La nouvelle loi sur la Cour d’assises : et une imperfection de plus, une (à propos d’une nouvelle cassation dans l’affaire Habran)

par Adrien Masset - 13 avril 2011

Le procès Habran et consorts déjà secoué par un premier arrêt de cassation vient de connaître une nouvelle secousse par un nouvel arrêt de cassation qui vient sanctionner le procès bis Habran et consorts.

Cette cassation concerne l’un des coaccusés dans cette affaire, désigné par l’initiale de son nom, R. Il y aura donc, pour l’accusé R., un procès Habran ter.

Adrien Masset nous aide à comprendre de quoi il retourne, surtout pour les suites à réserver à l’arrêt de cassation.

Il s’agit de cette volumineuse affaire de grand banditisme jugée d’abord par la Cour d’assises à Liège mais dont l’arrêt fut cassé ; le procès fut alors recommencé par la Cour d’assises de l’arrondissement de Bruxelles-Capitale (délocalisée à Nivelles) et le verdict prononcé par les douze jurés en surprit plus d’un : si l’accusé Habran fut jugé coupable, un autre accusé fut acquitté, et un troisième accusé, R., fut déclaré coupable ; les trois magistrats professionnels firent alors application, envers ce troisième accusé, d’une disposition exceptionnelle (l’article 336 du Code d’instruction criminelle) puisqu’ils considérèrent à l’unanimité que les jurés s’étaient manifestement trompés en telle sorte que le verdict de culpabilité fut invalidé : le sort de ce troisième accusé, R., fut ainsi reporté à une autre session d’assises, ainsi qu’il a été exposé dans un article précédent publié par www.justice-en-ligne.be (cliquer ici).

Le procureur fédéral forma cependant un pourvoi en cassation pour critiquer l’arrêt de report pris par ces trois magistrats professionnels et voilà que la Cour de cassation, par son arrêt du 30 mars 2011, vient de casser cet arrêt de report.

La question est moins de savoir pourquoi la Cour de cassation a sanctionné ces trois magistrats professionnels (en l’espèce, essentiellement pour une question juridique d’appréciation des preuves) que de s’interroger sur la suite de la procédure.

Si la Cour de cassation n’avait pas cassé cet arrêt de report, l’accusé R. aurait été rejugé par une nouvelle Cour d’assises et par un nouveau jury dans le cadre d’un nouveau procès : bref, un procès ter complet pour cet accusé R.

Mais la Cour de cassation en a décidé autrement. Vraiment ?

Seul l’arrêt de report est cassé, ce qui laisse subsister la déclaration de culpabilité du jury à propos de cet accusé R.

Il va donc falloir organiser une nouvelle Cour d’assises, dans la province du Brabant wallon et non plus dans l’arrondissement de Bruxelles-Capitale, mais avec quels juges ?

Les débats seront limités à ce qui a été cassé : les trois nouveaux magistrats professionnels devront examiner si les jurés du procès bis se sont manifestement trompés : très bien, mais en se basant sur quels éléments ? Ces trois nouveaux venus disposeront du dossier, n’auront rien entendu de ce qui se fut dit lors du procès bis, liront la motivation du verdict de culpabilité rédigé contre R. lors du procès bis et liront l’arrêt de report prononcé dans le procès bis en ne perdant pas de vue l’arrêt qui l’a cassé. Y aura-t-il des débats devant ces trois nouveaux magistrats professionnels ? La loi n’en prévoit pas et n’en a jamais prévu ; nous voilà donc face à un curieux procès qui doit rester équitable mais où la décision qui va sceller le sort d’un accusé sera prise par des magistrats qui n’ont rien entendu de l’affaire. Une procédure écrite en quelque sorte : une horreur en droit pénal.

Ensuite, après cet exercice périlleux, de deux choses l’une :

 Soit les trois nouveaux magistrats, eux aussi, estiment, à l’unanimité, que le jury du procès bis s’était manifestement trompé et il devra s’en suivre, sauf nouvelle cassation, un nouveau procès complet pour cet accusé, ce qui ne pose pas de problème juridique particulier.

 Soit les trois nouveaux magistrats estiment, à tout le moins à la majorité, que l’accusé R. est bel et bien coupable et il faut donc enchaîner sans désemparer, dit la Cour de cassation, avec un mini-procès limité ainsi aux débats sur la peine : réquisitions du ministère public et plaidoirie de la défense, sans répliques, sans interrogatoire de l’accusé R. (il pourra uniquement dire quelques mots après la plaidoirie de ses conseils) et sans auditions préalables de quelque témoin ou expert. Est-ce l’ancien jury du procès bis, ces jurés d’un jour qui devraient reprendre du service, ce qui n’est pas prévu par la loi et ce qui est du reste exclu par l’arrêt de cassation qui ne renvoie pas le dossier devant la Cour d’assises de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale mais devant celui de la province du Brabant wallon ? Ou est-ce un nouveau jury, cette fois de la Cour d’assises de la province du Brabant wallon, auquel cas il y aurait une curieuse procédure pour ce mini-procès confié à douze nouveaux jurés et à ces trois nouveaux magistrats professionnels, qui n’auraient de connaissance du dossier qu’au travers de ces réquisitions et plaidoiries ? Il n’est évidemment pas de procès équitable, dans une procédure d’assises, quand une décision judiciaire sur la peine est rendue par des juges, magistrats et jurés, qui n’ont ni étudié le dossier répressif ni assisté à l’examen du dossier aux audiences. La Cour d’assises est une procédure orale à pur et à plein qui, dans le cas d’espèce, prendrait l’eau de toutes parts.

De notre point de vue, dans cette seconde hypothèse de débats limités à la peine devant un nouveau jury, il n’est de procès équitable que si tout le procès est repris devant cette nouvelle Cour d’assises, avec interrogatoire de l’accusé R., défilé complet des témoins et des experts, mais absence de plaidoiries sur la culpabilité, puisqu’elle est déjà acquise (ce qui exclura la présence à la barre de la partie civile, qui ne saurait pas obtenir plus que ce qu’elle a obtenu, sauf en matière de confiscations), et plaidoiries sur la peine : seule cette organisation procédurale nous paraît respecter le droit de cet accusé R. d’être jugé de manière équitable par une juridiction indépendante et impartiale, ce qui suppose qu’elle soit pleinement informée notamment pour pouvoir motiver la peine qu’elle a à prononcer. Cette proposition de solution ne repose pas dans la loi belge, ni l’ancienne, ni la nouvelle, mais bien dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit à tout justiciable un procès équitable et qui, du reste, est supérieur à la loi.

Décidément, cette réforme de la Cour d’assises montre de plus en plus ses défauts, tant théoriques que pratiques.

Connaître les règles du procès avant le procès est une exigence imposée par la Cour européenne des droits de l’homme ; la Belgique fut d’ailleurs condamnée à Strasbourg pour l’avoir méconnue dans l’affaire Coëme (procès Inusop).

Après un procès bis puis un procès ter Habran en Belgique, après un arrêt Taxquet à Strasbourg, nous aurions à rougir d’essuyer un arrêt Habran (ou plutôt R.) de la Cour européenne des droits de l’homme à nouveau à propos de la Cour d’assises.

Mots-clés associés à cet article : Affaire Habran, Cour d’assises, Jury,

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Adrien Masset


Auteur

avocat aux barreaux de Verviers et de Liège, professeur à l’Université de Liège

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