Comment se règle la responsabilité de l’État ou des magistrats eux-mêmes en cas de faute de leur part ?

par Dominique Mougenot - 23 novembre 2017

Plusieurs messages postés sur Justice-en-ligne s’expriment avec une certaine vivacité sur la responsabilité qui devrait être celle des magistrats dans diverses situations, comme celle où ils auraient commis une erreur, où leurs jugements sont réformés en degré d’appel, voire cassés par la Cour de cassation, où ils auraient commis une faute déontologique, etc.

La question de la responsabilité en cas de faute d’un juge a déjà été abordée sur ce site (Thierry Marchandise, « Un magistrat rend une décision qui viole la loi : quelle est sa responsabilité ? »). La responsabilité de l’État en cas de détention préventive inutile a également été envisagée (Shelley Henrotte, « Acquitté après avoir subi une détention préventive. Quelle réparation ? ») mais il a paru nécessaire de placer ce débat dans un cadre définissant les règles applicables en la matière.

C’est ainsi, grâce à Dominique Mougenot, magistrat, maître de conférences à l’Université de Namur et à l’Université catholique de Louvain, l’occasion de faire le point de manière plus générale sur la responsabilité des magistrats ou de l’État dans sa fonction de juger.

D’autres articles seront publiés plus tard, qui proposeront notamment une réflexion sur la réalité et la complexité de la fonction de juger. Le débat peut ainsi se poursuivre sur Justice-en-ligne, de manière si possible raisonnée et non sur la base de slogans ou d’idées toutes faites.

La responsabilité de l’État pour une faute du magistrat

1. La règle (pour l’instant) est que le magistrat ne supporte habituellement pas de responsabilité personnelle en cas de faute. C’est l’État belge qui indemnisera la victime de la faute et pas le juge.
Ce régime peut paraître anormal et est de plus en plus critiqué. Il a été mis en place pour protéger les juges contre des pressions externes et donc pour sauvegarder leur indépendance, qui est un des piliers de tout État de droit.

2. Il faut cependant distinguer plusieurs hypothèses :
 Dans certains cas, c’est la loi qui organise le mécanisme d’indemnisation et qui en fixe les conditions. C’est ce qui se passe lorsqu’une personne a été placée en détention préventive et est acquittée par la suite. Cette personne aura droit à une indemnité, à charge de l’État, pour autant que les conditions légales soient remplies ; il est renvoyé sur ce point à la référence mentionnée ci-dessus.
 Lorsque la loi ne prévoit rien, la responsabilité de l’État peut quand même être engagée. Plusieurs conditions doivent être respectées :
1° Tout d’abord, lorsque le problème provient d’un jugement, celui-ci doit avoir été mis à néant (annulé en quelque sorte) dans le cadre d’un recours (opposition, appel, cassation, etc.). C’est lié au fait qu’une décision judiciaire (même mauvaise) est supposée exprimer la vérité. Pour considérer qu’un juge a commis une faute, il faut donc d’abord supprimer la décision qu’il a rendue.

Problème ! Comment fait-on pour la Cour de cassation ou toute autre cour suprême lorsqu’il n’y a plus d’autre tribunal au-dessus d’elle pour annuler ses décisions ? Dans ce cas, on peut déroger à l’exigence d’anéantissement de la décision pour autant que la violation de la loi par la Cour de cassation soit manifeste.

2° Ceci dit, on ne peut pas invoquer la responsabilité de l’État chaque fois qu’une décision de justice est anéantie en appel. Il faut en outre démontrer que le juge n’a pas respecté une règle lui imposant un comportement déterminé (par exemple, il a accordé au demandeur plus que ce qu’il demandait), soit il ne s’est pas comporté comme l’aurait fait un juge normalement attentif et diligent, placé dans les mêmes circonstances.

La responsabilité de l’État a ainsi été engagée pour des décisions de juges qui prononçaient abusivement la faillite d’un commerçant, lorsque le retard d’un juge d’instruction n’a pas permis au dossier d’aboutir au tribunal en temps utile, lorsque le procureur du Roi n’a pas pris les mesures adéquates pour protéger une personne menacée, en cas de perquisition abusive, etc.
La responsabilité du juge n’est par contre pas engagée lorsque son comportement n’était pas critiquable à l’époque des faits mais que la loi ou la jurisprudence (les décisions des tribunaux) ont été modifiés par la suite.

La mise en cause personnelle du magistrat (la « prise à partie »)

3. Il existe néanmoins des cas où le magistrat peut être personnellement mis en cause (article 1140 du Code judiciaire) :
 lorsque la loi le prévoit expressément, par exemple lorsqu’un juge commet une infraction pénale, que ce soit dans l’exercice de sa profession ou en dehors ;
 si le juge se rend coupable de fraude durant la procédure (par exemple il fabrique un faux document pour cacher une faute de sa part, il se laisse soudoyer pour rendre une décision favorable à une partie , etc.) ;
 si le juge refuse volontairement de rendre sa décision (déni de justice).
Il faut alors introduire une procédure particulière en responsabilité, dénommée « prise à partie ».

La discipline des magistrats

4. Enfin, le juge peut également subir des sanctions disciplinaires (blâme, interdiction de travail avec ou sans rémunération durant une période déterminée, révocation, etc.) s’il n’a pas respecté les règles déontologiques qui s’imposent au magistrat.

Il pourra ainsi être sanctionné en cas de violation du secret professionnel, manque de neutralité à l’égard du prévenu ou des parties, négligence manifeste, absences injustifiées, retard anormal dans le prononcé des jugements, etc.

La récusation des magistrats et le dessaisissement d’une juridiction

5. Lorsqu’un juge manque d’impartialité (neutralité), on peut également le faire remplacer par un autre juge.

C’est la procédure de « récusation ».

Un exemple célèbre s’est produit durant l’affaire Julie et Melissa. Le juge d’instruction a été récusé parce qu’il avait participé à un souper de soutien pour aider à récolter des fonds en vue de permettre aux parents d’assurer leur défense en justice (arrêt dit « spaghetti » de la Cour de cassation). Il a été jugé qu’en acceptant une invitation à ce souper, le juge a manifesté un parti-pris favorable à l’égard des victimes et a manqué d’impartialité.
Lorsque c’est tout le tribunal qui est suspecté de partialité, on peut renvoyer le dossier devant un autre tribunal : c’est la procédure de « dessaisissement ».

6. Outre des cas limitativement énumérés par la loi (lien familial ou professionnel entre le juge et une des parties, litige grave entre le juge et une des parties, etc.), on admet la récusation chaque fois qu’il y a « suspicion légitime » : cela signifie que le juge sera récusé chaque fois qu’on peut raisonnablement avoir un doute concernant son impartialité. Mais la récusation n’entraine pas nécessairement la responsabilité du juge. Il se peut que le comportement du juge soit irréprochable mais qu’on préfère ne pas prendre de risque de voir sa neutralité mise en cause par la suite.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 11 février 2018 à 15:43

    Quelles conséquences risquent d’avoir l’erreur de procédure, à savoir l’erreur dans l’utilisation des langues, par Me Patrick De Coster dans le procès Abdeslam ? Quelle suite possible : annulation pure et simple de la procédure ? Qu’en est-il ? Qu’en sera-t-il ? Me Sven Mary a, à tout le moins, attiré l’attention sur un défaut de procédure...Ok, situation belgo-belge mais il s’agit de respecter et d’appliquer la loi. Ici l’article 12 de la loi de juin 1935 dans l’utilisation des langues.

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 27 novembre 2017 à 18:41

    Le point 1 explique les erreurs de jugement : facile si pas de responsabilité engagée ! L’Etat belge indemnise : or, l’Etat, c’est nous !!! Cette règle doit être changée dans l’intérêt de tous par souci de justice, justement ! Comment qualifie-t-on le comportement suivant : le procureur du roi ne répond à aucun courrier de notre avocat, demandant l’accès aux pièces du dossier, aux enquêtes menées, alors que nous sommes personnes lésées après plainte déposée pour atteinte à la vie privée (caméra orientée vers notre propriété) ? Qu’en est-il du code de la déontologie de la magistrature ? A quoi sert le CSJ, dans ce cas ? A qui s’adresser pour obtenir un suivi de notre demande légitime ? Quelles sanctions effectives ? Un si grand fossé entre la théorie (ci-dessus détaillée) et la réalité vécue...La justice, telle qu’elle fonctionne, n’est pas près de combler ce fossé. Si ce n’était sérieux, je me joindrais à Nadine pour rigoler un bon coup...

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  • KOULOS Kosta
    KOULOS Kosta Le 25 novembre 2017 à 22:34

    Salutation à tous, merci à monsieur MOUGENOT et Justice en ligne de nous avoir éclairer sur certaines règles et jurisprudence sur la responsabilité de l’Etat en cas de faute des magistrats. Cependant, lorsqu’il y a eu collusion évidente entre son conseil, les conseils des parties adverses et les magistrats qui ont rendu des jugements sciemment erronés, n’est-ce pas la responsabilité de son conseil en premier lieu, ainsi que l’Ordre des avocats fautifs étant donné que le Bâtonnier est le garant du respect des règles strictes et précises qui régissent la profession d’avocat ? Bien à vous. KOULOS Kosta

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  • Nadine
    Nadine Le 24 novembre 2017 à 17:44

    "Ce régime peut paraître anormal et est de plus en plus critiqué. Il a été mis en place pour protéger les juges contre des pressions externes et donc pour sauvegarder leur indépendance, qui est des piliers de tout État de droit."

    Les magistrats du parquet sont sous les ordres de leur ministre de tutelle, contrairement aux magistrats du siège.
    Parlez-moi de l’indépendance des magistrats du parquet que je rigole encore une fois ...

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  • Daniel
    Daniel Le 24 novembre 2017 à 11:46

    Madame, Monsieur ,
    J’ai beaucoup d’appréhensions vis à vis de la justice .
    Celle -ci nous a coûté beaucoup d’argent ,beaucoup de perte de temps et une longue patience .
    Pour le premier cas , celle -ci et les autorités judiciaires non rien pu faire de concret.
    Pour le deuxième cas ,il y avait des raisons techniques qui dépassaient la compréhension de la juge ,une erreur de l’expert a donc été prise en considération .
    le jugement a été en notre défaveur .
    Actuellement , je devrait faire une démarche simple car c’est la seule façon .
    Mais les moyens financiers et la peur de discernement dans le jugement me laisse dans le doute donc il m’est difficile de faire confiance dans le système .

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  • skoby
    skoby Le 24 novembre 2017 à 11:31

    Pas de remarque à formuler

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