La place des victimes dans les procédures de libération conditionnelle : quelques rappels utiles

par Laurent Kennes - 4 septembre 2012

Le dossier créé autour de la libération conditionnelle de Michelle Martin sur Justice-en-ligne (cliquez ici) a exposé ce qui préside, dans notre société se voulant humaniste et démocratique, à la répression pénale de manière générale et à la politique d’exécution des peines privatives de liberté en particulier. Il est également renvoyé à l’interview donnée par Philippe Mary à Justice-en-ligne sur ces questions (« La Justice est-elle laxiste ? Les victimes sont-elles oubliées ? Pourquoi les prisons sont-elle surpeuplées ? »).(cliquez ici)

Pour compléter l’information de chacun, indispensable à la réflexion et au débat, il est utile de rappeler de manière précise quelle est aujourd’hui la place des victimes (les « parties civiles » dans le jargon judiciaire) dans les procédures de libération conditionnelle.

Laurent Kennes, avocat au barreau de Bruxelles, chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles, nous apporte ces éléments. Ceci permet de comprendre le contenu de l’arrêt du 28 août dernier de la Cour de cassation qui a rejeté les pourvois dirigés contre la décision de libérer conditionnellement Michelle Martin, dont Laurent Kennes nous propose aussi les éléments principaux de motivation.

1. Il est une chose honorable de contester le cours des choses pour rendre meilleure la société. Il en est une autre, dénuée de cette qualité, de crier au scandale sans chercher à comprendre ou, pire, de réagir à ces cris par des promesses électorales irréfléchies.

La procédure qui a abouti à la libération conditionnelle de Michelle Martin a, une fois encore, montré la nécessité d’expliquer constamment le mécanisme de la justice.

Ce fait divers est l’occasion d’évoquer la place des victimes dans le mécanisme de libération conditionnelle.

Sur la procédure elle-même en la matière, il est renvoyé de manière plus générale à l’article de Clothilde Hoffmann, déjà publié par Justice-en-ligne, "La libération conditionnelle devant le tribunal de l’application des peines : un droit sous haute surveillance" (http://www.justice-en-ligne.be/article319.html).

2. Lorsqu’une victime a participé à un procès pénal qui aboutit à la condamnation de l’auteur à une peine d’emprisonnement ferme, elle sera ultérieurement informée de la procédure de libération conditionnelle.

Il est essentiel de bien comprendre que la victime n’est pas partie au procès devant le tribunal d’application des peines. C’est le procureur du Roi qui est chargé de représenter la société dans les procédures relatives à l’exécution de la peine.

La partie civile n’est pas pour autant absente des débats. Elle est informée et entendue.

La victime reçoit un courrier l’informant de son droit à donner son point de vue, non pas sur le principe de la libération conditionnelle, mais bien sur les conditions de cette libération. Il n’est donc pas proposé à lé victime de dire si elle est d’accord ou non sur la libération, mais elle peut exprimer les craintes qu’elle ressent en raison de cette hypothétique libération.

Cette information permet de mieux comprendre le grief de Jean-Louis Lejeune, qui avait exposé au Tribunal d’application des peines ne pas souhaiter que Michèle Martin puisse résider à moins de 100 kilomètres de son domicile. Mais le Tribunal n’est pas obligé de suivre les conditions que la victime souhaite voir imposer au condamné. C’est en ce sens que la presse a relaté le regret de Jean-Louis Lejeune que sa demande n’ait pas été respectée.

L’audience se déroulant à huis-clos, et la victime n’étant pas partie à ce débat, elle ne peut pas assister à l’audience. Par contre, elle peut se présenter pour s’exprimer oralement sur les conditions, le cas échéant assistée de son avocat.

La victime est donc avisée de ses droits, peut exprimer ses souhaits par écrit, mais est aussi avisé de la date d’audience et y est entendue si elle le souhaite. Elle n’est pas pour autant partie à ce procès.

3. C’est en raison de ses principes que la Cour de cassation a, le 28 août 2012, déclaré irrecevable le pourvoi en cassation formé par les parties civiles contre le jugement de libération de Michèle Martin. La Cour de cassation rappelle que « les droits d’information et d’audition reconnus aux victimes ne leur confèrent pas la qualité de partie à la procédure relative à l’exécution de la peine ».

4. Enfin, profitons encore de l’occasion de ce délicat fait divers pour évoquer la question de l’indemnisation des parties civiles lorsque le condamné est détenu. La loi prévoit que le tribunal d’application des peines tient compte de l’attitude générale du détenu à l’égard des victimes. Le tribunal prend donc en considération le fait que le détenu ait, ou n’ait pas, fait des efforts pour indemniser ou non les parties civiles. Il va de soi que le juge apprécie les efforts fournis en fonction des revenus actuels du détenu, par essence souvent ténus. Par ailleurs, l’absence d’indemnisation n’implique pas nécessairement qu’il ne soit pas fait droit à la demande de libération.

Pour le surplus, il n’y a aucune corrélation entre la libération conditionnelle et l’indemnisation des victimes. Celles-ci disposent d’une créance qu’elles peuvent faire exécuter par voie d’huissier, dans l’espoir que le débiteur dispose de biens saisissables.

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 5 septembre 2012 à 08:22

    A mon avis, ce ne sont pas tant les Juges qu’il faut mettre en cause que les lois.
    La Justice est depuis des années l’enfant pauvre du pouvoir politique, qui n’a pas le courage de modifier les lois, qui doivent veiller à l’équilibre entre d’une part les victimes et familles de victimes, et les prisonniers qui doivent purger la peine à laquelle ils ont été condamnés, mais dans des conditions respectant la condition humaine et en préparant leur réinsertion dans la société, s’ils en sont jugés capables.
    La surpopulation des prisons est une preuve supplémentaire du laxisme de nos politiciens qui n’ont pas pris en temps voulu, les décisions nécessaires.
    Le reste n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois.

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 4 septembre 2012 à 11:56

    Pour l’expérience personnelle que j’ai vécue et vis encore actuellement à Nivelles, je ne suis vraiment pas rassurée d’apprendre que le procureur, si je devais connaître lla situation de Mr Lejeune et des autres parents d’enfants, me représenterait. En effet, j’ai toutes les raisons de n’avoir aucune confiance en lui au vu du manque de respect qu’il nous témoigne (nous sommes personnes lésées en attente depuis longtemps de réponse à nos demandes d’accès à nos plaintes). Les victimes auraient le droit de s’exprimer mais à quoi cela sert-il réellement si elles sont écoutées (ou lues) mais pas entendues ? A quoi cela rime-t-il d’octroyer un "droit" que l’on ne donne pas l’occasion la victime d’exercer pleinement (notre cas personnel) ? J’ai entendu également que tant le TAP que les clarisses avaient tenu compte de l’attitude (du prétendu changement) de Michelle Martin en prison. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Là, elle n’avait plus d’enfant(s) à laisser mourir de faim...Quant à la créance dont "jouit" la victime, j’ai plus qu’un doute. l’Etat est créancier privilégié. Il ne reste donc même pas les miettes pour les victimes.

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