Les négociations autour du « TTIP » : vers une réforme du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États et une « privatisation » de la Justice ?

par Marianne Dony - 28 janvier 2016

La presse et la société civile évoquent les négociations en cours au sujet du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) (ou Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) et plus encore du ISDS (Investor State Dispute Settlement) (ou « règlement des différends entre investisseurs et États », RDIE) qui en serait son prolongement pour organiser le règlement des conflits entre les entreprises qui investissent dans des États étrangers et ces derniers.

Mais de quoi s’agit-il au juste ?

Marianne Dony, professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles (Chaire Jean Monnet de droit de l’Union européenne), nous aide à y voir plus clair.

Qu’est-ce que l’ISDS (ou RDIE) ?

1. Le « règlement des différends entre investisseurs et États » (RDIE), mieux connu sous le sigle anglais ISDS (Investor State Dispute Settlement) est un mécanisme qui permet à un investisseur de soumettre un litige qui l’oppose à un l’État hôte de l’investissement à un tribunal arbitral international, habituellement composé de trois arbitres : un nommé par chaque partie et un troisième, « neutre ».

Ce mécanisme est d’abord apparu dans le cadre de contrats conclus entre des États et des investisseurs étrangers, afin d’assurer le respect de ces contrats par l’État hôte. À partir de la fin des années 1950, il a commencé à être intégré dans des traités bilatéraux de protection des investissements (TBI). Ces traités ont introduit diverses protections ou garanties aux investisseurs – non-discrimination, principe du traitement équitable et interdiction des comportements arbitraires, protection contre l’expropriation… — et la clause RDIE a permis à l’investisseur de saisir un tribunal arbitral en cas de violation alléguée de ces garanties.

Dans ce contexte, le rôle des arbitres s’est trouvé profondément modifié : ils n’ont plus été amenés simplement à vérifier le respect d’un contrat mais à se prononcer dans des affaires où l’intérêt public et la liberté normative était en jeu.

En parallèle, les TBI eux-mêmes ont connu une évolution considérable. Initialement, ils étaient principalement conclus entre pays industrialisés et pays en développement pour sécuriser les investissements des premiers dans les seconds, et ainsi contribuer à leur développement. Mais, par la suite, on a assisté, de plus en plus, à la conclusion de tels accords également entre pays développés et les TBI ont connu une expansion fulgurante, passant de 500 au début des années 1990 à plus de 3000 à l’heure actuelle.

Enfin, maintenant, leur introduction est envisagée dans de grands accords globaux de libre-échange et notamment dans le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership ou TTIP) actuellement en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis.

Cette perspective a suscité un débat particulièrement houleux.

Un mécanisme purement et simplement remis en cause par d’aucuns

2. Nombreux sont ceux qui ont remis en cause l’existence même de ce mécanisme. À leurs yeux, il vise uniquement protéger les intérêts économiques des entreprises multinationales américaines en leur permettant de venir remettre en cause les législations et l’intérêt européen ailleurs que devant la justice de l’État hôte, et il porte également une atteinte intolérable à la souveraineté des États.

Une critique aussi fondamentale est caricaturale. Tout d’abord, elle perd de vue que les États européens et les entreprises européennes ont aussi des intérêts économiques à défendre ou protéger aux États-Unis ; ensuite, les statistiques montrent que le RDIE n’est pas seulement, loin de là, utilisé par des multinationales et que des PME y ont aussi recours. Enfin, le RDIE ne vise pas à protéger l’investisseur au détriment des États mais à obliger l’État, lorsqu’il légifère, à respecter une norme de droit international qu’il a lui-même adoptée. Même si la conclusion d’un accord international entraîne des restrictions de certains droits de l’État, il ne faut jamais oublier que la faculté de conclure des accords internationaux est, en elle-même, un attribut de la souveraineté de l’État.

Un mécanisme encore utile entre États développés ?

3. D’autres observateurs doutent qu’un tel mécanisme, qui a, au départ, été pensé dans l’optique de la protection des investissements des pays développés dans des États en développement dont les systèmes judiciaires étaient jugés inefficaces, reste nécessaire pour des pays développés, dotés d’un système judiciaire efficace et indépendant et dont les textes constitutionnels garantissent notamment le droit à la propriété et le libre exercice d’une activité professionnelle.

À cet égard, il est en effet indéniable que les systèmes judiciaires nationaux, au moins dans les pays avancés, présente de nombreux avantages : les juges sont indépendants, ils interviennent quotidiennement dans des conflits opposant des personnes privées (morales et physiques) et l’État ; les procédures et règles sont établies de longue date, assurant la prévisibilité et la cohérence du processus ; des appels sont possibles.

Mais ne serait-il pas extrêmement délicat de limiter l’arbitrage aux cas où les systèmes judiciaires sont déficients ? On voit difficilement comment un pays pourra accepter de se laisser enfermer dans une telle catégorie de « pays suspect » et de signer des TBI pour cette raison.

Par ailleurs, il peut être difficile de déterminer à partir de quand un pays possède un système judiciaire fiable. Ainsi, de nombreux arbitrages d’investissement concernent certains des États membres de l’Union européenne qui sont régulièrement pointés du doigt par les institutions européennes elles-mêmes, en matière de lutte contre la corruption par exemple ou de respect de l’État de droit.

4. D’autres arguments plus positifs peuvent être avancés en faveur du recours à l’arbitrage, même entre pays développés et notamment entre l’Union européenne et les États-Unis :

 les juridictions nationales de l’État hôte peuvent être considérées, à tort ou à raison, comme partiales en faveur des autorités nationales et les investisseurs peuvent donc préférer un règlement plus « neutre » des litiges ;

 il s’agit souvent de questions complexes qui nécessitent une bonne connaissance du droit international public : il n’est pas certain que le juge national a la connaissance et l’expertise nécessaires ni que de telles affaires peuvent se régler par une plaidoirie d’une heure devant une juridiction de droit commun souvent surchargée ;

 il y a, tant aux États-Unis qu’en Europe, une absence totale d’unification du système judiciaire, ce qui contribue à expliquer que les investisseurs préfèrent de part et d’autre avoir recours à l’arbitrage d’investissement plutôt que de devoir affronter les multiples États et leurs divers systèmes.

Des tribunaux nationaux réellement exclus du processus ?

5. Il est souvent reproché au RDIE de court-circuiter les juridictions nationales.

Il faut cependant souligner que les tribunaux arbitraux ne se substituent pas aux juridictions nationales dans le contrôle de l’application du droit national, qui relève de la seule compétence de ces dernières. Ils sont simplement compétents pour vérifier si la législation nationale est conforme aux engagements internationaux pris par l’État dans les accords qu’il a conclus, notamment les TBI.

Or, dans ce contexte, il faut rappeler que, dans bien des cas, le juge national n’applique tout simplement pas le droit international et donc notamment pas les TBI. Comme l’a relevé le rapport 2015 de la CNUCED sur les investissements, beaucoup de juridictions nationales n’acceptent pas l’effet direct des traités internationaux, ce qui est le préalable du contrôle du respect des obligations résultant de ceux-ci pour les États.

Ainsi, aux États-Unis, selon tous les observateurs, il résulte de la pratique « de l’ensemble des autorités américaines, pouvoirs politiques comme juridictions fédérales ou fédérées », qu’il est très difficile de se prévaloir d’un accord international à l’encontre d’une loi nationale, avec la conséquence que « les Etats-Unis sont souvent perçus comme peu respectueux du droit international ».

Dans l’Union européenne, le principe est que c’est aux institutions de l’Union qu’il appartient de se prononcer, en accord avec les autres parties contractantes, sur les effets que les dispositions d’un accord doivent produire dans l’ordre interne de l’Union. Or, on constate une tendance croissante à introduire dans les accords conclus par l’Union des clauses prévoyant explicitement que ceux-ci ne peuvent être interprétés comme conférant des droits ou imposant des obligations susceptibles d’être invoqués directement devant les juridictions de l’Union ou des États membres. C’est notamment le cas dans l’accord récemment signé entre l’Union européenne et le Canada.

Si la question n’a pas été tranchée dans l’accord, c’est à la Cour de justice de l’Union européenne qu’il incombe de se prononcer sur un possible effet direct des dispositions de celui-ci. Or, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union elle-même n’est pas très claire : ainsi, elle a semblé assez facilement admettre un effet direct aux accords d’association ou même de coopération mais, s’agissant des accords OMC, elle a retenu la solution inverse. A cet égard, elle a mis l’accent sur la marge de manœuvre laissée aux parties contractantes par l’accord mais elle a aussi été très attentive à l’attitude des principaux partenaires commerciaux de l’Union, qui ont considéré que les accords OMC ne figurent pas parmi les normes au regard desquelles leurs organes juridictionnels contrôlent la légalité de leurs règles de droit internes, et ce afin d’éviter de créer un déséquilibre en défaveur de l’Union.

Il est donc, dans ce contexte, très peu probable que les dispositions du TTIP, et en particulier les dispositions relatives à la protection des investissements, puissent servir de fondement à un recours des investisseurs que ce soit devant une juridiction nationale ou européenne. Et la cause ne sera pas à rechercher du côté du RDIE mais bien de la volonté des États.

Un complément utile aux recours nationaux ?

6. Le mécanisme d’arbitrage international peut aussi être vu comme un complément aux recours nationaux. Et, dans ce contexte, on peut rappeler que les contrôles juridictionnels internationaux sont légion, même à l’égard des pays « développés » dans d’autres domaines : la Cour européenne des droits de l’homme vérifie l’application correcte des droits de l’homme, la Cour de justice de l’Union européenne du droit de l’Union, les panels de l’OMC du droit du commerce international.

Il est parfois soutenu que les États développés doivent se faire confiance, de sorte qu’un mécanisme RDIE ne serait pas nécessaire. Mais cet argument n’est pas très convaincant.

Pourquoi cela ne vaudrait-il pas pour la protection des droits des droits fondamentaux et pourquoi alors ne pas dire que la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas utile pour nos pays ? Dans cette dernière convention, les États signataires ne peuvent pas violer les droits fondamentaux garantis par cette convention, et la Cour européenne des droits de l’homme peut être saisie d’un recours en vue de déterminer s’il y a une violation et ordonner une compensation. De la même manière, on pourrait considérer que la Cour de justice de l’Union européenne n’a aucune raison d’être.

Quelle est la différence, s’agissant de la protection des investissements ?

Dans un certain nombre de traités bilatéraux, les États ont accepté d’accorder un certain nombre de droits à des investisseurs étrangers et ces droits peuvent être garantis par un mécanisme juridictionnel international s’ils sont violés par un État. La seule différence, et l’élément qui manifestement pose problème, est qu’ici il s’agit non pas d’une juridiction internationale mais de juges privés. À ce titre, ils ne seraient pas légitimes à exercer un contrôle sur des mesures souverainement adoptées par les États.

Une atteinte à la liberté de règlementer avec un risque de gel règlementaire ?

7. Deux éléments doivent nuancer ce principal reproche souvent fait au RDIE, selon lequel il porte atteinte à la liberté de réglementer de l’État hôte et de créer ainsi un risque de gel réglementaire :

 tout d’abord, comme nous l’avons déjà indiqué, la plupart des principes contenus dans les TBI sont aussi garantis soit par les constitutions nationales, soit par les règles du droit européen ; des règlementations nationales peuvent donc déjà être contestées devant des juridictions nationales ou devant la Cour de justice de l’Union ; ainsi, à titre d’exemple, en décembre 2014, Philip Morris et British American Tobacco ont contesté la validité d’une directive européenne relative à l’harmonisation des législations en matière de fabrication, présentation et vente des produits du tabac en mettant en cause notamment l’interdiction de la commercialisation des cigarettes au menthol et la standardisation des conditionnements des paquets de cigarettes ;

 ensuite, les juridictions arbitrales, à la différence des juridictions nationales, ne pourront jamais annuler un acte législatif ou administratif mais seulement accorder une compensation. Le contentieux de l’investissement est en effet uniquement un contentieux indemnitaire. Même en cas de condamnation par un tribunal arbitral sur la base d’un TBI, l’État n’est jamais obligé de renoncer à la mise en œuvre de sa règlementation.

C’est d’ailleurs peut-être la raison pour laquelle les États sont si réticents à confier le contrôle du respect des accords d’investissement, ou plus généralement des accords commerciaux, aux juridictions nationales, plus intrusives vis-à-vis de leur pouvoir de réglementation que des juridictions arbitrales telles que les RDIE ou l’Organe de règlement des différends de l’OMC.

8. Cela étant, il faut aussi reconnaître que :

 dans les faits, le risque de condamnation représente un risque financier, qui peut jouer un rôle dissuasif incontestable et donc amener les autorités publiques à s’autocensurer et au final à ne plus prendre de décisions politiques susceptibles de faire du tort à l’activité de certaines entreprises ;

 la principale crainte est que, parce qu’ils sont privés, les arbitres seraient plus proches des milieux économiques et donc ils auraient tendance systématiquement à privilégier, faire pencher la balance du côté des intérêts privés ;

 il est indéniable que le juge national, lorsqu’il apprécie la plainte d’un investisseur, va quant à lui, plus la prendre en considération en tenant compte du système national dans sa globalité.

9. De plus, la mauvaise connaissance de l’arbitrage international et les critiques « fantasmagoriques » qu’il nourrit accentuent ce risque de gel réglementaire, en faisant croire à un mécanisme tout entier acquis aux seuls intérêts des investisseurs privés.

Ainsi, deux affaires récentes – Philip Morris c. Australie (à propos des avertissements de toxicité sur les paquets de cigarettes) et Vattenfall c. Allemagne (à propos de la sortie du nucléaire) – ont engendré des réactions passionnelles mais il faut rappeler que ces affaires n’ont pas encore été jugées à ce jour. Il est donc prématuré d’en tirer des conclusions.

De plus, la plupart des études démontrent que les circonstances des affaires qui ont déjà été jugées sont souvent bien plus complexes que la présentation caricaturale qui en est souvent faite et que, dans la majorité des affaires, les États gagnent leur procès. Il n’y a d’ailleurs aucun exemple de « grande décision démocratique générale » remise en cause par un tribunal arbitral à ce jour. Les cas cités par les opposants au système concernent presqu’uniquement des autorités locales.

10. Par ailleurs, le problème vient peut-être moins du mécanisme arbitral en lui-même que des TBI eux-mêmes. En effet, il est incontestable que l’objectif principal de ces accords est de protéger les investissements étrangers contre certains risques souverains. A l’origine, les TBI étaient très concis et extrêmement déséquilibrés en faveur des investisseurs et au détriment des États hôtes. Rien d’étonnant dans ces conditions que les décisions d’arbitrages prises sur leur fondement paraissent favorables elles-aussi aux investisseurs. Il est aussi vrai qu’en présence de clauses parfois très peu précises, certains tribunaux arbitraux ont fait une interprétation extensive et contestable des normes des TBI.

Les traités d’investissement de « nouvelle génération » évoluent : ils proposent une définition des standards de protection tenant compte des leçons du passé. Cette évolution tient aussi compte de ce qu’ils sont négociés entre pays développés qui entendent protéger leurs droits à réglementer. Il semble cependant, à la lumière des débats actuels, que les traités ne prennent encore pas suffisamment en compte l’intérêt général et ne donnent pas encore suffisamment de garanties aux parties autres que l’investisseur, en d’autres termes, qu’il subsiste une trop grande asymétrie entre les garanties, obligations et droits des investisseurs face à ceux des Etats.

Il faut rappeler à cet égard que les États qui s’engagent dans de tels instruments sont libres de circonscrire la portée de leurs engagements, particulièrement lors de la négociation d’accords entre États développés : ils peuvent limiter l’accès des investisseurs à certains secteurs qu’ils considèrent comme sensibles ou qu’ils veulent réserver à leurs nationaux. Ils peuvent aussi exclure certaines règlementations pour lesquelles ils ne veulent pas être soumis aux disciplines de l’accord : mesures fiscales mais aussi, plus récemment, mesures adoptées dans le cadre de la réglementation bancaire et financière.

Un mécanisme qui, sans pour autant être fondamentalement mis en cause, prête cependant le flanc à certaines critiques

11. Si l’arbitrage d’investissement ne mérite pas les remises en cause fondamentales dont il a fait l’objet, il n’en demeure pas moins qu’il peut et doit même faire l’objet d’un certain nombre de critiques. Nous relèverons en particulier :

 le manque de transparence : la tendance au secret de la procédure arbitrale est hautement problématique ; le voile de discrétion ne se justifie plus quand ce sont des choix politiques qui sont en cause ; des progrès ont été faits mais insuffisants ; en plus, cette opacité contribue à alimenter les craintes ;

 le caractère fluctuant voire contradictoire de la jurisprudence des tribunaux arbitraux ; il n’existe rien d’équivalent à une jurisprudence contraignante qui pourrait lier les arbitres et circonscrire de manière cohérente les pouvoirs d’interprétation de ces derniers ;

 l’absence de tout mécanisme d’appel qui pourrait contribuer à harmoniser

les décisions rendues par différents tribunaux arbitraux ;
 la nécessité d’un meilleur contrôle des conflits d’intérêts des arbitres ;
 le coût assez élevé des procédures.

Un remplacement de l’arbitrage investisseur/Etat par un arbitrage entre États ?

12. Plusieurs observateurs ont préconisé comme alternative l’instauration d’un mécanisme d’arbitrage interétatique, à l’instar de ce qui existe dans le cadre de l’OMC. Mais ce mécanisme présente plusieurs inconvénients :

 il relève de la protection diplomatique, par laquelle l’État d’origine de l’investisseur prend fait et cause pour ce dernier ; or rien n’oblige l’État à user de cette faculté ;

 à cet égard, il semble que les États soient plus sensibles aux plaintes des grandes multinationales que de PME ;

 il ne vise pas l’indemnisation ou la réparation du préjudice. Ainsi, dans le cadre de l’OMC, la sanction de la violation des accords consiste, s’il n’y est pas mis fin, à autoriser des mesures de rétorsion qui frappent d’autres secteurs économique mais ne réparent pas le préjudice.

Vers un nouveau système juridictionnel de protection des investissements ?

13. En conclusion, le mécanisme actuel de protection des investissements, outre les critiques spécifiques évoquées au point 11 ci-dessus, soulève deux questions fondamentales.

La première est la légitimité d’un système de juges purement privés comme enceinte pour connaître de litiges relatifs à des politiques publiques.

La seconde, le nécessaire rééquilibrage des accords de protection des investissements et la définition d’une frontière encore plus précise entre le véritable mauvais traitement ou traitement inéquitable d’un investisseur étranger qui doit être proscrit, et la mesure étatique prise en application de politiques publiques légitimes qui ne peut être assimilée à une violation du principe du traitement juste et équitable quand bien même une telle mesure nuit à l’investissement étranger en question.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne a adopté le 16 septembre 2015 une proposition concernant un nouveau système juridictionnel de protection des investissements destiné à remplacer le RDIE dans le TTIP mais aussi, à terme, dans tous les futurs accords de libre-échange conclus par l’Union européenne. Cette proposition comprend deux éléments principaux.

14. En premier lieu, la Commission entend affirmer le plus nettement possible que le droit de réglementer à des fins de politiques publiques sera préservé et que « les dispositions relatives à la protection des investissements ne doivent pas être interprétées comme un engagement des gouvernements de ne pas modifier leur cadre juridique ou de ne pas le modifier d’une manière susceptible d’avoir des répercussions négatives sur les attentes des investisseurs en matière de profit ».

15. Ensuite, et surtout, la Commission propose de créer un nouveau système juridictionnel constitué d’un Tribunal des investissements et d’une Cour d’appel. Le Tribunal serait composé de quinze juges nommés par l’Union européenne et les États-Unis (cinq ressortissants de l’Union, cinq ressortissants des États-Unis et cinq ressortissants d’États tiers) et la Cour d’appel de six juges. L’ensemble de ces juges seraient soumis à des règles strictes d’éthique, visant notamment à éviter les conflits d’intérêt.
Reste à savoir si la proposition, mise sur la table des négociations avec les États-Unis le 12 novembre dernier, pourra être acceptée par ces derniers et surtout si elle sera vraiment de nature à apaiser le débat et à sortir de l’impasse.

Votre point de vue

  • Amandine
    Amandine Le 4 février 2016 à 15:15

    Un grand merci pour cet article.

    Le Monde Diplomatique de février 2016 consacre justement un article intitulé "Le fléau de l’arbitrage international". Il me paraît venir à point pour compléter celui de "Justice en Ligne" ; en effet, il brosse un bref historique de ce type de "tribunaux privés", de leur fonctionnement, de leurs décisions, et apporte des précisions et critiques quant au mécanisme d’arbitrage en général et celui envisagé par la Commission Européenne.

    Parmi celles-ci :

     Il semble que, selon le nouveau système d’arbitrage promu par la Commission Européenne, les investisseurs restent seuls à pouvoir porter plainte, les collectivités n’en ayant pas le droit ;

     Les décisions de ces "justices arbitrales" ne sont pas tenues au respect d’une législation nationale normalement applicable devant une juridiction étatique ; ce serait justement la volonté d’échapper aux juridictions nationales qui fonderait le recours à cette justice privée ; selon le professeur de droit Emmanuel Gaillard, l’arbitrage confère aux parties "la liberté de préférer aux juridictions étatiques une forme privée de règlement des différends, de choisir leur juge, de forger la procédure qui leur paraît la plus appropriée, de déterminer les règles de droit applicables au différend, quitte à ce qu’il s’agisse de normes autres que celles d’un système juridique donné". Par ailleurs, les arbitres ont la liberté "de se prononcer sur leur propre compétence, de fixer le déroulement de la procédure et, dans le silence des parties, de choisir des normes applicables au fond des litiges". (Emmanuel Gaillard, "Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international", Académie de droit international, La Haye, 2008).

    Je suppose que les audiences de ces "tribunaux privés d’arbitrage" ne sont pas publiques.

    Répondre à ce message

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 31 janvier 2016 à 17:06

    Cet article est très intéressant mais très long aussi...Apprendre que les juges seraient nommés par l’U.E. et les E-U ne me rassure pas du tout pas plus que le TTIP, d’ailleurs.

    Répondre à ce message

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professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles (Chaire Jean Monnet de droit de l’Union européenne)

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