1. Le CIO, qui est à la tête du Mouvement olympique, est une organisation privée chargée notamment de promouvoir le sport et les valeurs olympiques dans la société. Les différents comités nationaux olympiques, qui font partie du Mouvement olympique, sont tenus de respecter les décisions du CIO.
Ces comités nationaux olympiques ont compétence exclusive pour représenter leurs pays respectifs aux Jeux olympiques.
2. Quant au Tribunal arbitral du sport, il s’agit d’un mécanisme d’arbitrage privé, dont le siège est établi à Lausanne.
Dans toute affaire soumise au TAS, une formation arbitrale se prononce en rendant une sentence. Chaque partie au litige désigne généralement un arbitre de son choix au sein d’une liste préconstituée, la formation étant présidée par un arbitre désigné par les deux premiers.
3. Le rôle du TAS est fondamental dans les litiges à caractère sportif, à tel point qu’il est souvent qualifié de « cour suprême du sport mondial ». Ce sont également des formations du TAS, présentes sur place, qui sont chargées de statuer sur les litiges survenant pendant la période des Jeux olympiques.
Dans le cas présent, le TAS a statué en appel de la décision du CIO.
4. Pour comprendre la décision de suspension que le CIO avait prise le 12 octobre 2023 à l’encontre du CIO, il faut se souvenir qu’en septembre 2022, la Russie avait annexé les régions ukrainiennes de Donetsk, Kherson, Luhansk et Zaporizhzhia.
Le 5 octobre 2023, le Comité olympique russe avait décidé d’inclure parmi ses membres les organisations sportives de ces régions, lesquelles relevaient de l’autorité du Comité olympique ukrainien.
5. Cette décision unilatérale a conduit le CIO à prendre la décision de suspension litigieuse : il a estimé que le Comité olympique russe avait violé l’intégrité territoriale du Comité olympique ukrainien. Or, la Charte olympique, qui codifie les principes fondamentaux de l’Olympisme et l’ensemble des règles adoptées par le CIO, impose le respect de l’intégrité territoriale de chaque comité national olympique.
6. Cette suspension entraînera des conséquences importantes pour le Comité olympique russe : celui-ci ne pourra plus opérer en tant que comité national olympique ni recevoir de fonds de la part du Mouvement olympique. En revanche, elle n’empêchera pas la participation à titre individuel d’athlètes russes aux Jeux olympiques de Paris, sous bannière neutre, pourvu qu’ils n’aient pas soutenu publiquement l’invasion de l’Ukraine et qu’ils ne soient pas affiliés à des agences militaires ou de sécurité de l’État.
7. À l’appui de son recours devant le TAS contre la décision de suspension, le Comité olympique russe invoquait différents arguments. Il soutenait notamment que le CIO aurait violé le principe de légalité en se prononçant sur une question de droit international, à savoir celle de la licéité de l’annexion par la Russie des régions ukrainiennes concernées et sur la détermination de la frontière entre la Russie et l’Ukraine.
8. Le TAS a rejeté cet argument, estimant que le CIO n’avait fait qu’appliquer la Charte olympique, comme il est tenu de le faire. Celle-ci exige en effet que la juridiction territoriale de chaque Comité national olympique coïncide avec les limites du pays dans lequel il est établi (règle 28.5.).
Par ailleurs, la Charte olympique précise que le terme « pays », lorsqu’il est repris dans la Charte, signifie un État indépendant reconnu par la communauté internationale (règle 30.1.). Or, la résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 13 octobre 2022 à une écrasante majorité des États membres, par laquelle celle-ci a réaffirmé son attachement à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, a fourni une preuve suffisante de la reconnaissance par la communauté internationale des « limites » de l’Ukraine, au sens où ce terme est utilisé dans la Charte olympique.
9. Le Comité olympique russe faisait également valoir que la décision du CIO violait le principe d’égalité. Selon lui, dans des situations antérieures estimées comparables, l’instance suprême olympique n’aurait jamais pris de décision de suspension similaire à celle dont il a fait l’objet. Autrement dit, il était reproché au CIO d’avoir appliqué un double standard, au détriment du Comité olympique russe.
10. Cet argument n’a pas davantage convaincu le TAS, les conflits évoqués se distinguant de l’actuel différend russo-ukrainien quant à leur incidence sur les instances sportives.
S’agissant notamment de la situation consécutive à l’occupation de la partie nord de Chypre par la Turquie en 1974, le TAS souligne que le Comité olympique turc n’avait jamais prétendu étendre son autorité à la partie nord de l’île, de sorte que la question d’une suspension ne s‘était jamais posée, contrairement au cas du Comité olympique russe. De surcroît, le CIO s’était fondé sur la position de la communauté internationale, d’une part, pour confirmer au Comité olympique chypriote que son autorité s’étendait à l’ensemble de l’île et, d’autre part, pour refuser de reconnaître un Comité olympique de Chypre Nord.
11. Quant au conflit israélo-palestinien, également évoqué, le Comité olympique israélien n’avait jamais eu de velléités d’intégration en son sein d’organisations sportives palestiniennes, ce en quoi la situation différait de celle dont le TAS était saisi dans le cadre de l’actuel conflit russo-ukrainien.
12. Enfin, entre autres considérations, le Comité olympique russe soutenait que la décision de suspension entrait en contradiction avec le principe de neutralité politique, que la Charte olympique érige en principe fondamental de l’Olympisme.
Sur ce point, le TAS estime, quant à lui, que ce principe implique qu’aucun comité national olympique ne peut empiéter sur la juridiction territoriale d’un autre comité national olympique, sous peine de sanctions.
13. Avant de rejeter le recours, le TAS souligne encore que son rôle n’est pas de se prononcer sur la licéité, sous l’angle du droit international, de l’annexion des régions ukrainiennes par la Russie, ni de déterminer la frontière entre les deux États.
14. Cette sentence atteste qu’en dépit de la neutralité politique proclamée des instances sportives, celles-ci ne peuvent se prétendre totalement imperméables aux répercussions que certains conflits internationaux peuvent avoir sur leur fonctionnement, en particulier lorsque ceux-ci se traduisent par des violations particulièrement graves du droit international.
Le même phénomène a d’ailleurs été observé dans les mois qui ont suivi l’agression de la Russie contre l’Ukraine en février 2022. À l’époque, le CIO et, à sa suite, diverses fédérations sportives internationales avaient adopté des sanctions sans précédent contre les instances sportives et les athlètes russes.
Le TAS n’y avait pourtant pas décelé de violation du principe de neutralité politique…