L’Affaire Fortis fait-elle voler en éclats le devoir de réserve des magistrats et le secret professionnel des avocats ?

par Pierre Lambert - 19 mars 2009

Le public est déconcerté d’apprendre que des magistrats, et non des moindres, sortent de leur réserve traditionnelle pour dénoncer – ce qu’il peut comprendre et admettre – des atteintes au principe de la séparation des pouvoirs, mais, qui formulent, à cette occasion, des accusations qui auraient pour effet de déstabiliser la Commission d’enquête parlementaire. Le barreau ne demeure pas en reste : le refus d’un avocat de prêter serment et de déposer devant la Commission entraîne une controverse dont les journaux se font l’écho.

Pour éclairer ses lecteurs, Justice-en-ligne a pris l’initiative d’interroger l’ancien président de l’Institut d’Etudes sur la Justice, Maître Pierre Lambert, qui a précisément publié, il y a quelques années, un ouvrage qui fait autorité, consacré au secret professionnel et qu’il vient de mettre à jour récemment (Répertoire pratique du droit belge (Complément X), Verbo Secret professionnel, éd. Bruylant, mars 2007).

Quelle est l’étendue du secret professionnel des magistrats ?

L’obligation de respecter le secret professionnel s’applique aux membres de toutes les juridictions, particulièrement lorsqu’il s’agit des délibérés dans les affaires, quelle que soit leur nature, que les magistrats sont appelés à juger. Ce secret du délibéré s’oppose à ce que les opinions individuelles de ceux qui y prennent part soient divulguées, pour garantir, à l’évidence, l’indépendance de leurs auteurs. On ne peut, dès lors, qu’être à tous le moins surpris des lettres adressées par des magistrats dont les qualités ne sont par ailleurs pas mises en doute, dans lesquelles il est fait état non seulement des soubresauts des délibérés de l’affaire Fortis, mais aussi des procédures disciplinaires qui auraient suivi.

Que pensez-vous de la controverse sur l’interdiction de témoigner faite à un membre du barreau ?

La matière du secret professionnel est délicate et appelle des nuances.

Il est vrai que le Code pénal, qui réprime la violation du secret professionnel consacre, de manière explicite, en son, article 458 une dérogation à son obligation en cas de témoignage en justice (ou devant une Commission parlementaire). Dans cette hypothèse, l’avocat peut témoigner sans encourir de sanction pénale, sa décision de parler ou de se taire ne relevant que de sa seule conscience.

Le barreau a cependant édicté une règle de déontologie plus sévère que la loi pénale et a invité l’avocat, appelé à témoigner, à se retrancher derrière le secret professionnel. L’intransigeance de cette règle a été regrettée par des auteurs qui ont soutenu qu’il est des circonstances particulières où des valeurs supérieures commandent impérieusement à l’avocat de ne pas garder le silence. Il reste que le barreau est parfaitement dans son rôle lorsqu’il édicte une réglementation qui a pour but de garantir l’indispensable relation de confiance entre l’avocat et celui qui se confie à lui.

Que concluez-vous de l’ensemble de ces événements ?

Force est de constater que des principes fondamentaux sur lesquels repose le fonctionnement de notre société démocratique, ont paru brusquement se lézarder. Il est important que chacun retrouve rapidement son sang-froid. Pour y parvenir je ne puis qu’inviter vos lecteurs à relire les actes du colloque que l’Institut d’études sur la justice avait consacré le 17 octobre 2003 au devoir de réserve et au secret professionnel (voy. les Cahiers de l’Institut d’études sur la justice, n° 5, éd. Bruylant, 2004).

Votre point de vue

  • thierry Marchandise
    thierry Marchandise Le 25 mars 2009 à 08:45

    Pierre Lambert rappelle à juste titre l’importance que le barreau accorde au secret professionnel.

    Il est cependant nécessaire de préciser que c’est à tort que l’avocat VAN BUGGENHOUT a refusé de prèter serment devant la commission.

    Car ce n’est qu’après avoir prèté serment et entendu les questions posées que l’intervenant peut apprécier si chacune de ces questions couvre des faits ou des éléments qu’il estime couverts par le secret professionnel et qu’il peut choisir de se taire ou de parler.

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