1. Aux termes de l’article 150 de la Constitution belge, la cour d’assises est seule compétente pour juger au pénal des délits de presse, à savoir des infractions de droit commun (calomnie, diffamation, injures, outrages, etc.) consistant en la diffusion d’opinions punissables par le biais d’écrits imprimés rendus publics.
L’idée qui a animé les membres du Congrès national, chargés d’arrêter le texte de la Constitution en 1831, c’est que « celui qui juge la presse la possède », selon la formule de feu Paul Errera, un éminent constitutionaliste belge. Or, dans l’idée du constituant originaire, seule l’opinion publique, représentée par les douze jurés qui composent le jury populaire, devait être en mesure de juger la presse.
Très rapidement, la Cour de cassation a jugé que l’article 150 de la Constitution ne s’opposait pas à ce que la victime d’un délit de presse puisse obtenir la réparation de son dommage en s’adressant aux juridictions civiles.
La jurisprudence de nos cours et tribunaux regorge d’ailleurs d’exemples qui démontrent que les victimes d’abus de la liberté ne sont pas totalement délaissées.
2. Le jugement pénal des délits de presse était jusqu’il y a peu considéré comme une hypothèse judiciaire en voie de d’extinction. Les raisons qui étaient généralement avancées pour expliquer l’absence de renvoi des délits de presse devant la cour d’assises par la chambre des mises en accusation tenaient tant au coût qu’à la lourdeur d’un procès d’assises.
À y regarder plus près cependant, on peut également y voir une question de politique criminelle, l’idée étant de réserver aux juridictions pénales, en général, et à la cour d’assises, en particulier, le jugement des infractions les plus graves, auxquelles n’émargeraient plus les délits de presse.
L’impunité pénale de fait qui régnait jusqu’à il y a peu concordait également avec la volonté émise aussi bien par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe que par la Cour européenne des droit de l’homme de dépénaliser la diffamation et de réserver la répression pénale des abus de la liberté d’expression à des hypothèses exceptionnelles, notamment en matière d’incitation à la haine. À cet égard, on relèvera d’ailleurs que, dès 1999, la Constitution belge a été modifiée pour soustraire les délits de presse « inspirés par le racisme ou la xénophobie » à la compétence de la cour d’assises, ces délits de presse relevant depuis lors de la compétence du tribunal correctionnel.
3. Dans ce contexte, comment doit-on interpréter les deux renvois devant la cour d’assises successivement prononcés par la chambre des mises en accusation de Bruxelles ?
Il n’est pas interdit d’y voir la volonté des autorités judiciaires de voir réapparaître une forme de sanction pénale des délits de presse. Cette volonté peut être lue comme une réponse à la proposition formulée par d’aucuns de voir « correctionnaliser » l’ensemble des délits de presse et qui se fonde notamment sur la large portée de la règle consacrée à l’article 150 de la Constitution, la Cour de cassation ayant récemment jugé que l’on pouvait se rendre coupable d’un délit de presse par le biais d’écrits publiés sur l’internet (cf. à ce sujet, notre article publié par Justice-en-ligne, « Selon la Cour de cassation, des ‘délits de presse’ peuvent également être commis par le biais de l’internet »), à l’exclusion notable cependant des contenus audiovisuels véhiculés sur le réseau.
À cet égard, l’on relèvera qu’il se pourrait, même si nous n’y sommes personnellement pas favorable, que l’article 150 de la Constitution fasse l’objet d’une révision, cette disposition figurant dans la liste des articles de la charte fondamentale actuellement ouverts à révision.
4. On peut certes s’interroger sur la question de savoir si la sanction pénale constitue la meilleure réponse à apporter aux abus de la liberté de la presse, compte tenu tant de l’important effet dissuasif qui s’y attache que des autres voies qui s’offrent à la victime en vue de restaurer son honneur sali (l’on songe notamment, mais pas seulement, à la possibilité d’introduire une action civile en réparation).
Ce futur procès d’assises a cependant le mérite de rappeler qu’en l’état actuel du droit, la règle contenue à l’article 150 de la Constitution n’est qu’une règle de compétence et non une dépénalisation matérielle des infractions de presse, dont l’idée a, elle aussi, été avancée et qui pourrait quant à elle prendre la forme d’une révision du Code pénal.
Votre point de vue
Gisèle Tordoir Le 9 octobre 2015 à 14:42
Je suis entièrement d’accord avec les interventions de FrançoisP et Skoby. Je partage, à ce point, leurs argumentations que je les répèterais tout simplement. Afin d’éviter à toutes et tous des doublons inutiles de phrases, j’en reste à confirmer mon entière satisfaction à la lecture des avis de ces deux intervenants.
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skoby Le 6 octobre 2015 à 17:55
Je pense qu’il faut réserver à la Cour d’Assises les crimes les plus graves.
Et donc pas les délits de presse, qui devraient passer à une Cour Pénale.
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FrancoisP Le 6 octobre 2015 à 11:19
Il faut dire que la divulgation dans la presse d’informations couvertes par le secret de l’instruction, parfois avant même que ces informations arrivent sur le bureau du juge d’instruction, est devenue tellement banale que plus personne ne s’en offusque... sauf ceux qui en sont victimes...
Les plaintes sur le sujet ne sont jamais suivies d’une enquête car la police et les parquets ne veulent pas mettre en cause l’un des leurs.
En clair, ils ne veulent pas enquêter pour débusquer les taupes qui, "gratuitement", par copinage, ou contre rémunération, informent la presse au détriment du secret professionnel auquel ils sont tenus.
Pourtant, le secret des instructions est une des base de la démocratie et de la protection des citoyens.
Et ces mêmes journalistes seront les premiers à entamer en cœur des couplets sur la protection du citoyen et la démocratie à chaque commémoration des atrocités des guerres, des génocides ou des grandes avancées démocratiques...
Comme hypocrisie, on ne fait pas mieux !
Pour les victimes de ces fuites, ils serait pourtant équitable que la même énergie soit utilisée pour découvrir et punir les "taupes" que l’énergie employée à enquêter sur leur sujet, au grand minimum pour les accusations pour lesquelles un suspect a été blanchi en fin de parcours !
Quand il y a eu préjudice professionnel, ou familial, trouver les coupables de fuite et leur faire payer des dommages et intérêts conséquents serait la seule manière de faire cesser ce phénomène.
De plus, quand il y a trahison du secret professionnel, c’est une faute grave qui devrait entraîner la perte d’emploi : un policier ou un membre du parquet qui trahit le secret professionnel n’est plus fiable et a rompu la confiance de son employeur...
Ce n’est pas anodin, même si la presse voudrait banaliser la chose pour continuer à bénéficier des "fuites" !
La solution serait que la divulgation d’informations couvertes par le secret d’une enquête ou d’une instruction soit punissable, sévèrement et systématiquement, pour le journaliste lui-même ET pour l’employeur.
Pour ce type de délit, la protection de la source devrait être une circonstance aggravante d’obstruction à l’enquête
On peut rêver...
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Martin Le 5 octobre 2015 à 19:28
La solution = la suppression de cette juridiction totalement obsolète.
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