Liberté de culte et Covid 19 : le Conseil d’Etat examine le caractère proportionné des restrictions

par Marie Servais - 7 février 2021

Plusieurs arrêts du Conseil d’État se sont prononcés sur des recours dirigés contre des arrêtés limitant l’exercice des cultes afin de lutter contra la propagation de la Covid 19.

Selon les particularités de chaque affaire, les résultats de ces recours ont été différents : seul l’un d’entre eux a abouti à des mesures provisoires enjoignant l’État à revoir sa position.

Marie Servais, avocate au barreau de Liège et assistante à l’Université de Liège, nous donne ci-dessous davantage d’explications.

1. Dès l’adoption des premières mesures de lutte contre la pandémie de Covid 19, la liberté religieuse, garantie par le droit international et la Constitution, a fait l’objet de restrictions. Elles portent principalement sur l’expression active de cette liberté et consistent (principalement) en la limitation du nombre de participants autorisés aux cérémonies religieuses.

Elles ont fluctué, depuis mars 2020, au gré de l’évolution de la situation sanitaire.

2. Ces limitations ont fait l’objet de contestations dès le mois de mai 2020.

Alors que les contaminations à la Covid 19 étaient en régression, un premier recours en suspension en extrême urgence a été porté devant le Conseil d’État par des requérants de confession catholique à l’encontre d’un arrêté ministériel du 15 mai 2020 ‘modifiant l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 contenant des mesures urgentes pour limiter la propagation du Covid 19’. Cet arrêté ministériel prolongeait les restrictions alors en vigueur qui limitaient l’accès aux cérémonies de funérailles et de mariages à un maximum de trente participants et aux autres cérémonies à dix participants, dans le respect de la distanciation sociale.

Le Conseil d’État, par un arrêt n° 247.674, rendu le 28 mai 2020 (Suenens et autres), déboutait les requérants, ceux-ci ne démontrant pas le caractère d’extrême urgence de leur recours.

3. Le Conseil d’État s’est à nouveau prononcé sur la question des restrictions apportées à la liberté de culte dans un arrêt n° 249.177du 8 décembre 2020 (Congregation Yetev Lev Dsatmar Antwerp Limited et autres) .

Les requérants, cette fois de confession juive, sollicitaient en extrême urgence la suspension des modifications apportées en matière d’exercice de la liberté de culte par l’arrêté ministériel du 28 novembre 2020, modifiant l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020, qui constitue actuellement la norme juridique de référence en matière de lutte contre la crise sanitaire.

Les requérants estimaient que les dispositions litigieuses entraînaient une interdiction nationale de la pratique collective du culte et de l’assistance morale non confessionnelle. Les exceptions prévues, qui permettaient l’organisation de cérémonies funéraires et de mariage n’étaient, en outre, pas compatibles avec la confession juive, le nombre maximum de participants autorisés étant inférieur au minimum requis par la Torah. Il en résulterait une violation disproportionnée et non justifiée de la liberté religieuse. En effet, selon les requérants, d’autres mesures, moins restrictives, auraient permis d’atteindre l’objectif de protection de la santé publique.

Les requérants sollicitaient une décision de la haute juridiction administrative en extrême urgence, le dommage subi étant irréparable au vu de la persistance de l’interdiction totale de l’exercice collectif du culte.

Ils sollicitaient, dès lors, l’adoption de mesures provisoires à bref délai : d’une part, l’élaboration d’une nouvelle réglementation permettant de garantir le libre exercice collectif des cultes dans le respect des règles nécessaires à la limitation de la propagation de la Covid 19 et, d’autre part, à cette fin, une consultation des représentants des différentes communautés religieuses et philosophiques.
Au contraire, l’État belge, représenté par le ministre de l’Intérieur, qualifiait les restrictions de proportionnées, au vu de l’objectif poursuivi, à savoir la protection de la santé publique et le ralentissement de la propagation de l’épidémie.

4. Le Conseil d’Etat, dans sa décision, a rappelé que l’exercice collectif du culte est un élément central de la liberté religieuse telle que garantie par la Constitution. Si les limitations de cette liberté fondamentale peuvent être nécessaires à la lutte contre l’épidémie, celles-ci doivent être proportionnées à l’objectif poursuivi par l’arrêté ministériel en cause.

Or, la juridiction a estimé par ailleurs que les exceptions prévues par l’arrêté ministériel à ces restrictions étaient inadaptées aux rites de la confession juive car certains d’entre eux nécessitent la présence d’un nombre de participants supérieur au maximum prévu par l’arrêté ministériel.

Cet élément fut déterminant dans l’appréciation réalisée par le Conseil d’État. La juridiction a, en conséquence, accueilli les moyens des requérants : les restrictions à la liberté religieuses s’avéraient disproportionnées eu égard à l’objectif de limitation de la propagation du Coronavirus. De plus, étant donné que les dispositions en cause prolongeaient l’interdiction de l’exercice collectif de la liberté de culte jusqu’au 15 janvier 2021, seule une mesure adoptée en extrême urgence permettait de mettre fin au dommage encouru par les requérants.

5. Le Conseil d’État a rejeté la demande de suspension des dispositions litigieuses. Il a cependant ordonné à l’État belge d’adopter des mesures provisoires : en concertation avec les représentants des cultes reconnus et des morales et de philosophies non confessionnelles, celui-ci a dû procéder au remplacement des dispositions litigieuses par des mesures qui ne portaient pas atteinte de manière disproportionnée à l’exercice collectif de la liberté religieuses et ce, dans un délai de dix jours.

6. Suivant l’article 17, § 2 des lois coordonnées ‘sur le Conseil d’État’, les mesures provisoires permettent à la haute juridiction administrative, dans certaines circonstances, afin de garantir une protection effective du justiciable, d’ordonner « toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire ».

Si les travaux préparatoires et la pratique révèlent que les contours précis des mesures provisoires susceptibles d’être ordonnées sont relativement flous, on peut constater que, généralement, celles-ci sont adoptées dans l’attente d’une décision sur la demande en suspension.

Toutefois, en l’espèce, constatons que le Conseil d’État a rejeté la demande de suspension, estimant que celle-ci n’était plus nécessaire au regard des mesures provisoires ordonnées. La suspension de l’arrêté ministériel aurait conduit à faire renaître le régime juridique antérieur, non adapté aux circonstances sanitaires de la fin du mois de novembre 2020. Seul l’octroi de mesures provisoires enjoignant à l’État belge de procéder au remplacement de la norme contestée permettait, en l’espèce, de garantir le caractère proportionné de la restriction de la liberté religieuse au regard de l’évolution de la pandémie.

7. Le 28 mai 2020, le Conseil d’État estimait que les atteintes à la liberté religieuse ne causaient pas un préjudice aux requérants, de confession chrétienne, justifiant une suspension en extrême urgence. Le 8 décembre de la même année, la juridiction administrative, munie d’une meilleure appréhension scientifique de la Covid 19, disposait d’une connaissance plus complète, lui permettant de se prononcer sur le caractère proportionné des restrictions à la liberté de culte en ayant égard aux spécificités des rites des requérants de confession juive.

8. Le Conseil d’État, saisi de recours formés à l’encontre de l’arrêté ministériel du 11 décembre 2020 procédant au remplacement de l’arrêté ministériel du 28 novembre 2020 qui limite l’exercice du culte à quinze personnes, a rejeté, par des arrêts du 22 décembre 2020 (nos 249.313, 249.314 et 249.315), les demandes en suspension, estimant qu’elles étaient dépourvues de caractère urgent. Au regard de l’évolution sanitaire, les restrictions étaient proportionnées aux objectifs de santé publique poursuivis et le nombre de participants autorisés permettait l’exercice des différents cultes.

9. Ainsi, à côté de l’évolution de la crise sanitaire, les arrêts rendus en matière de liberté de culte révèlent que le Conseil d’État, dans son appréciation du caractère nécessaire et proportionné des restrictions, a égard aux besoins propres des requérants et aux spécificités de l’exercice de leur culte.

Mots-clés associés à cet article : Liberté de religion, Proportionnalité, Covid-19,

Votre point de vue

  • Skoby
    Skoby Le 8 février 2021 à 15:14

    Il est clair que lors d’une pandémie aussi dangereuse que le Covid, le gouvernement
    doit imposer des mesures qui sont valables pour tout le monde et tous les secteurs
    d’activités doivent respecter les mesures prises pour ces secteurs. Il est, à mon avis,
    exclu, de faire des exceptions pour des religions.

    • Pro Vita
      Pro Vita Le 13 octobre 2021 à 15:59

      Un gouvernement aux lois anticléricales n’a pas à enfreindre les lois de Dieu, quelle que soit la religion.
      Le culte envers Dieu passe avant TOUTE chose.

    Répondre à ce message

  • Joseph
    Joseph Le 18 mars 2021 à 00:27

    Votre description de l’arrêt 249.315 n’est pas tout à fait exacte, l’extrême urgence n’est pas commentée (au contraire des deux autres arrêts), car les arguments utilisés pour la rejeter dans dans les deux autres arrêts ne s’appliquent pas à ces requérrants. Le CdE se contente de mentionner que le gouvernement a une large marge d’appréciation et ne commente qu’une partie des moyens. Le premier moyen (infraction à la liberté de culte) est rejeté sans arguments.

    Le CdE n’y apprécie en rien en quelle manière les restrictions à la liberté de culte sont proportionnelles (c’est à dire nécessaires), il se contente de déclarer que le moyen n’est pas sérieux prima faciès.

    • Marie Servais
      Marie Servais Le 26 mars 2021 à 10:37

      Je vous remercie pour votre commentaire.

      Pour des raisons de concision, l’arrêt n° 249.315 n’a pu être explicité plus amplement dans le cadre de cet article.

      L’article 17 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat prévoit que, pour que soit valablement ordonnée la suspension de l’exécution d’un acte, la juridiction doit être confrontée à une urgence incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation (1) et à au moins un moyeux sérieux susceptible prima facie de justifier l’annulation de l’acte invoqué (2).

      On considère que l’urgence existe lorsque la crainte d’un préjudice d’une certaine gravité rend une décision immédiate souhaitable. Si dans son arrêt n° 249.315 le Conseil d’Etat ne précise pas de manière explicite qu’il examine le caractère urgent du recours, il se livre bien à un tel examen dès lors qu’il examine la question de l’existence d’un préjudice dans le chef des requérants et rejette la demande en suspension.

      En ce qui concerne l’examen des différents moyens, le Conseil d’Etat procède effectivement à un examen prima facie. Il examine le caractère sérieux mais non le caractère fondé desdits moyens (ce dernier examen étant réalisé dans le cadre du recours en annulation).

      J’espère avoir pu apporter quelques clarifications à mon propos et je reste bien entendu à votre disposition pour toute autre remarque.

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