Le recouvrement forcé des astreintes dues par Fedasil : la saga se poursuit

par Émilie Vanhove - 30 mars 2024

Photo @ PxHere

Fedasil, l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, a été condamnée à de nombreuses reprises à offrir immédiatement une aide matérielle aux demandeurs d’asile en attente d’une décision sur leur statut. Justice-en-ligne y a fait écho en février 2023 dans un article d’Hélène Gribomont, « ’Crise de l’accueil’, non-respect des décisions de Justice par Fedasil et mesures provisoires : de Bruxelles à Strasbourg ».
Ces condamnations par la Justice belge ont parfois été assorties d’astreintes, dont les demandeurs d’asile concernés entendent à présent obtenir le paiement puisque Fedasil n’exécutait pas volontairement les condamnations la concernant et ne payaient pas davantage les astreintes en question. C’est ainsi que certains d’entre eux ont fait saisir des biens appartenant à Fedasil.
Émilie Vanhove, assistante à l’UCLouvain, a consacré un premier article à ces questions mais la presse a fait écho à une concrétisation des menaces de saisies des biens de Fedasil.
Justice-en-ligne vous propose en conséquence ci-dessous une nouvelle version de cet article mais avec quelques ajouts et modifications, apparaissant en bleu foncé, qui expliquent et commentent ces éléments neufs.

1. L’article 1412bis du Code judiciaire

La saisie de biens d’une personne morale de droit public (l’État, les communautés, les régions, les provinces, les communes, les organismes publics comme par exemple l’INAMI, l’ONEm, la SNCB, la RTBF, etc., et… Fedasil) est encadrée de manière spécifique en droit belge.
Le présent article a pour but de fournir quelques indications sur les conditions dans lesquelles de telles mesures d’exécution forcée sont possibles.
Le siège de la matière se trouve à l’article 1412bis du Code judiciaire depuis une loi du 30 juin 1994. La disposition prévoit un principe d’insaisissabilité des biens appartenant, de manière générale, aux personnes morales de droit public. Il s’agit, selon la Cour de cassation, d’« assurer la permanence des institutions publiques et de leur fonctionnement ».
Cependant, tous les biens appartenant à une institution publique ne sont pas nécessaires pour l’exercice de sa mission. L’on admet que la saisie de ces biens, dès lors qu’elle n’entraverait pas la continuité du service public, doit être possible.
L’insaisissabilité de principe est en conséquence nuancée par le deuxième paragraphe de l’article 1412bis du Code judiciaire. Il impose à l’organe compétent de chaque personne morale de droit public d’établir, sous forme de déclaration, une liste de ses biens qui peuvent être saisis. Cette liste est en principe déposée et peut être consultée, pour Fedasil, au siège de son administration. En cas de saisie portant sur les biens de la liste, l’institution concernée ne peut pas contester le caractère saisissable de ces biens. Elle peut en revanche modifier cette liste, qui n’est ni exhaustive ni définitive tant que les biens qui y figurent n’ont pas été saisis.
À défaut d’une telle déclaration ou si les biens qui y sont repris sont insuffisants pour payer l’intégralité des montants dus, le créancier peut aussi saisir tous les biens qui ne sont manifestement pas utiles à ces personnes morales pour l’exercice de leur mission ou pour la continuité du service public. Dans ce cas, l’institution peut s’opposer à la saisie en arguant, notamment, que les biens n’étaient pas saisissables. Il appartient alors au créancier saisissant de démontrer que les biens qu’il a saisis ne sont pas manifestement utiles à l’exercice de la mission de l’institution concernée ou à la continuité du service public, de sorte qu’il était habilité à les saisir.
L’institution publique peut aussi, à cette occasion, offrir au créancier de saisir un/des autre(s) bien(s). Cette offre lie le créancier, à la condition que le(s) bien(s) se situe(nt) en Belgique et qu’il(s) soi(en)t suffisant(s) pour payer totalement le créancier.

2. Les biens potentiellement saisissables

Pour autant que les conditions posées par l’article 1412bis du Code judiciaire soient remplies, la saisie de biens d’une administration publique s’envisage sur toutes les catégories de biens dont elle est propriétaire.
Il s’agit donc, bien entendu, des biens meubles ou immeubles, mais aussi de créances, telles que des avoirs bancaires ou des garanties bancaires.
Pour bien comprendre la suite du présent article, il est nécessaire de comprendre la différence entre la saisie conservatoire et la saisie-exécution.
La première, qui requiert en principe l’autorisation du juge des saisies, permet au créancier d’empêcher le débiteur de faire disparaître des biens de son patrimoine, par exemple le temps d’une procédure. Les biens saisis sont alors rendus indisponibles : ils ne peuvent plus être vendus sans l’autorisation du créancier. On ne peut y recourir que lorsqu’il y a des indices de ce que ces biens risquent de sortir du patrimoine du débiteur potentiel, avec pour conséquence que le créancier ne pourra plus être payé.
La saisie-exécution permet, lorsque le créancier dispose d’un « titre exécutoire » (un jugement, par exemple), de faire vendre les biens du débiteur (par un huissier ou un notaire) pour permettre le paiement du créancier.
La saisie d’un compte bancaire peut s’avérer périlleuse. En effet, il s’agit de procéder à une saisie auprès d’une banque déterminée, à un moment donné, sans savoir si le débiteur est bien titulaire d’un compte dans l’établissement concerné, ni si ce compte est créditeur. C’est pourquoi le Code judiciaire autorise le créancier à demander au juge des saisies l’autorisation, d’abord, d’interroger une ou plusieurs banques afin de savoir si le débiteur est bien titulaire d’un compte, et son solde, et ensuite de procéder à une saisie conservatoire. C’est ce qu’ont fait les associations.

3. Les biens saisis dans le dossier Fedasil

C’est ainsi que plusieurs associations et demandeurs d’asile ont pu saisir des biens appartenant à Fedasil. Cette dernière avait déclaré, en janvier 2023, que les biens saisis étaient issus de la liste qu’elle a dressée, de sorte que leur caractère saisissable n’a pas pu être contesté. Ceux-ci pourront d’ailleurs, semble-t-il, être vendus sans difficulté pour Fedasil (voir les déclarations de l’Etat belge au journal Le Soir, pour l’article de A. Sente, « Fedasil : la menace d’une saisie à 2,9 millions d’euros se concrétise », paru dans Le Soir des 3 et 4 février 2024).
Les montants obtenus à la suite de ces saisies, plutôt symboliques, risquent d’être largement insuffisants pour couvrir la somme de près de 3.000.000 € due par Fedasil. C’est la raison pour laquelle, à la fin de l’année 2023, des garanties bancaires de l’État belge, bénéficiant à Fedasil, ont été saisies (voir l’article précité de A. Sente).
La Cour d’appel de Bruxelles vient par ailleurs d’autoriser la saisie, à titre conservatoire, des comptes bancaires de Fedasil. Il est fort probable que ces comptes fassent, finalement, l’objet d’une saisie-exécution, diligentée cette fois dans le but de vendre le bien saisi.
La question de la saisissabilité des garanties et avoirs bancaires n’est toutefois pas encore tranchée ; la Cour d’appel a d’ailleurs précisé dans son arrêt qu’elle n’anticipait pas ce débat. Il appartiendra à Fedasil, si elle le souhaite, de soumettre cette question au Juge des saisies (voir ci-dessous en ce qui concerne la compétence du juge des saisies et celle du juge qui a prononcé l’astreinte).
En effet, comme il a été rappelé plus haut, les biens de Fedasil autres que ceux qui figurent sur la liste qu’elle a dressé, ne peuvent être saisis que s’ils ne sont manifestement pas utiles à l’exercice de sa mission ou à la continuité du service public. Or en l’espèce, Madame De Moor, Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, a déclaré que la saisie de ces ressources aura un effet négatif sur le fonctionnement quotidien de Fedasil (voir l’article précité de A. Sente).

4. Compétence limitée du juge des saisies et celle du juge qui a prononcé l’astreinte

Le juge des saisies, qui est un des juges du tribunal de première instance, a pour mission de trancher toutes les contestations relatives aux saisies effectuées sur le patrimoine d’un débiteur. Il autorise et vérifie la régularité des saisies conservatoires (articles 1413 et 1489 du Code judiciaire) et tranche toutes les difficultés d’exécution (article 1498 du Code judiciaire). C’est donc lui qui est amené à vérifier le respect de l’article 1412bis du Code judiciaire.
En matière d’astreintes, le juge des saisies ne peut la modifier, la diminuer ou l’étendre.
Il vérifie seulement si les conditions d’exigibilité, posées par le juge qui l’a prononcée, sont réunies ou si, compte tenu d’un élément nouveau, le « titre », c’est-à-dire ici le jugement prononçant des astreintes, a conservé son actualité et, partant, sa force exécutoire, c’est-à-dire son aptitude à faire l’objet d’une exécution forcée, comme tel est le cas d’une saisie-exécution [arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2019, publié dans la Revue de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles (J.L.M.B.), 2020, liv. 8, 346]. Il est admis qu’il est également compétent pour sanctionner un abus de droit éventuel du créancier saisissant (arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2019, publié au Rechtskundig Weekblad, 2020-2021, n° 10).
Seul le juge qui a ordonné l’astreinte pourrait, en vertu de l’article 1385 quinquies du Code judiciaire, en prononcer la suppression, la suspendre ou la réduire si la personne condamnée démontre qu’elle est dans l’impossibilité définitive ou temporaire, totale ou partielle de satisfaire à la condamnation principale. Cependant, il faut que l’impossibilité de satisfaire à la condamnation soit postérieure au jugement qui a prononcé l’astreinte, ce qui ne semble pas être le cas de Fedasil, dont les difficultés sont bien antérieures.
En l’espèce, c’est donc bien le juge des saisies qui est compétent et pourrait être amené à statuer tant sur la validité de la saisie des avoirs bancaires de Fedasil que celle portant sur les garanties bancaires de l’État belge.

5. Conclusion

La saga « Fedasil » n’est donc pas terminée.
À ce stade, Fedasil n’a toujours pas exécuté les nombreuses condamnations prononcées à son encontre, pas plus qu’elle n’a payé les astreintes réclamées. De nombreuses saisies ont été pratiquées sur ses biens, mais Fedasil dispose encore de recours, principalement devant le juge des saisies, pour les contester.

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Émilie Vanhove


Auteur

Assistante à l’Université catholique de Louvain

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