1. Présentation des faits en cause.
Dans un rapport adressé au bourgmestre d’Anderlecht, la zone de police Midi expose avoir connu, lors des festivités du nouvel an 2023 et 2024, de nombreux faits de violence : des véhicules ont été incendiés et les services de police ont été les cibles de lancers de projectiles, pétards et de tirs de feux d’artifice.
La majorité des arrestations en lien avec ces faits concernaient des mineurs issus du même quartier. Le rapport propose donc, en vue d’éviter de nouveaux incidents, d’interdire certains secteurs du territoire communal aux moins de seize ans non accompagnés par un tuteur légal lors de la nuit du 31 décembre 2024 au 1er janvier 2025.
Sur la base de ce rapport et se fondant sur ses pouvoirs de police administrative, le bourgmestre adopta une ordonnance de police dans le but de préserver l’ordre public le soir du réveillon du nouvel an.
Cette ordonnance a été contestée devant le Conseil d’État selon la procédure dite du « référé d’extrême urgence ».
2. Le pouvoir de police administrative du maintien de l’ordre.
La loi reconnait aux bourgmestres la tâche d’assurer, sur le territoire communal, la tranquillité, la salubrité publique et la sûreté publique. À cette fin, ils sont compétents pour adopter des dispositions réglementaires en matière de police.
L’exercice de cette compétence est toutefois limité à des conditions strictes énoncées à l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale. Les bourgmestres ne peuvent user de ce pouvoir qu’en cas « d’émeutes, d’attroupements hostiles, d’atteintes graves portées à la paix publique » ou en cas « d’autres évènements imprévus » et « lorsque le moindre retard pourrait occasionner des dangers ou des dommages pour les habitants ». L’exercice de cette compétence doit également répondre aux exigences de proportionnalité. Il est renvoyé sur ce point à l’article suivant publié sur Justice-en-ligne : Lucas Fontaine, « Le Conseil d’État rappelle la portée de la liberté de réunion pacifique ».
En l’espèce, le Conseil d’État estime que le risque de troubles à l’ordre public n’est pas « imprévisible » car des faits similaires se sont produits de manière répétée deux années de suite et que rien n’a préalablement été mis en place pour appréhender la survenance de nouveaux troubles. C’est donc en excédant ses compétences que le bourgmestre d’Anderlecht a adopté cette ordonnance. En d’autres termes, ce faisant, le bourgmestre a violé la loi et plus spécialement l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale.
3. L’absence de suspension d’extrême urgence.
Malgré le constat de cette illégalité, le Conseil d’État, en raison des conditions liées à la procédure d’extrême urgence, ne suspend pas l’ordonnance du bourgmestre d’Anderlecht.
Ceci est dû au fait qu’en matière de référé d’extrême urgence, le requérant doit démontrer l’existence non seulement d’une illégalité, mais aussi d’inconvénients d’une gravité suffisante dans l’exécution de l’acte attaqué. Concrètement, dans ce contentieux de l’urgence, il faut, en plus du constat d’illégalité, que les conséquences dommageables de la mesure préjudicient directement le requérant. De la sorte, celui-ci ne peut invoquer une urgence qui existerait dans le chef de la population d’un quartier en général.
C’est cet élément qui fait défaut dans l’affaire en cause. Le requérant, un mineur de moins de seize ans, invoquait une atteinte à sa liberté de circuler, car il ne pouvait pas rejoindre ses parents à une soirée chez des amis, sans risque de se faire arrêter par la police. Or, il ne démontre pas en quoi cet inconvénient présenterait un degré suffisamment grave pour justifier la suspension de l’interdiction contestée. Par conséquent, le Conseil d’État, au vu des circonstances, estime que la condition de l’urgence n’est pas établie et, partant, rejette le recours.
4. Une absence de suspension mais un message clair aux bourgmestres.
Si au vu du constat d’illégalité, l’arrêt du Conseil d’État peut paraitre surprenant, il n’en est pas moins conforme à sa jurisprudence habituelle selon laquelle une atteinte aux droits fondamentaux n’est pas systématiquement considérée comme suffisamment grave pour emporter une suspension.
Dans cette affaire, le Conseil d’État ne limite cependant pas son analyse à l’absence de préjudice grave dans le chef du requérant.
En effet, la haute juridiction administrative prend la peine de se prononcer sur la compétence du bourgmestre dans ce cas de figure et admet le sérieux de la thèse du requérant. Il s’agit là d’un message clair à l’égard des bourgmestres tentés, à l’avenir, d’interdire la présence de jeunes dans l’espace public lors de la nuit du réveillon.
Le Conseil d’État rappelle que, parmi les prérogatives reconnues aux communes pour préserver l’ordre public, le recours aux ordonnances de police par le bourgmestre ne se conçoit que dans des circonstances exceptionnelles. Si des troubles répétés sont attendus et connus par l’autorité communale, l’utilisation de l’article 134 de la Nouvelle loi communale ne se justifie pas. Néanmoins, rien, dans la décision du Conseil d’État, ne permet de s’assurer qu’une telle décision adoptée par une autre autorité serait une restriction légale au droit à la liberté de circuler.