Procès des attentats de Bruxelles : le volet civil bientôt jugé

par Benoît Dejemeppe - 27 mai 2024

Après l’arrêt de condamnation des accusés prononcé par la cour d’assises de Bruxelles le 15 septembre 2023, les victimes ont demandé réparation de leurs dommages. Les audiences ont eu lieu en avril 2024 et un nouvel arrêt sera bientôt rendu sur ce point.
Benoît Dejemeppe, président de section émérite à la Cour de cassation et maître de conférences honoraire à l’Université Saint-Louis Bruxelles, explique comment il se fait qu’un juge a pu interférer dans une procédure pénale arrivée à son terme.

1. Pour le public, le procès des attentats de Bruxelles et Zaventem s’est terminé 15 septembre 2023 (voy. l’article de B. Dejemeppe publié sur Justice-en-ligne, « Procès des attentats de Bruxelles : la cour d’assises tire le rideau »). Ce jour-là, la Cour d’assises s’est prononcée sur les peines infligées aux accusés.
Même si, légitimement en demande d’écoute et de recherche de vérité, ce sont les victimes qui ont pris la plus grande part lors des audiences pénales, cette décision ne concernait pas les dommages que toutes et chacune d’entre elles ont subis personnellement.
Une nouvelle procédure devait être organisée pour que justice soit rendue en termes de compensation financière, même si l’on sait d’avance que la plupart des dommages subis sont en réalité irréparables et que ceux qui le sont ne seront jamais réparés par leurs auteurs.

Petit rappel de principe

2. Chaque fois qu’une demande civile est, comme en l’espèce, fondée sur une infraction, cette demande est tributaire du sort fait d’abord à l’action pénale. Il faut en effet que le juge répressif ait constaté la réalité de l’infraction : ce constat constitue à l’égard de tous la « vérité judiciaire », c’est-à-dire la vérité irrévocable qu’on ne pourra plus remettre en question.
Par un effet de miroir, si le juge déclare la prévention (c’est-à-dire l’infraction faisant l’objet de l’accusation) non établie, il ne peut plus déclarer fondée l’action en réparation du fait de l’infraction. Dans l’affaire des attentats, on se souviendra que deux des dix accusés ont été acquittés de toutes les infractions pour lesquelles ils étaient poursuivis. Cela signifie qu’ils n’auront pas de compte à rendre des dommages subis par les victimes.

Quelles victimes ?

3. Du point de vue des victimes, il convient de signaler que, sous peine d’irrecevabilité, la loi leur impose de se signaler avant la fin du procès pénal, ce qu’on exprime dans le langage judiciaire par l’obligation de « se constituer partie civile » devant le juge d’instruction ou le juge du fond.
À l’entame des assises dans la présente affaire, on comptait 95 parties civiles constituées, auxquelles se sont ajoutées 111 supplémentaires en cours de procédure.

Quels juges ?

4. Alors que le volet pénal se déroule devant un jury de citoyens tirés au sort, il n’en va pas de même pour l’appréciation des dommages civils. Cette partie du procès a lieu devant les seuls juges professionnels de la cour d’assises, davantage familiarisés avec les multiples questions techniques que suscite ce genre de procédure.

Quels dommages ?

5. Ceux-ci peuvent être très variés. On les classe en deux grandes catégories : les dommages matériels (par exemple les frais médicaux, d’assistance de tiers, la perte de revenus personnels ou de celui/celle qui contribuait à la vie de la famille, l’invalidité temporaire ou permanente, les frais funéraires, les dégradations ou les destructions des équipements destinés au transport des voyageurs dans le métro ou à l’aéroport) et les dommages moraux (pour l’essentiel, la compensation symbolique de la souffrance morale infligée aux victimes, en particulier aux proches des défunts, les préjudices psychologiques, les dommages esthétiques).
À chaque fois, il appartient à la victime d’apporter la « preuve » des dommages dont elle demande réparation ainsi que de leur lien avec les attentats (par exemple, au plan matériel, la production des factures de frais médicaux, un rapport d’expertise concernant l’invalidité ; au plan moral, le compagnon d’une victime décédée doit prouver qu’il est bien ce compagnon, par exemple parce qu’ils habitaient ensemble ou qu’ils ont un enfant commun).

Quel jugement ?

6. Dans cette affaire, il appartient aux trois juges professionnels de la Cour d’assises d’examiner les multiples demandes de réparation.
Ce procès prendra moins de temps que celui qui a retenu l’attention pendant près de neuf mois pour le volet pénal. Solidaires entre elles, de nombreuses victimes se sont regroupées sous la bannière de deux collectifs (L4B [Life For Belgium] et V-Europe) constituant des équipes d’avocats expérimentés pour les défendre.
Les plaidoiries des avocats ont pris quelques audiences du 16 au 23 avril dernier, l’affaire a été mise en délibéré et l’arrêt a été annoncé pour la mi-septembre 2024. La décision à rendre pourra encore faire l’objet d’un pourvoi en cassation, mais seulement pour des motifs juridiques relevant d’une application incorrecte de la loi.
Tout cela pourrait paraître assez théorique puisque les préjudices sont incommensurables tandis qu’il est de notoriété publique que les accusés sont insolvables. C’est un fait, mais pour les victimes, la vertu cardinale d’un tel procès est la reconnaissance judiciaire de la qualité de victime. On se tromperait si l’on y voyait un geste de nature mercantile.

Quelle réparation concrète ?

7. À défaut de pouvoir compter sur les auteurs des attentats pour réparer les dommages qu’ils ont causés, les victimes ne sont pas complètement livrées à elles-mêmes : elles peuvent encore, dans une certaine mesure, faire appel aux assureurs et à l’aide de l’État.
Voyons cela brièvement.

Les assurances ?

8. Selon la fédération sectorielle Assuralia, dans une annonce faite le 18 mars 2024, fin 2023 les entreprises d’assurances avaient versé 77,2 millions d’euros aux victimes des attentats, dont 68 millions d’euros pour des dommages corporels et moraux. Au total, les assureurs ont dénombré 1403 victimes pouvant prétendre à une indemnisation, parmi lesquelles 1061 à Zaventem et 342 à Maelbeek.
Ces déclarations concernent non seulement des décès ou des dommages corporels, mais aussi divers dommages, jusqu’à des dégâts causés à des bagages.

9. En plus des indemnisations déjà versées, les assureurs ont prévu une réserve financière totale de 59,9 millions d’euros destinés aux versements futurs aux victimes, toujours selon Assuralia.
Ces réserves servent à rembourser les frais médicaux futurs ou les rentes viagères dans le cadre de l’assurance accidents du travail versées aux victimes touchées par les attentats alors qu’elles étaient sur le chemin du travail ou sur leur lieu de travail. Mais c’est un lieu commun que de constater en la matière la lenteur ou une certaine complexité des procédures, comme l’admet d’ailleurs la fédération précitée, qui ajoute toutefois que les assureurs ont pris des initiatives en vue d’une meilleure prise en charge des victimes d’un attentat dans le futur.

L’aide de l’État ?

10. Les victimes peuvent également compter, toujours de manière limitée, sur la solidarité de la société : depuis près de quarante ans (loi du 1er août 1985) des mesures ont été prises en faveur des victimes d’actes intentionnels de violence, et, depuis les attentats de 2016, elles ont été renforcées en matière de terrorisme. Celles-ci peuvent demander une aide financière à une juridiction administrative, la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence, dont la division Terrorisme est spécialement dédiée l’examen ces demandes. Le Fonds servant à cette aide est alimenté par une contribution actuellement fixée à 200 euros que le juge doit imposer à chaque condamné criminel ou correctionnel.
L’intervention de la Commission est soumise au principe de subsidiarité : ce sont d’abord les auteurs des faits ou les mutuelles, les assurances accident du travail et les assurances privées qui doivent indemniser les victimes quand cela est possible. Il ne peut y avoir de double indemnisation.

11. Les victimes directes peuvent demander une aide pour les éléments du dommage suivants : le dommage moral, les frais médicaux et d’hospitalisation, l’invalidité temporaire ou permanente, une perte ou une diminution de revenus résultant de l’incapacité de travail temporaire ou permanente, le dommage esthétique, les frais de procédure à concurrence de 12 000 euros, les frais matériels (vêtements, frais de déplacement, etc.) à concurrence de 1 250 euros, le dommage résultant de la perte d’une ou de plusieurs années de scolarité et les frais de voyage et de séjour pour les victimes résidant hors de Belgique. L’aide financière est plafonnée à 125 000 euros.
Les proches d’une victime, décédée ou non, disposent également du droit à une aide financière, mais plus limitée.
En cas d’urgence, la Commission peut octroyer une aide financière ou une avance sans attendre la fin du procès. Des centaines de victimes des attentats du 22 mars 2016 ont ainsi déjà introduit un dossier auprès de cette instance.

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