La privation de liberté des mineurs étrangers face aux exigences du droit belge et de la Convention européenne des droits de l’homme

par Luc Leboeuf - 16 septembre 2018

L’adoption, le 22 juillet 2018, d’un arrêté royal autorisant la privation de liberté des mineurs étrangers en séjour irrégulier sur le territoire belge suscite un vif débat. Il s’agit là du dernier épisode en date dans les controverses que génère régulièrement la recherche permanente d’une politique migratoire efficace et cohérente, dans le plein respect des valeurs fondamentales de notre société.

Luc Leboeuf, chercheur au Max Planck Institute et chargé de cours invité à la faculté de droit de l’Université d’Anvers, vous fournit les données juridiques de cette question.

1. L’article qui suit revient sur les principes juridiques essentiels qui encadrent le débat, tels qu’ils ressortent (I) du droit belge et (II) de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’objectif est de présenter les grandes tendances du cadre juridique relatif à la privation de liberté des mineurs étrangers en Belgique, plutôt que d’en proposer une analyse exhaustive.

I. La privation de liberté des mineurs étrangers en droit belge

2. Le droit belge de l’asile et de l’immigration est essentiellement gouverné par la loi du 15 décembre 1980, qui fixe les conditions d’accès au territoire belge et d’obtention d’un droit au séjour en Belgique, de même que les procédures à suivre pour retourner les étrangers qui n’y répondent pas.
Cette loi autorise la privation de liberté des étrangers appréhendés en séjour irrégulier sur le territoire belge en vue de leur éloignement effectif, moyennant le respect de diverses conditions strictes, qui ont essentiellement trait à la proportionnalité du recours à la privation de liberté, celle-ci ne pouvant être envisagée qu’en tant que mesure de dernier ressort et pour des motifs précis, comme l’existence d’un risque de fuite ou encore un défaut de coopération avec les autorités.

3. Les juridictions d’instruction, c’est-à-dire la chambre du conseil du Tribunal de première instance et la chambres des mises en accusation de la Cour d’appel, ont pour mission d’assurer le respect de ces conditions par l’Office des étrangers, qui est l’administration compétente pour mettre en œuvre la loi du 15 décembre 1980 et assure, à ce titre, la gestion des centres fermés.
Un contrôle indirect est également exercé par le Conseil du contentieux des étrangers, qui n’a pas compétence pour se prononcer sur la validité de la décision de privation de liberté, mais vérifie la légalité de l’ordre de quitter le territoire à l’origine de cette dernière.

4. En ce qui concerne les familles avec enfants mineurs, le Gouvernement a créé en 2009 des « maisons de retour » au titre d’alternative aux centres fermés, suite notamment à diverses condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme. Il s’agit de centres ouverts gérés par l’Office des étrangers, où les familles sont logées en attendant leur retour, tout en demeurant libres de leurs mouvements. Le régime des « maisons de retour » est règlementé par un arrêté royal du 14 mai 2009.

5. La loi du 16 novembre 2011 formalise cette pratique en l’inscrivant dans la loi du 15 décembre 1980.
Elle prévoit que les familles placées en « maison de retour » s’engagent à respecter diverses normes de conduite, fixées à l’aide d’une convention cadre signée avec l’Office des étrangers. Le non-respect de cette convention implique le transfert vers un centre fermé, « à moins que d’autres mesures radicales mais moins contraignantes puissent efficacement être appliquées » (article 74/9 de la loi du 15 décembre 1980).
La privation de liberté n’est donc pas interdite en tant que telle par la loi du 15 décembre 1980, qui prévoit toutefois des garanties complémentaires depuis l’adoption de la loi du 16 novembre 2011, afin de s’assurer qu’il s’agisse d’une mesure exceptionnelle.

6. Par son arrêt n° 166/2013 du 19 décembre 2013, la Cour constitutionnelle a jugé la loi du 16 novembre 2011 conforme à la Constitution aux motifs, notamment, que « la loi instaure le principe de l’interdiction de détention d’enfants mineurs mais autorise dans des circonstances exceptionnelles la détention de familles avec enfants mineurs durant une période la plus courte possible dans un environnement adapté » et que « il appartient au Roi c’est-à-dire au Gouvernement de veiller à ce que les lieux dans lesquels des enfants mineurs peuvent être maintenus remplissent ces conditions » ».

La Cour souligne qu’il revient « au Conseil d’État et aux cours et tribunaux de veiller au respect de ces exigences par le Roi ».
En d’autres termes, la Cour constitutionnelle a jugé qu’en tant que mesure exceptionnelle, la privation de liberté d’une famille avec enfants mineurs ne viole pas la Constitution en tant que telle, pour autant que des centres adaptés soient créés, ce qui devra être concrètement vérifié par les juridictions compétentes.

7. En pratique, le Gouvernement s’était abstenu, jusqu’à présent, d’adopter l’arrêté royal fixant les modalités pratiques nécessaires pour priver de liberté les familles avec des enfants mineurs.
Des travaux ont, toutefois, été entrepris pour construire un nouveau centre fermé, situé près du centre 127bis à proximité de l’aéroport de Zaventem, qui se veut adapté à leurs besoins spécifiques.
L’arrêté royal du 22 juillet 2018 a été adopté afin de fixer les modalités pratiques de fonctionnement de ce centre.

8. Cela a eu pour effet de raviver les controverses relatives à la privation de liberté des mineurs étrangers, que la création des maisons de retour avait apaisées pour un temps.
En droit, ces controverses sont notamment nourries par les diverses condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme dans diverses affaires, exposées ci-après.

II. La privation de liberté des mineurs étrangers face au contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme

9. La Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais prononcé une interdiction de principe à l’encontre de la privation de liberté des mineurs étrangers. Aucun arrêt ne considère que le seul fait de priver un mineur de liberté, au motif qu’il s’agit d’un étranger en séjour irrégulier, viole en soi la Convention européenne des droits de l’homme.

10. Diverses garanties peuvent, toutefois, se déduire de la jurisprudence de la Cour.
Ci-après, les trois arrêts dans lesquels la Belgique a été condamnée pour la détention de mineurs étrangers au sein du centre 127bis sont résumés. Les enseignements principaux qui s’en dégagent sont soulignés, eu égard notamment aux arrêts prononcés à l’encontre d’autres États et aux autres normes pertinentes de droit international et européen.

Trois condamnations de la Belgique

11. La Cour européenne des droits de l’homme a, par le passé, condamné la Belgique à trois reprises pour avoir privé de liberté des mineurs en séjour irrégulier.

12. Par son arrêt Mubilanzila c. Belgique du 12 octobre 2006, elle a jugé que la privation de liberté d’un mineur étranger non accompagné (dit « MENA »), une enfant congolaise de cinq ans, avait violé la Convention.
La Cour dénonce une détention qui « fait preuve d’un manque d’humanité et atteint le seuil requis pour être qualifiée de traitement inhumain » (§ 58). Elle insiste sur la situation d’« extrême vulnérabilité » dans laquelle se trouvait la requérante en raison de son très jeune âge et de sa qualité de MENA, notant que « il n’est pas contestable qu’à l’âge de cinq ans un enfant est totalement dépourvu d’autonomie et dépendant de l’adulte et que lorsqu’il est séparé de ses parents et livré à lui-même, il est complètement démuni » (§ 51).

13. Par son arrêt Muskhadzhiyeva c. Belgique du 19 janvier 2010, la Cour a condamné la privation de liberté d’une mère russe d’origine tchétchène et de ses quatre enfants, âgés de respectivement sept mois, trois ans et demi, cinq ans et sept ans.
La famille avait été privée de liberté après avoir demandé l’asile en Belgique, en vue de son transfert vers la Pologne qui était l’État membre responsable de l’examen de leur demande en vertu du règlement Dublin. La Cour a essentiellement argué de la vulnérabilité psychologique particulière des mineurs concernés, qui s’étaient vu diagnostiquer des troubles post-traumatiques. Elle note que « les enfants ... montraient des symptômes psychiques et psychosomatiques graves, comme conséquence d’un traumatisme psychique et somatique » (§ 60).

14. De même, par son arrêt Kanagaratnam c. Belgiquedu 13 décembre 2011, la Cour a condamné la privation de liberté d’une mère sri lankaise et de ses trois enfants, âgés de respectivement treize ans, douze ans et neuf ans.
La famille avait été privée de liberté dès son arrivée sur le territoire belge, au motif qu’elle avait voyagé à l’aide d’un faux passeport. Elle avait sollicité l’asile.
À la différence de l’affaire Muskhadzhiyeva, les requérants n’ont déposé aucune attestation établissant l’existence de troubles psychologiques. La Cour estime, toutefois, qu’il convient de « partir de la présomption que les enfants étaient vulnérables tant en raison de leur qualité d’enfants que de leur histoire personnelle ». Elle constate notamment qu’ils ont déjà vécu une situation traumatique, puisqu’ils ont été contraints de fuir leur pays d’origine en raison de persécutions avérées, qui ont par ailleurs justifié la reconnaissance de la qualité de réfugié (§ 67). La Cour pointe, également, la durée « particulièrement longue » de la détention, qui fut de quatre mois (§ 67).
Trois constantes dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

15. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est essentiellement casuistique. La Cour tranche les cas particuliers qui lui sont soumis, en appréciant l’ensemble des faits, en ce compris des études menées par des O.N.G., des organismes gouvernementaux et d’autres experts, comme des psychologues et des psychiatres.
S’il est difficile de déduire des principes stricts de sa jurisprudences, trois exigences générales s’en dégagent néanmoins : (1) la prise en considération de la vulnérabilité spécifique à chaque mineur étranger, compte tenu de sa propre situation, (2) des conditions de détention adaptées et (3) une privation de liberté qui soit une mesure de dernier ressort, pour une durée aussi brève que possible.

16. Premièrement, il convient d’avoir égard aux vulnérabilités particulières des enfants privés de liberté, liées à de multiples facteurs tels que le fait qu’ils soient non accompagnés (Mubilanzila), souffrent de troubles psychologiques (Muskhadizyeva), soient particulièrement jeunes (Mubilanzila et Muskhadizyeva), ou encore qu’il s’agisse de demandeurs d’asile en cours de procédure (Muskhadizyeva et Kanagaratnam). Il revient aux États de s’assurer de l’absence de troubles psychologiques particuliers susceptibles d’être accentués par une privation de liberté, que la Cour peut présumer en fonction de l’histoire personnelle des requérants (Kanagaratnam).

17. La Cour semble se montrer particulièrement stricte en ce qui concerne les mineurs étrangers non accompagnés, ainsi que confirmé par la jurisprudence ultérieure.
L’arrêt Rahimi c. Grèce du 5 avril 2011 condamne la Grèce pour avoir détenu un MENA afghan âgé de quinze ans. Cette condamnation est prononcée dans un contexte où les conditions de détention ont été jugées en soi indignes et contraire à la Convention, en raison notamment de la surpopulation et des conditions d’hygiènes défaillantes, et où le requérant avait été considéré, à tort, comme majeur.
La Cour prend, toutefois, le soin d’indiquer que « le requérant, en raison de son âge et de sa situation personnelle, se trouvait en une situation d’extrême vulnérabilité » (§ 86). Les arrêts Mohamad c. Grècedu 11 décembre 2014 et Abdullahi Elmi et Aweys Abubakar c. Maltedu 22 novembre 2016 aboutissent à la même conclusion au sujet de MENA demandeurs d’asile, qui ont été privés de liberté faute d’avoir été correctement identifiés comme MENA.

18. L’exigence d’avoir égard à la situation spécifique des MENA ressort également de l’état actuel de la législation belge.
Chaque MENA se voit désigner un tuteur, qui l’assistera dans les démarches administratives nécessaires pour trouver une solution durable (loi du 24 décembre 2002). Cette solution durable est déterminée au cas par cas. Elle peut inclure, notamment, le regroupement familial en Belgique ou dans un pays tiers, l’introduction d’une demande d’asile, laquelle ne sera acceptée que si les critères légaux applicables à tout demandeur d’asile sont rencontrés, ou encore le retour dans le pays d’origine.
Depuis sa modification par la loi du 16 novembre 2011, la loi du 15 décembre 1980 prévoit également que le MENA pourra bénéficier d’un titre de séjour provisoire, de six mois renouvelables, le temps qu’une solution durable puisse être trouvée (articles 61/14 et suivants de la loi du 15 décembre 1980).

19. Deuxièmement, dans chacun des arrêts condamnant la Belgique, la Cour dénonce les conditions de détention au sein du centre 127bis où les requérants avaient été détenus. S’appuyant sur divers rapports d’experts, en ce compris un audit réalisé par le Médiateur fédéral à la demande de la Chambre des représentants, elle le juge particulièrement inadapté aux mineurs au motif, notamment, que les mesures d’encadrement psychologiques et éducatives sont insuffisantes.

20. Divers arrêts rendus dans des affaires françaises ultérieures, où des mineurs étrangers avaient été privés de liberté aux côtés de leurs parents, précisent davantage encore les exigences de la Cour relativement aux conditions de détention. Dans son arrêt Popov c. France du 19 janvier 2012, la Cour reproche aux infrastructures du centre fermé concerné, situé à Rouen, d’être inadaptées aux mineurs. Elle note que « les infrastructures disponibles dans la zone ‘familles’ du centre ne sont pas adaptées à la présence d’enfants : pas de lits pour enfants et des lits adultes avec des angles en fer pointus, aucune activité destinée aux enfants, petit espace de jeux très sommaire sur un bout de moquette, cour intérieure bétonnée de 20 m² avec vue sur un ciel grillagé, grilles au maillage serré aux fenêtres des chambres, ne permettant pas de voir à l’extérieur, fermeture automatique des portes des chambres, dangereuses pour les enfants » (§ 95).

21. Dans les arrêts ultérieurs, R.M. c. France et R.C. et V.C. c. France, rendus le 12 juillet 2016, la Cour reproche également au centre fermé en cause, situé à Toulouse, d’avoir été construit en bordure des pistes de l’aéroport de sorte que « les enfants, pour lesquels des périodes de détente en plein air sont nécessaires, sont ... particulièrement soumis à des bruits d’une intensité excessive » (R.M., § 74 ; R.C. et R.V., § 38).
L’arrêt S.F. c. Bulgarie du 7 décembre 2017 condamne la privation de liberté d’une famille de demandeurs d’asile irakiens dans des conditions sanitaires inadéquates (cellule insalubre, accès insuffisant aux commodités sanitaires, à l’eau et à la nourriture, § 84). La Cour y juge que, bien que la détention fût particulièrement brève, d’une durée de moins de deux jours, cela a suffi pour violer la Convention compte tenu du jeune âge des enfants, dont un nouveau-né.

22. Troisièmement, la Cour insiste sur la circonstance que la privation de liberté d’un mineur étranger ne peut être qu’une mesure de dernier ressort, pour une durée aussi brève que possible.
Il s’agit là d’un principe général, applicable à la privation de liberté de tout étranger (voy. le manuel établi par l’Agence européenne des droits fondamentaux). La Cour semble, toutefois, se montrer particulièrement attentive à son respect lorsqu’il s’agit de mineurs.

23. Dans l’arrêt Popov c. France, précité, la Cour regrette qu’aucune alternative à la détention, comme une assignation à résidence, n’ait été envisagée (§ 146).

24. Dans l’arrêt A.B. c. France du 12 juillet 2016, la Cour juge qu’aucun « besoin social impérieux » ne justifiait la privation de liberté d’une famille arménienne avec enfants mineurs dont la demande d’asile avait été rejetée, regrettant « qu’il ne ressort pas de la décision attaquée que le préfet ait recherché, au regard de la présence de l’enfant, si une mesure moins coercitive que la rétention était possible pour la durée nécessairement brève de la procédure d’éloignement » (§ 154).
La Cour reproche également aux autorités françaises de ne pas avoir « mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion et limiter le temps d’enfermement », regrettant que « les requérants furent maintenus en rétention pendant dix-huit jours sans qu’aucun vol ne soit organisé et sans que des laissez-passer consulaires ne soient obtenus » (§ 155). Les arrêts R.K. c. France et R.M. c. France, rendus le même jour condamnent l’absence de recherche d’une alternative à la privation de liberté (R.K., § 115 ; R.M., § 91).

25. À l’inverse, dans l’arrêt A.M. c. France, aussi rendu le 12 juillet 2016, la Cour a validé la privation de liberté d’une mère avec ses enfants mineurs, pointant « le refus de la requérante de se présenter auprès des services de la direction départementale de la police aux frontières afin d’organiser son départ, l’absence de document d’identité et le caractère précaire du logement de la requérante », de même que la circonstance que « les autorités internes ont mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’éloignement et limiter le temps d’enfermement », un vol étant prévu dès le lendemain (§§ 95 et 96).
Dans l’arrêt R.C. et V.C. c. France du même jour, la Cour se satisfait de ce que « le préfet a écarté la possibilité de recourir à une mesure moins coercitive en raison de la conjonction de plusieurs facteurs, dont la condamnation pénale de la requérante pour des faits graves, sa volonté affichée de ne pas retourner dans son pays d’origine et son absence d’adresse connue » (§ 56).

26. Ces principes relatifs à la subsidiarité du recours à la privation de liberté se déduisent également du droit de l’Union européenne, et en particulier de la directive dite « accueil des demandeurs d’asile ».
Cette dernière n’autorise la privation de liberté d’un demandeur d’asile mineur « qu’à titre de mesure de dernier ressort et après qu’il a été établi que d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées efficacement. Ce placement en rétention doit être d’une durée la plus brève possible et tout doit être mis en œuvre pour libérer les mineurs placés en rétention et les placer dans des lieux d’hébergement appropriés pour mineurs » (article 11 de la directive n° 2013/33/UE).

27. La Convention relative aux droits de l’enfant énonce, quant à elle, que « l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible » (article 37, b). En droit belge, pareille exigence est consacrée par la loi du 15 décembre 1980 (article 74/9).
Un contrôle particulièrement attentif, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant

28. Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme exerce un contrôle particulièrement attentif de la privation de liberté des mineurs étrangers, compte tenu de leur vulnérabilité spécifique.
Elle ne se contente pas de vérifier que pareille privation de liberté constitue une mesure de dernier ressort, d’une durée aussi brève que possible. Elle procède également à un examen approfondi, au cas par cas, des conditions de détention, qui doivent être adaptées aux mineurs compte tenu des vulnérabilités qui leurs sont propres.

29. En droit, la Cour justifie l’existence de pareilles garanties en s’appuyant non seulement sur la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier les articles 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants), 5 (droit à la liberté) et 8 (droit à la vie familiale), mais également sur la Convention relative aux droits de l’enfant.

30. La Convention relative aux droits de l’enfant n’interdit pas, par principe, la privation de liberté des mineurs étrangers. Elle établit, toutefois, un principe fondamental de droit international, celui dit de « l’intérêt supérieur de l’enfant » (article 3).

31. Ce principe, également consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, implique que l’intérêt supérieur de l’enfant soit « une considération primordiale » dans la prise de toutes les décisions qui les concernent (article 24).
Il ne s’agit pas d’une obligation stricte de n’adopter que la décision qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant concerné, mais d’une obligation plus générale d’accorder un poids plus important à ses intérêts, compte tenu de l’ensemble des circonstances propres à l’espèce (voy. l’observation générale n° 14 du Comité des Nations Unies des droits de l’enfant).
Ainsi, dans l’arrêt Popov c. France, précité, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que « l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut se limiter à maintenir l’unité familiale mais ... les autorités doivent mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin de limiter autant que faire se peut la détention de familles accompagnées d’enfants et préserver effectivement le droit à une vie familiale » (§ 147).

32. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme démontre donc que si la privation de liberté des enfants mineurs n’est pas, en soi, contraire à la Convention, il convient d’être particulièrement attentif aux modalités de son exécution. Un examen au cas par cas doit toujours être réalisé.

III. Conclusion : de la difficile recherche d’une politique migratoire efficace et cohérente, dans le plein respect de nos valeurs fondamentales

33. La Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais émis d’interdiction de principe à l’encontre de la privation de liberté des mineurs étrangers. Elle a toutefois consacré diverses garanties qui visent à s’assurer non seulement que les conditions de détention aient égard à la vulnérabilité particulière des mineurs, laquelle doit être appréciée au cas par cas, mais également à limiter la détention aux hypothèses où elle est absolument nécessaire pour procéder à l’éloignement.

34. Toutefois, la Convention européenne des droits de l’homme ne fait que fixer un seuil minimum de protection.
La Cour européenne des droits de l’homme n’a pas vocation à dicter le détail des politiques migratoires nationales, dont elle ne conteste pas la légitimité. La Cour reconnait, par une jurisprudence constante, que « les États contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités ... le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux » (voy. l’arrêt Vilvarajah c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, §102).

35. Il est donc sain qu’un débat démocratique se tienne sur cette question de société, d’autant plus qu’il s’agit du traitement à réserver aux plus vulnérables.
La problématique est plus large que le seul respect de la Convention européenne des droits de l’homme, pour concerner un ensemble de considérations relatives à l’importance que notre société souhaite accorder au bien-être des mineurs, quelle que soit leur origine, et aux outils qu’elle met à disposition des autorités pour permettre l’éloignement effectif de ceux non autorisés au séjour.

36. Indépendamment de ce débat de société, le Conseil d’État aura à connaitre de la légalité de l’arrêté royal du 22 juillet 2018, à la suite de l’introduction d’un recours en annulation par divers acteurs de la société civile.
Il lui appartient désormais de vérifier si cet arrêté consacre des garanties
suffisantes, eu égard aux dispositions pertinentes de la loi du 15 décembre 1980 telles que validées par la Cour constitutionnelle et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme notamment.

37. Sans préjuger de l’arrêt à venir, qui supposera une appréciation complexe et concrète par le Conseil d’État au vu des éléments portés à sa connaissance, on se contentera de rappeler ici que la mise en œuvre de tout dispositif de privation de liberté de mineurs étrangers se fera sous le contrôle des juridictions d’instruction. C’est à elles qu’il revient in fine de vérifier attentivement et concrètement, dans chaque cas d’espèce et eu égard à l’ensemble des circonstances qui le caractérisent, que chaque privation de liberté d’un mineur étranger respecte les garanties consacrées par la loi.

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chercheur au Max Planck Institute et chargé de cours invité à la faculté de droit de l’université d’Anvers

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