Procès des attentats de Bruxelles : la Cour d’assises tire le rideau

par Benoît Dejemeppe - 30 septembre 2023

Après cinq jours de délibération, ce 15 septembre 2023, la Cour d’assises de Bruxelles a fixé les accusés sur leurs peines. La tâche n’était pas aisée sur le plan du droit en raison, notamment, de la condamnation antérieure de plusieurs accusés pour les attentats de Paris mais, au final, au-delà des discussions juridiques, pas de grande surprise.
Benoît Dejemeppe, président de section émérite à la Cour de cassation, maître de conférences honoraire à l’Université Saint-Louis Bruxelles, explique comment la Cour et les jurés s’y sont pris pour rendre leur décision.

1. Le 15 septembre 2023, la Cour d’assises a condamné les huit accusés des attentats de Bruxelles et de Zaventem, dont six d’entre eux avaient été déclarés coupables des attentats et de participation à un groupe terroriste, les deux derniers de cette seule participation.

2. Ainsi qu’on l’avait écrit dans l’article précédent publié sur Justice-en-ligne, le 29 août 2023, sur ce long procès (« Procès des attentats de Bruxelles : le procès se termine, la cour d’assises va décider des peines »), en Belgique, lorsqu’un accusé est déclaré coupable de plusieurs infractions qui sont reliées entre elles par une unité d’intention, le juge ne prononce pas une peine par infraction mais une seule peine englobant l’ensemble des faits. Dans leur terminologie particulière, les juristes qualifient cette situation, où plusieurs faits concourent à n’en constituer qu’un seul, de « concours idéal par unité d’intention ».
Outre que cette approche holistique est inscrite dans la loi, son fondement est criminologique en ce sens qu’il réside dans la nature et l’utilité de la peine, le juge ne devant pas comptabiliser minutieusement le nombre exact de faits commis, mais apprécier la situation dans son ensemble en examinant si, eu égard aux circonstances, l’activité de l’accusé constitue un tout ne justifiant qu’une seule peine.
C’est qu’on juge toujours un homme qui a commis plusieurs faits et pas seulement des faits commis par un homme. Après tout, on ne vit qu’une fois, et il y aurait quelque incongruité, voire même absurdité, à condamner une personne à des dizaines de peines de perpétuité, alors qu’une seule suffit.

3. Par ailleurs, il peut arriver qu’un accusé ait déjà été condamné pour certains faits et qu’il soit poursuivi ensuite pour d’autres qui y sont intimement liés, de sorte que l’ensemble de ces faits concourent pour être considérés comme un « fait unique ».
Comme on sait qu’on ne peut pas être condamné deux fois pour les mêmes faits, faut-il laisser impunis ceux qui sont rangés dans le second groupe ? C’eût été fort injuste, en particulier au regard des victimes.
La loi a envisagé ce cas de figure en prévoyant que le juge peut trancher le litige mais qu’il « doit tenir compte, lors de sa décision, des infractions qui ont antérieurement fait l’objet d’une décision définitive et qui constituent, avec les faits dont il est saisi, la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse » (article 65, alinéa 2, du Code pénal). En d’autres mots, le juge peut ajouter une peine complémentaire à celle qui a déjà été prononcée ou même estimer que cette peine antérieure est suffisante et ne pas en prononcer de nouvelle.
Si tout cela ressemble un peu à du chinois, l’affaire des attentats permet de mieux saisir la portée de cette règle.
Voilà des accusés devant la Cour d’assises de Bruxelles dont six ont déjà été condamnés en 2022 par la Cour d’assises de Paris pour les attentats qui y ont été commis en 2015 et deux d’entre eux par le tribunal correctionnel de Bruxelles en 2018 pour la fusillade lors de la traque de Salah Abdeslam, rue du Dries à Molenbeek. Il y a donc en tout trois séries de faits, les deux premières ayant été jugées avant la procédure d’assises belge.
La Cour d’assises de Bruxelles a estimé que tous ces faits étaient reliés entre eux et formaient, comme on vient de l’indiquer, un « concours idéal par unité d’intention ».
Elle devait donc « tenir compte » des précédentes condamnations.

4. Mais la Cour d’assises était confrontée à un problème supplémentaire en ce que la loi exclut l’application de cette règle lorsque la condamnation est prononcée dans un autre État membre de l’Union européenne (article 99bis, alinéa 2, du Code pénal).
Pouvait-elle alors oublier la condamnation des accusés par la Cour d’assises de Paris et ne prendre en compte que la condamnation antérieure de deux des accusés par le tribunal correctionnel de Bruxelles en 2018 ?
N’allons pas trop vite en besogne car entretemps la Cour constitutionnelle avait été interrogée par un juge pour savoir si l’article 99bis, alinéa 2, du Code pénal viole le principe d’égalité et de non-discrimination en traitant différemment les personnes qui ont été condamnées en Belgique et celles qui ont été condamnées dans un autre État membre de l’Union européenne.
Si, en 2020, cette Cour n’a pas désavoué le législateur belge, elle a aussi souligné que cette disposition n’empêche toutefois pas le juge de « tenir compte d’une autre manière » des condamnations prononcées dans un autre État membre de l’Union européenne, et de diminuer la peine le cas échéant. Tant la Cour de cassation de Belgique que la Cour de justice de l’Union européenne ont opté pour une solution de cette nature.
Sur la base de ces décisions, la Cour d’assises de Bruxelles s’est donc autorisée à examiner la hauteur des sanctions en tenant compte « d’une autre manière » des peines prononcées à Paris. Elle a considéré que cette condamnation antérieure pouvait être élevée au rang d’une circonstance atténuante, laquelle permet de diminuer la peine. Il faut reconnaître que l’admission de circonstances atténuantes est prévue par le Code pénal mais le contenu de celles-ci n’est pas déterminé par la loi et que le juge les apprécie librement. Il n’en reste pas moins qu’il peut paraître étonnant qu’une telle condamnation soit qualifiée de « circonstance atténuante », mais, dans sa recherche d’une solution de justice, ce qui est son rôle, la Cour d’assises a dû faire là un travail relevant de la créativité juridique pour assurer la finalité des peines sans verser dans une sévérité disproportionnée.

5. En ce qui concerne les condamnations, on retiendra en particulier les décisions rendues en cause des deux auteurs les plus médiatisés du procès.
Salah Abdeslam avait déjà été condamné à la perpétuité incompressible pour sa participation aux attentats de Paris et à un emprisonnement de vingt ans pour la fusillade de la rue du Dries à Molenbeek. La Cour d’assises a considéré le premier élément comme une circonstance atténuante et a pour le surplus décidé de renvoyer à la peine de vingt ans, sans en prononcer de nouvelle. Il retournera donc en France pour exécuter sa peine. Si la procédure en référé qu’il avait introduite pour faire interdire à l’État belge de le remettre à la disposition des autorités françaises, a échoué, il pourrait néanmoins solliciter en France son retour vers une prison belge sur la base de la Convention européenne sur le transfèrement des personnes condamnées.
Quant à Mohamed Abrini, « l’homme au chapeau » qui avait renoncé à se faire exploser à l’aéroport de Zaventem, la Cour d’assises lui a reconnu comme circonstance atténuante la peine de perpétuité prononcée pour sa participation aux attentats de Paris. Elle a ensuite réduit la peine de perpétuité prévue pour sa participation aux attentats de Bruxelles et Zaventem, et l’a condamné à une réclusion de trente ans, ainsi qu’à sa mise à la disposition du tribunal de l’application des peines pendant cinq ans (sur cette dernière notion, il est renvoyé à l’article de Fanny Vansiliette, « La mise à disposition du tribunal d’application des peines : une réponse à la grande criminalités »).

6. Le parquet avait en outre requis la peine de déchéance de la nationalité à l’égard des accusés binationaux. Sans surprise, la cour d’assises n’a pas fait droit à ces réquisitions, en raison des attaches matérielles et familiales en Belgique, où les accusés ont passé l’essentiel de leur existence.

7. À noter enfin qu’un pourvoi en cassation peut encore être formé contre l’arrêt rendu le 15 septembre 2023, ainsi que contre l’arrêt relatif à la culpabilité prononcé le 25 juillet 2023. Le délai pour introduire cette procédure expire le lundi 2 octobre 2023.
En outre, les trois magistrats de la Cour d’assises, sans les jurés donc, devront encore se prononcer sur les demandes civiles introduites par de nombreuses victimes des actes en cause, à savoir essentiellement les demandes d’indemnisation de leurs préjudices. Mais cela se fera bien plus tard

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