A propos de la demande de production du scénario du film « A perdre la raison » basée sur l’affaire Geneviève Lhermitte

par Alain Berenboom - 26 janvier 2011

Peut-on utiliser des personnes vivantes dans une fiction, roman ou film ?

La question remue les tribunaux depuis des années.

On se souvient notamment du procès qu’avaient mené à Paris la princesse Lilian de Réthy et son fils le prince Alexandre, mécontents de se trouver mêlés au roman de Pierre Mertens « Une paix royale ».

Ce sont souvent les personnes mêlées, parfois malgré elles, à un procès qui supportent mal de se retrouver ensuite personnages de cinéma. Il y eut ainsi des procès à propos du « Pull over rouge » ou du film « Mesrine ». Dans cette dernière affaire, les juridictions françaises avaient rappelé les principes à observer dans ce cas : l’utilisation des faits (y compris des personnes acteurs) d’un procès pénal dans une œuvre de fiction n’est pas illicite mais il y a lieu de supprimer toute référence aux parties montrées dans des scènes de leur vie privée (arrêt de la cour de cassation française du 3 décembre 1980). L’arrêt ordonne par ailleurs la suppression du nom et du prénom réels des victimes d’un enlèvement montré à l’écran.

Le procès de Geneviève Lhermitte, meurtrière de ses enfants, suscite un film que doit réaliser Joachim Lafosse et intitulé « Aimer à en perdre la raison ».

Avant même le premier tour de manivelle, la justice déjà se mêle de la représentation à l’écran de cet événement tragique et de ce procès.

En effet, le mari de G. Lhermitte, M. B. Moqadem ainsi que son ami, le docteur Schaar, auquel Madame Lhermitte attribuait l’origine de ses maux, ont saisi le tribunal civil de Bruxelles en lui demandant d’ordonner, « avant dire droit » (c’est-à-dire avant de statuer sur le fond), de pouvoir prendre connaissance du scénario. Leur but ? Vérifier que le film, conformément, semble-t-il, aux déclarations du cinéaste, ne s’inspirera pas de leur vie privée.

Dans sa décision rendue le 22 décembre 2010, le tribunal a rejeté cette demande.

Si le tribunal reconnaît et rappelle que le docteur Schaar et le mari de G. Lhermitte peuvent invoquer le droit au respect à la vie privée et à la réputation (garantis par notre Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme), il relève qu’ils ne justifient pas juridiquement le fondement d’un droit qu’ils invoquent « au deuil et au silence ».

En revanche, le cinéaste peut prétendre au respect de sa liberté d’expression, qui comprend sa liberté artistique. Rien ne peut justifier de la limiter ici puisqu’aucune preuve n’est apportée que le cinéaste porte atteinte à leur vie privée alors qu’il peut librement s’inspirer d’un fait divers largement médiatisé.

Le tribunal rappelle en outre que la jurisprudence est très réticente à faire droit à des mesures préventives à l’encontre d’une œuvre non encore divulguée. Elle ne le fait que dans des « cas flagrants de violation des droits d’autrui », ce qui n’est pas le cas ici.

Mots-clés associés à cet article : Affaire Lhermitte, Liberté d’expression,

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Alain Berenboom


Auteur

Professeur à l’Université libre de Bruxelles
Avocat au barreau de Bruxelles

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