l’inhalation de fibres d’amiante alors même qu’elle savait, par les publications intervenues au sein du monde scientifique, que l’exposition à l’amiante provoque le cancer du poumon et le mésothéliome.
Pour déterminer si la faute d’Eternit a causé le dommage, le Tribunal a également constaté que des mesures prises plus rapidement pour empêcher l’inhalation de fibres d’amiante auraient eu un effet bénéfique sur la protection contre le mésothéliome.
Le Tribunal a finalement condamné la S.A. Eternit à payer à la victime une indemnité provisionnelle complémentaire de 50 000 € dans l’attente de précisions sur l’étendue du dommage.
4. Eternit a déjà annoncé qu’elle interjetterait appel de la décision dès lors qu’elle lui paraît interpréter la notion de faute intentionnelle d’une manière non conforme à la loi.
5. Justice-en-ligne a publié précédemment les deux articles suivants sur des mises en cause judiciaires d’Eternit :
- Bérénice Fosséprez, « Les décisions Eternit et Monsanto : la responsabilité civile au service de la sécurité sanitaire » ;
- Bérénice Fosséprez, « Eternit en appel : le principe de la responsabilité confirmé » (voir aussi : « Le procès Eternit devant la Cour d’appel de Bruxelles : de quoi s’agit-il ? »).
Votre point de vue
Marie-Thérèse Jacot-Descombes Le 2 mai 2024 à 15:32
Un grand merci pour vos articles.
Répondre à ce message