La Cour pénale internationale et la perspective de mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants de l’État d’Israël et du Hamas

par Christophe Deprez - 10 juin 2024

Le 20 mai 2024, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé l’émission de mandats d’arrêt, de différents chefs de crime de guerre et de crime contre l’humanité, à l’encontre de trois dirigeants du Hamas, ainsi que de deux membres du gouvernement israélien.
Comment la Cour peut-elle viser les responsables d’un État – Israël – et d’un groupe non étatique – le Hamas – n’ayant pas adhéré à son Statut ? Christophe Deprez, chargé de cours à l’Université de Liège, tente de nous l’expliquer.

Qu’est-ce que la CPI ?

1. La Cour pénale internationale (CPI) a été créée le 1er juillet 2002 lors de l’entrée en vigueur du traité contenant son instrument fondateur : le Statut de Rome.
La Cour a pour mission de juger les personnes suspectées d’avoir participé à des crimes internationaux, soit le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression. La CPI est complémentaire des juridictions nationales, ce qui signifie qu’elle n’engage des poursuites que lorsque les autorités nationales normalement compétentes n’ont pas la volonté ou la capacité de le faire.

Qui peut saisir la CPI d’une situation ?

2. Une situation peut être déférée à la CPI par un État partie à son Statut, par le Conseil de sécurité des Nations Unies, ou par son Procureur de sa propre initiative.
Dans le cas qui nous occupe, la Palestine est membre du Statut de Rome depuis le 1er avril 2015 et c’est elle-même qui a demandé à la CPI d’ouvrir une enquête sur les crimes internationaux qui seraient commis sur son territoire.
Après bien des hésitations, dues notamment à l’absence de consensus sur la qualité de la Palestine en tant qu’État, cette demande a été acceptée par le Bureau du Procureur et endossée par une formation judiciaire de la Cour le 5 février 2021.

Israël n’a pas adhéré au Statut de la CPI. Est-ce un obstacle ?

3. Parmi les 124 États parties au Statut de la Cour, on compte la Palestine mais non Israël.
Ceci ne fait toutefois pas obstacle à l’action de la Cour à l’égard des crimes qui auraient été commis par l’une ou l’autre partie depuis le 7 octobre 2023. En matière de crimes de guerre, de génocide et contre l’humanité, en effet, la Cour peut se pencher tant sur les crimes commis par le ressortissant d’un État partie que sur ceux commis sur le territoire d’un État partie. C’est ainsi que la Cour est en mesure de viser tant des ressortissants palestiniens du Hamas que des ressortissants israéliens qui auraient participé à des crimes sur le territoire palestinien (ici Gaza en particulier).

Comment fonctionne le processus d’émission de mandats d’arrêt ?

4. Le 20 mai 2024, le Procureur de la Cour pénale internationale a demandé l’émission de mandats d’arrêt à l’encontre de Yahya Sinwar, Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri et Ismail Haniyeh (dirigeants du Hamas), de même qu’à l’encontre de Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant (respectivement Premier ministre et ministre de la Défense d’Israël).
Il revient à présent à trois juges de la Cour – ici la Chambre préliminaire I – de délivrer ou non ces mandats. Ils le feront s’ils estiment, après examen du dossier présenté par le Procureur, qu’il existe des « motifs raisonnables de croire » que les intéressés ont commis des crimes relevant de leur compétence.

La Cour ne doit-elle pas respecter l’immunité des dirigeants étatiques ?

5. En tant que chef du gouvernement israélien, le Premier ministre Netanyahu bénéficie incontestablement d’une immunité en vertu du droit international.
Cette immunité est toutefois conçue pour s’appliquer aux relations interétatiques. Elle n’est donc pas opposable, en tant que telle, à la CPI, qui n’est pas un État mais une organisation internationale indépendante.

Existe-t-il une perspective réaliste d’arrestation ?

6. Si des mandats d’arrêt sont émis, encore faut-il que les suspects soient arrêtés et remis à la CPI, ce que seuls des États sont en mesure de faire. En principe, les 124 États parties au Statut de Rome ont l’obligation de coopérer pleinement avec la Cour.
Qu’en est-il toutefois de la situation particulière dans laquelle la Cour demanderait à un État partie – par exemple la Belgique – d’arrêter et de lui remettre M. Netanyahu ? Faut-il considérer que, face à une telle demande, cet État n’agit pas moins en tant qu’État, auquel cas il ne peut être question d’arrestation ? Ou bien que l’État concerné se substitue alors à la CPI, de manière telle à écarter le jeu des immunités et à permettre l’arrestation ?
Dans de précédentes affaires à l’encontre de dirigeants étatiques – en particulier l’ancien Président soudanais Omar Al-Bashir –, la CPI a estimé que cette deuxième solution devait l’emporter. Ainsi, selon la Cour, l’absence d’immunité dans les relations avec une juridiction internationale doit nécessairement s’étendre à la mise en œuvre d’un éventuel mandat d’arrêt.

7. Certains États, y compris des États parties au Statut de Rome, restent sceptiques à l’égard de la position juridique ainsi affirmée par la CPI.
En attendant, il est clair que l’incertitude suffit à faire craindre une arrestation en cas de déplacement sur le territoire d’un État partie au Statut. On sait que, depuis l’émission d’un mandat d’arrêt à son encontre par la CPI, le président russe Vladimir Poutine a soigneusement veillé à ajuster ses voyages internationaux en conséquence.

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Christophe Deprez


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Chargé de cours à l’Université de Liège

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