Un magistrat peut-il être sanctionné s’il commet une faute ?

par Jean-François Funck - 3 avril 2024

Photo @ PxHere

Le comportement d’un magistrat a été récemment mis en cause : étant membre du Conseil supérieur de la Justice, il aurait transmis à un candidat les questions de l’examen d’accès à la magistrature auquel celui-ci allait participer. Le Conseil supérieur de la Justice dit avoir constaté les faits.
À la suite à cette dénonciation, deux procédures ont été entamées : une enquête pénale et une procédure disciplinaire. L’on apprend également que, dans le cadre de ce dossier, le magistrat concerné, ainsi que d’autres magistrats, ont été suspendus.
En quoi consiste ce régime disciplinaire concernant les magistrats ?
Jean-François Funck, juge au Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, assistant à l’Université catholique de Louvain, nous l’explique.

1. Si un magistrat se comporte de manière inadéquate, fautive ou abusive, il est susceptible d’être sanctionné sur le plan disciplinaire.
Encore faut-il qu’un autre principe, fondamental en démocratie, soit respecté : celui de l’indépendance de la Justice, et donc des magistrats. Dans un État de droit, il est en effet essentiel que les magistrats puissent se prononcer en toute indépendance, sans être l’objet de pressions externes et sans crainte de subir des représailles suite à la décision qu’ils ont prise. L’indépendance doit garantir la confiance du citoyen dans la Justice. Il faut donc éviter que la procédure disciplinaire porte atteinte à cette indépendance. Pour les juges, ce principe est énoncé par la Constitution (article 151) et il se concrétise, notamment, par la règle de l’inamovibilité : « Les juges sont nommés à vie. […] Aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement. » (article 152).
En d’autres termes, aucune personne, ni aucune autorité extérieure au pouvoir judiciaire ne peut se prononcer sur la carrière d’un juge. Pour suspendre un juge ou mettre fin à ses fonctions, s’il a commis une faute, il faut un « jugement », c’est-à-dire une décision prise par d’autres juges. Cette règle vaut pour toute sanction prise à l’égard du juge sur le plan professionnel (avertissement, retrait de salaire, suspension, cessation des fonctions, etc.).

2. Quant aux magistrats du ministère public, le principe d’indépendance leur est également reconnu (article 151 de la Constitution).
La loi organise donc une procédure disciplinaire pour les magistrats qui permet qu’en cas de faute, des sanctions soient prononcées en respectant le principe d’indépendance : dès lors, celles-ci ne pourront être prises que par des membres du pouvoir judiciaire.

3. Si la règle selon laquelle les magistrats ne sont pas jugés par des personnes extérieures à la Justice est justifiée sur le plan des principes démocratiques, elle peut aussi avoir des effets négatifs : les citoyens peuvent avoir alors le sentiment que les magistrats règlent les problèmes entre eux, de manière occulte, voire se protègent les uns les autres.
C’est ce sentiment qui est à l’origine d’une réforme importante intervenue en 2013. À l’époque, diverses affaires retentissantes avaient suscité auprès du public des soupçons quant à la trop grande proximité entre les différents intervenants dans la procédure. Pour restaurer la confiance , il fallait garantir une distance suffisante entre le magistrat mis en cause, d’une part, et les personnes qui entament les poursuites ou qui se prononceront en fin de procédure, d’autre part.

4. Ainsi, ont été créé les tribunaux disciplinaires, qui sont chargés de se prononcer sur d’éventuelles fautes disciplinaires commises par des magistrats mais aussi par tout membre du personnel du pouvoir judiciaire (greffiers, collaborateurs, etc.). Ces tribunaux sont composés de magistrats (lorsqu’un magistrat est en cause) ou de magistrats et de membres du personnel (lorsqu’un membre du personnel est en cause).
Il y a un tribunal disciplinaire francophone (à Namur), un néerlandophone (à Gand) et un tribunal d’appel (à Bruxelles).
Des règles d’incompatibilité strictes sont prévues pour éviter que les membres du tribunal disciplinaire travaillent dans la même juridiction ou le même parquet que la personne mise en cause, et donc soient trop proches.
Par ailleurs, une personne extérieure est également présente : un bâtonnier de l’Ordre des avocats. Il siège avec une voix consultative : il ne vote donc pas mais peut donner son opinion. Celle-ci est importante car elle vient d’une personne qui connait bien le fonctionnement de la Justice mais qui a un regard extérieur, différent de celui des magistrats.

5. C’est le chef de corps (c’est-à-dire le président du tribunal ou de la cour / le procureur du Roi ou le procureur général) qui prend l’initiative d’ouvrir une procédure disciplinaire concernant un magistrat de sa juridiction ou de son parquet. Mais un mécanisme est prévu pour remédier à l’éventuelle inertie d’un chef de corps : le ministère public à l’égard du tribunal (ou de la cour), d’une part, le tribunal (ou la cour) à l’égard du ministère public, d’autre part, disposent également chacun d’un pouvoir d’initiative.
La décision du chef de corps d’entamer la procédure disciplinaire peut trouver son origine dans une plainte d’un particulier. Dans ce cas, le chef de corps doit informer le plaignant de la suite qui a été donnée à sa plainte.
Si le chef de corps estime que la faute justifie une sanction mineure (c’est-à-dire un avertissement ou réprimande), il la prononce lui-même. Par contre, il doit renvoyer le dossier au tribunal disciplinaire s’il considère que, vu la gravité des faits, une sanction majeure est plus adaptée (c’est-à-dire : une retenue de traitement, une suspension, une régression barémique, une rétrogradation ou la fin des fonctions). C’est alors ce tribunal qui se prononce.

6. La procédure pouvant être longue, le magistrat concerné peut être temporairement suspendu de ses fonctions si l’intérêt du service l’exige, c’est-à-dire lorsque le maintien au travail risque de créer trop de perturbations dans la juridiction ou le parquet. C’est le chef de corps qui prend cette décision pour une durée de trois mois renouvelable.
Un recours est possible devant le tribunal disciplinaire.
La mesure de suspension ne signifie pas que le magistrat est coupable des faits qu’on lui reproche. Il s’agit seulement d’une mesure temporaire visant le bon fonctionnement du service pendant le temps de la procédure. En attendant la décision, l’intéressé reste présumé innocent.
À titre d’exemple, le tribunal disciplinaire a, dans le passé, suspendu un magistrat qui était poursuivi pour des faits d’extorsion, escroquerie et blanchiment qui auraient été commis dans un cadre privé. Il a estimé que les reproches étaient d’une gravité telle qu’ils pourraient ébranler la confiance des justiciables dans l’intégrité, les capacités ou l’impartialité de l’intéressé et empêcher l’administration d’une justice sereine.

7. Par exemple, il est arrivé qu’un magistrat soit sanctionné dans les cas suivants :

  • d’importants retards dans la prise de décision malgré les mesures mises en œuvre par le chef de corps pour permettre au magistrat de se remettre en ordre ;
  • un comportement fréquemment agressif et abusif vis-à-vis du greffier ;
  • la conduite d’un véhicule en état d’ébriété ;
  • un manque de la retenue d’un magistrat à l’audience vis-à-vis du justiciable et de son avocat ;
  • une confusion entre le patrimoine du magistrat et celui des personnes qu’il a placées sous administration provisoire par l’achat de biens appartenant à la personne et la revente avec un bénéfice.

Votre point de vue

  • Denis Luminet
    Denis Luminet Le 5 avril à 09:24

    Qu’en est-il de la responsabilité civile des magistrats ?

    Exemple : un litige oppose A et B.
    A l’emporte en première instance.
    B va en appel et obtient gain de cause ; la cour d’appel met donc les frais à la charge de A, partie succombante [sic] qui subit ainsi une double peine : procès perdu et dépens.
    Ainsi, la vérité judiciaire est que A est en tort/a commis une faute et doit l’assumer.
    Question : le juge [épicène !] de première instance n’avait-il pas également commis une faute ?

    Mutatis mutandis devant le Conseil d’État : contentieux administratif, A contre B, l’avis de l’auditeur est favorable à A, le Conseil donne raison à B.
    Ce n’est pas l’auditeur -juriste éminent ... mais pas infaillible- mais A -citoyen lambda- qui devra payer une indemnité de procédure.
    Est-ce équitable ?

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