La Cour européenne des droits de l’homme va se prononcer en Grande Chambre sur le réchauffement climatique

L’audience est à visionner sur le site de la Cour

par Pierre Vandernoot - 15 septembre 2023

Photo @ PxHere

Savez-vous que, depuis 2007, toutes les audiences publiques de la Cour européenne des droits de l’homme ont été filmées et peuvent être visionnées dans leur intégralité, avec interprétation en français et en anglais ?
Tel a été le cas le 29 mars dernier dans une affaire Carême c. France : le requérant y soutient que l’action de la France en matière de lutte contre le réchauffement climatique est insuffisante et dénonce à cet égard une violation de l’obligation de garantir le droit à la vie et le respect de la vie privée et familiale.

L’affaire Commune Grande-Synthe c. France devant le Conseil d’État de France

1. Il a déjà été question de la Commune de Grande-Synthe sur Justice-en-ligne.
Il s’agit d’une municipalité du littoral de la Manche, dont Damien Carême, alors maire de cette commune, a entrepris diverses démarches auprès du Président de la République, du Premier ministre et du Ministre de la transition écologique et solidaire, leur demandant de prendre toutes mesures utile permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de manière à respecter les engagements consentis par la France, prendre toutes dispositions d’initiatives législative ou règlementaire utiles visant à rendre obligatoire la priorité climatique et interdisant toutes mesures susceptibles d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre et enfin prendre des mesures immédiates d’adaptation au changement climatique de la France. C’est également en son nom personnel qu’il effectua ces démarches.

2. Aucune réponse ne fut donnée à ces demandes.
Le 23 janvier 2019, M. Carême et la Commune de Grande-Synthe notamment saisirent le Conseil d’État de France d’une requête en annulation des décisions implicites de rejet résultant de l’absence de réponse aux demandes précitées.

3. Le 19 novembre 2020, le Conseil d’État jugea que M. Carême ne justifiait pas d’un intérêt lui permettant de demander l’annulation de ces décisions implicites de rejet mais jugea en revanche que la Commune de Grande-Synthe avait un tel intérêt, « eu égard à son niveau d’exposition aux risques découlant du phénomène de changement climatique et à une incidence directe et certaine sur sa situation et les intérêts propres dont elle a la charge ». Justice-en-ligne a fait écho à cet arrêt dans un article de Nicolas de Sadeleer, « Le Conseil d’État de France reconnaît l’intérêt d’une commune menacée par des effets du réchauffement climatique à agir devant lui » (8 janvier 2021). Deux articles ultérieurs sur Justice-en-ligne évoquent aussi cet arrêt : Nicolas de Sadeleer, « La Justice administrative française enjoint à l’État de réparer le préjudice écologique dû au réchauffement climatique » (26 avril 2021) ; « La Justice déclare les pouvoirs publics belges responsables au civil pour une politique climatique déficiente » (9 août 2021).

4. Le 1er juillet 2021, le Conseil d’État annula ce refus implicite du Gouvernement français, observant que la baisse des émissions en 2019 et en 2020 était faible et que le respect des objectifs fixés de réduction des émissions, qui prévoient notamment une baisse de 12 % pour la période 2024-2028, n’apparaissait pas envisageable si de nouvelles mesures n’étaient pas adoptées rapidement.
Le Conseil d’État enjoignit au Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires d’ici le 31 mars 2022 pour atteindre l’objectif, issu de l’Accord de Paris, de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030.

La procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme

5. Le 28 janvier 2021, Damien Carême, qui à cette date n’était plus le maire de la commune de Grande-Synthe, introduisit un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme
Il soutient que la carence des autorités à prendre toutes mesures utiles permettant à la France de respecter les niveaux maximums d’émissions de gaz à effet de serre qu’elle s’est elle-même fixés constitue une violation de l’obligation de garantir le droit à la vie, consacré par l’article 2 de la Convention, et de garantir le « droit à une vie privée et familiale normale », consacré par l‘article 8 de la Convention. Le requérant fait en particulier valoir que l’article 2 met à la charge des États l’obligation de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes, notamment en matière de risques environnementaux susceptibles de porter atteinte à la vie.
S’agissant de l’article 8, il soutient qu’en rejetant son recours devant le Conseil d’État au motif qu’il n’avait pas d’intérêt à agir, cette juridiction a méconnu son « droit à une vie privée et familiale normale ». Il considère qu’il est directement affecté par l’insuffisance de l’action du Gouvernement en matière de lutte contre le changement climatique puisque cette insuffisance augmente les risques que son domicile soit affecté dans les années à venir, en toute hypothèse dès 2030, et qu’elle en trouble d’ores et déjà les conditions d’occupation, notamment en ne lui permettant pas de s’y projeter sereinement. Il ajoute que l’ampleur des risques qui affecteront son domicile dépendra notamment des résultats obtenus par le Gouvernement français en matière de lutte contre le changement climatique.

6. Le 31 mai 2022, la chambre (c’est-à-dire la formation de jugement composée de sept magistrats) à laquelle l’affaire avait été attribuée s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre de la Cour (c’est-à-dire la formation de jugement plus largement composée de dix-sept magistrats), qui généralement connaît des affaires importantes, notamment celles ayant un grand intérêt sociétal : selon la Convention européenne des droits de l’homme en effet, lorsqu’une affaire « soulève une question grave relative à l’interprétation de la Convention », elle est soumise à la Grande Chambre.

7. Après que les parties, c’est-à-dire le requérant (et ses avocats) et les représentants du Gouvernement, ainsi que des représentants d’organisations non gouvernementales [European Network of National Human Rights Institution (ENNHRI) et Our Children’s Trust (OCT), Oxfam France et Oxfam International et ses affiliés (Oxfam)], aient échangé leur argumentation écrite, une audience publique a été fixée devant la Cour le 29 mars 2023 permettant aux avocats du requérant et aux représentants du Gouvernement de s’exprimer.

Le visionnage sur internet de l’audience de la Grande Chambre

8. Toutes les affaires examinées par la Cour européenne des droits de l’homme ne donnent pas lieu à des audiences publiques mais, lorsque pareille audience se tient, elle est diffusée sur le site internet de la Cour européenne des droits de l’homme, sur une page, intitulée « Retransmissions », qui lui est spécialement consacrée. Cette diffusion se fait avec traduction simultanée en français ou en anglais.

9. Tel fut le cas de l’audience du 29 mars dernier, qu’il est loisible à chacun de regarder.
Elle permet de mieux comprendre les enjeux de cette procédure devant la Cour, tant en ce qui concerne la possibilité pour un citoyen d’agir ainsi devant cette Cour qu’en ce qui concerne les importantes questions de fond qui sont en débat. Le langage utilisé par mes différents acteurs de cette audience n’est pas nécessairement juridico-technique : il est généralement accessible à tous.
Chacun peut donc assister à ces audiences comme s’il était à Strasbourg !

10. Lorsque l’arrêt de la Grande Chambre sera prononcé, Justice-en-ligne en rendra compte.

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Pierre Vandernoot


Auteur

Pierre Vandernoot, président de l’Institut d’Études sur la Justice, assure la direction du site “www.justice-en-ligne.be”. Membre de plusieurs sociétés scientifiques et comités de rédaction, il est président de chambre émérite au Conseil d’État et maître de Conférences honoraire à l’Université libre de Bruxelles.

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