L’anonymat du don de gamètes n’est plus, vive l’anonymat !

par Coline Gillard - 26 décembre 2024

Le 26 septembre 2024, la Cour constitutionnelle a rendu un important arrêt en matière de droit à la connaissance de ses origines dans le contexte de la procréation médicalement assistée (ci-après : « PMA ») en Belgique. Son intérêt se situe toutefois davantage sur le plan des principes, avec la reconnaissance de ce droit en Belgique, que sur le plan pratique, au vu de sa portée limitée et de ses effets différés dans le temps.
Coline Gillard, assistante à l’UCLouvain et avocate au barreau du Brabant wallon, nous en livre l’analyse.

1. La PMA est un processus qui permet à une personne seule ou à un couple de concevoir un enfant grâce à l’assistance de techniques médicales.
Soit la PMA est mise en œuvre à partir des gamètes (ovules et spermatozoïdes) dudit couple, soit à partir de celles de tiers donneurs (don d’un embryon déjà constitué), soit une combinaison des deux (utilisation des gamètes d’un auteur du projet parental et d’un tiers donneur).

2. Le droit à la connaissance de ses origines, quant à lui, répond à la quête identitaire des enfants nés dans un contexte où ils ignorent une partie de leurs origines.
Si de telles revendications se sont d’abord manifestées dans le contexte de la filiation et de l’accouchement dans le secret (ou « accouchement sous X »), elles ont progressivement gagné les enfants issus d’une PMA avec don de gamètes ou d’embryons.

3. Ces enfants réclament l’accès à des informations sur leur donneur : d’une part, des informations non identifiantes (telles que les affections médicales, la profession, les caractéristiques physiques et personnelles, etc.) ; d’autre part, des informations identifiantes (comme le nom, le prénom, la date de naissance ou la nationalité du donneur).

4. En Belgique, de telles revendications se heurtent aux dispositions de la loi du 6 juillet 2007 ‘relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes’ (ci-après : la « loi PMA »), laquelle prévoit que le don de gamètes et d’embryons est anonyme.
Une seule exception à cette règle est prévue, dans l’hypothèse où le donneur de gamètes est connu de l’auteur ou des auteurs du projet parental et intervient pour les aider à concrétiser leur projet, moyennant un contrat spécifique. Une telle hypothèse n’implique toutefois pas que l’enfant issu du don ait un droit d’accès à cette information. Elle n’est par ailleurs pas prévue en ce qui concerne le don d’embryons.

5. Certes, la loi PMA prévoit des accès à certaines informations non identifiantes du donneur, mais dans des hypothèses et conditions très strictes.
Ainsi, les informations susceptibles de revêtir une importance pour le développement sain de l’enfant peuvent être communiquées, d’une part, aux auteurs du projet parental – les receveurs du don – au moment de faire leur choix et, d’autre part, au médecin traitant de l’enfant issu du don ou à celui de ses parents, pour autant que son état de santé le requière.
L’enfant ne se voit donc pas reconnaitre un tel accès.

6. C’est dans un tel contexte qu’une enfant née grâce à une PMA avec don de sperme, une fois sa majorité atteinte, a cherché des informations relativement à ses origines. Pour ce faire, elle a sollicité en justice l’accès au dossier médical de sa mère, vu le refus du centre de fécondation intervenu dans le cadre de la PMA de le lui communiquer.
Le Tribunal chargé de connaitre l’affaire a analysé sa demande comme étant celle d’accéder à des informations relatives à son père biologique.
Face aux exigences de la loi, il a questionné la Cour constitutionnelle pour vérifier si les dispositions prescrivant l’anonymat du don de gamètes étaient compatibles avec le droit au respect de la vie privée et familiale (qui comprend le droit à la connaissance de ses origines), protégé par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme.

7. La Cour, dans son examen, rappelle que le droit au respect de la vie privée et familiale n’est pas absolu et que des ingérences sont possibles, pour autant qu’elles poursuivent un but légitime et qu’elles y soient proportionnées.
Après avoir confirmé que les dispositions en cause poursuivaient un but légitime, la Cour s’est attachée à vérifier si elles y étaient proportionnées, en examinant la manière dont les intérêts concurrents ont été pris en compte et dont il a été recherché un équilibre entre eux.
Dans le cas d’espèce, les intérêts en jeu sont, d’une part, ceux de l’enfant à connaitre ses origines, et, d’autre part, ceux du donneur à préserver l’anonymat de son don pour protéger sa vie privée et familiale.
Dans ce contexte, la Cour a relevé qu’une priorité absolue était donnée par la loi aux intérêts du donneur puisque les dispositions privent « […] en toutes circonstances et quel que soit l’intérêt qu’il invoque, l’enfant conçu […] d’obtenir […] la moindre information identifiante ou non identifiante concernant le donneur. [Il ne peut] pas davantage […] contacter ce donneur directement ou indirectement pour lui demander s’il accepte que son anonymat soit levé. Les dispositions en cause privent ainsi de manière absolue les enfants issus d’un don de gamètes de toute possibilité de connaitre leurs origines […] » (B.8.2 de l’arrêt, nous soulignons).
En conséquence, la Cour a conclu que les dispositions de la loi PMA prévoyant l’anonymat du donneur de gamètes n’étaient pas compatibles avec le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.
Elle a dès lors invité le législateur à élaborer une loi ménageant adéquatement les intérêts concurrents en présence, spécialement celui de l’enfant à la connaissance de ses origines et celui du donneur au respect de sa vie privée et familiale

8. Si cet arrêt semble marquer la fin de l’anonymat du donneur, il faut en nuancer la portée.
D’une part, pour préserver la sécurité juridique, la Cour décide, en dépit de l’inconstitutionnalité des dispositions, d’en maintenir les effets jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi qu’elle invite le législateur à adopter ou au plus tard jusqu’au 30 juin 2027. Durant cette période, les dispositions prévoyant l’anonymat continuent de s’appliquer.
D’autre part, les enseignements des arrêts de la Cour constitutionnelle ne lient que les juridictions de l’affaire concernée et celles appelées à se prononcer dans d’autres affaires ayant le même objet. Or, les paramètres de cette affaire sont très précis puisqu’il s’agit d’une demande formée par un enfant majeur né grâce à une PMA avec don de gamètes, lequel don est intervenu avant l’entrée en vigueur de la loi relative à la PMA, en vue d’accéder aux données identifiantes et non identifiantes du donneur.
En d’autres termes, un autre enfant, même majeur, issu d’une PMA avec don d’embryon (et non de gamètes) ne pourra se saisir de l’enseignement de la Cour constitutionnelle comme tel et devra lui poser la question de la constitutionnalité des dispositions prévoyant l’anonymat du don d’embryon au regard du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. Ce n’est qu’en fonction de sa réponse qu’il pourra se prévaloir d’un éventuel constat d’inconstitutionnalité.

9. Cet arrêt, s’il marque un tournant dans les droits reconnus à l’enfant issu d’un don en Belgique, est donc à relativiser quant à sa portée, tant sur le plan temporel, puisqu’il constate l’inconstitutionnalité du régime d’anonymat actuellement mis en œuvre tout en laissant subsister ses effets, que sur le plan de son objet, puisque son enseignement ne vaut que dans des circonstances précises.

10. L’on ne peut qu’espérer que cette décision constituera un incitant suffisant pour pousser le législateur à modifier la loi relative à la PMA en supprimant l’anonymat absolu du donneur, étant entendu que plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées à la Chambre des représentants et sont en cours d’examen.

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